Chapitre II

Par Fidelis

En sortant de sa permanence, il faisait nuit. Elle n’avait pas le cœur à cuisiner et s’était arrêtée près de chez elle dans un bar pour se commander une assiette avant de rentrer.

L’endroit était calme, on entendait une musique d’ambiance insipide et les seuls clients présents regardaient le fond de leur verre pour noyer leur détresse sans prononcer le moindre mot.

Elle mangeait en observant à travers la vitrine, la pluie tombait sur le macadam et ne put s’empêcher de se demander où pouvait bien se réfugier son patient. Puis elle médita sur l’intérêt que pouvait cacher cette question.

Une silhouette passa, et sans un mot s’installa sur la banquette en face d’elle.

C’était Keleks, il portait un sac à dos et des vêtements ordinaires, mais qui lui allaient bien.

Elle afficha de grands yeux sidérés qu’il vienne l’aborder, et surtout en s’interrogeant sur la manière dont il l’avait trouvé.

Il lui sourit d’un air charmeur.

— Bonsoir.

Elle reposa ses baguettes.

— Mais que faites-vous ici, vous êtes recherchés vous devez rentrer immédiatement au centre hospitalier.

— Après si vous voulez, en attendant, je dois vous montrer quelque chose.

Il avait déposé en même temps qu’il prenait place un journal plié en deux, qu’il ouvrit pour lui indiquer qu’un pulseur se caché dessous.

— Je ne tiens pas à vous faire du mal, mais j’ai besoin que vous me suiviez.

Elle déglutit, et se souvint des électrochocs que le centre lui avait fait subir et craignit qu’il n’entretienne une rancune envers son personnel.

Pour la rassurer, il lui prit délicatement la main, et lui caressa avec son pouce.

— Je n’ai rien contre vous, et je sais que vous êtes quelqu'un d'intelligent, et que je n’aurai pas à m’en servir. Je veux juste vous montrer quelque chose.

                                                          ***

Elle décida de le suivre, pour tenter de le raisonner afin qu’il se livre tout seul aux autorités avant d’aggraver son cas, et surtout pour veiller à ce qu’il n’utilise pas son arme.

Il la conduisit en marchant un pas derrière elle, et tenait son journal sur la main qui dissimulait le pulseur aux liserés bleutés. Ils se rendirent dans la zone industrielle, montèrent sur l’un des bâtiments désaffectés juste en face d’une usine de produit chimique hautement toxique. Il l’invita à s’asseoir sur bord de l’édifice les pieds dans le vide.

Un peu hésitante, elle s’y contraint après qu’il eut posé le journal à sa place pour qu’elle ne salisse pas ses vêtements.

— Que faisons-nous ici ?

Il avait au moment de s’installer à ses côtés, délaissé son arme derrière eux sans plus y porter la moindre attention.

— Vous allez voir ça va bientôt débuter.

En face, se trouver l’usine illuminée, en activité de jour comme de nuit. Elle ressemblait à un dragon en sommeil, qui laissait s’échapper de temps à autre d’énormes nuages de fumée.

Elle l’observa déployer un parapluie pour les protéger, et profita de sa distraction passagère pour ramasser le pulseur et le braquer dans sa direction.

— Maintenant c’est terminé Keleks, nous allons rentrer bien sagement au centre hospitalier.

Il lui sourit de manière déconcertante.

— Je n’ignorais pas que vous allez vous en saisir, la seule question qui me taraude encore est de savoir si vous l’utiliserez.

Elle leva le menton.

— J’en suis capable !

— Je n’en doute pas, mais pour vous éviter les remords d’avoir essayé, apprenez qu’il n’est pas chargé.

Elle fronça les sourcils, tira la culasse et rien n’en sortit, elle dégagea le chargeur et constata en effet qu’il était vide.

Elle le balança du haut du bâtiment, dépitée de s’être fait duper.

— Vous vous êtes moquée de moi.

Il se rapprocha d’elle et lui passa un bras autour des épaules en les abritant tous deux de son parapluie.

— Non, regardez.

Le site industriel se mit alors à rugir, comme si le dragon venait de s’éveiller, un bruit infernal se répandit dans toute la zone. Éclairés par les projecteurs de l’usine, ils purent distinguer comme une nuée de battement d’ailes d’un noir métallisé s’élevait dans le ciel.

— Ce sont des papillons de graphène, ils sont libérés par le dragon quand il fait de mauvais rêves.

Attiré par la manifestation, un nuage de lucioles radioactives qui s’en nourrissait vint former un ballet surprenant entre ombre et lumière qui s’entremêlaient dans l’interaction.

Même si les papillons étaient fictifs, elle fut ébahie par le spectacle et ne pensa plus du tout à leur situation.

Sans détourner son regard, elle l’interrogea.

— Qu’est-ce qui vous effraie tant Keleks ?

Il tourna son visage vers elle.

— J’ai peur un jour de me réveiller de ce cauchemar, et de découvrir que la réalité est cent fois pire que mon rêve terrifiant. Mais il sera alors trop tard, et j’aurai beau prier de toute mon âme pour que le sommeil me gagne, sans qu’il ne revienne jamais.

Elle le regarda troublée par cette déclaration, il se pencha pour lui donner un baiser, qu’elle ne repoussa pas.

— Pourquoi moi Kelek ?

Il lui sourit.

— Pourquoi Juliette.

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Reglisse000
Posté le 07/03/2025
Très beau ! Je trouve ça trop stylé qu'il lui réponde : Pourquoi Juliette, je ne sais pas pourquoi.
C'est un peu étrange qu'on ne connaisse pas le prénom et l'identité de « Elle ».... Y a t-il une raison particulière ? Pas de critique, c'est très joli, bien qu'un peu perturbant
Fidelis
Posté le 07/03/2025
Merci, ça fait plaisir, oui j'avais envie d'écrire une petite histoire gentillette. Le fait de la garder anonyme ça crée un décalage, parce qu'en fait ce n'est pas elle l'héroïne, mais plutot leur rencontre et son imaginaire à lui, ce dragon qu'il s'invente, ses nuées de papillons et ses questions auxquelles il est seul à pouvoir répondre.

En tout cas le protocole de Von kanf, existe bien dans une autre histoire, où j'en parle plus en détail, mais elle est plus longue (comme un parfum familier environ) et bien plus intrigante, mystérieuse même, et se déroule comme les trois premières, sous le dôme Victoria.

Je m'exerce à faire des textes très courts et d'autres plus long en essayant d'en faire ressortir des émotions, ça fait travailler ma plume, et je suis pas mécontent du résultat, j'avoue, car oui toute la tension de l'histoire doit s'exercer à la fin au moment où il lui répond... Pourquoi Juliette.

Si ça t'as ému là, c'est que le parie est gagné, merci à toi de me le faire partager.

J'espère que les suivantes te plairont tout autant.

Reglisse000
Posté le 07/03/2025
Je trouve ça très stylé, cette idée d'écrire comme ça !

Tu arrives très bien à faire ressortir des émotions, bravo à toi !
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