Chapitre premier

L’infirmière observait le patient dans sa cellule. Il était revêtu d’une camisole et faisait preuve d’un mutisme à toute épreuve.

Dans son dossier, elle pouvait lire, paraphrénie atypique, accompagnée de crises de paranoïa aiguë pouvant s’avérer violente, surtout envers lui-même, et, comme tout psychotique qui se respecte, il ne dormait quasiment jamais.

Il gardait la tête penchée en avant et son visage se cachait derrière sa chevelure grasse. Tout le personnel de l’hôpital le considérait comme un cas irrécupérable. Pourtant s’il était apparu dans une cuve nourricière, c’est qu’il devait bien avoir un rôle à jouer.

Le temps avait accompli son œuvre et la camisole lui fut retirée, même s’il restait sujet à des réactions inattendues.

Elle avait appris un jour en discutant avec son médecin traitant qu’il était l’une des victimes du protocole de Von kanf. Sa compagne à bout de force l’avait quitté et il ne recevait, depuis, plus aucune visite. Elle lui demanda si elle pouvait l’interroger, à la suite d’un incident produit il y a peu avec un autre patient.

Son cas l’intriguait, plus qu’elle ne voulait se l’avouer.

Établir un lien même avec les sujets les plus désespérés pour comprendre leur pathologie faisait partie de sa formation pour devenir à son tour psychiatre.

L’autorisation lui fut accordée.

                                                          ***

Assis sur une chaise, les cheveux tirés en arrière, le dos bien droit, une main posée sur la table qui faisaient partie du mobilier minimaliste de sa cellule. Son regard fixé sur l’un des murs, il semblait ailleurs.

Elle entra sans qu’il affiche la moindre réaction, lui lança d’une voix mal à l’aise, et s’installa en face de lui.

– Bonjour

Il tourna vers elle un visage inexpressif.

– Encore un nouveau médecin.

Il ressentit aussitôt sa gêne, elle entama le dialogue mal à l’aise, avant de toussoter pour le lui confirmer

– Oui, tout à fait…

Il lui demanda.

– Vous avez besoin d’aide ?

Elle tenta de prendre plus d’assurance.

– Non, Keleks, tout va bien et vous, tout va bien ?

Il la fixait du regard, une vautoure comme lui, et la trouvait plutôt séduisante.

– Tout va bien puisque vous venez de le dire. C’est vous la spécialiste, si vos déclarations ne sont plus dignes de confiance à qui pourrais-je me fier ?

Il pivota sur sa chaise pour lui faire face.

Elle débuta.

– Je venais pour parler de l’incident d’hier, vous avez assisté un patient qui tentait de se pendre, pouvez-vous m’en expliquer la raison ?

Il croisa ses doigts entre ses mains, et répondit d’une voix posée. Sa diction était claire, bien loin de ce qu’elle s’était imaginé en l’observant à travers le miroir sans tain.

– Il prétendait qu’il n’était pas fou, j’ai voulu l’aider.

Puis bascula sur un autre sujet.

– Alpha Bravo Charlie Delta Écho Fox trot Golf Hotel Indian… il fit une pause et rajouta Juliett, pourquoi Juliette, selon vous ?

Elle inspira, lui répondit à la va-vite et continua de l’interroger.

– Parce que ça commence par la lettre J je suppose, vous êtes médecin ?

– Non

– Dans ce cas, vous n’êtes pas habilité à déterminer son état de santé, et qu’est-ce qui vous dit qu’il ne l'est pas justement ?

– Rien, mais n’est-ce pas un peu ce que vous faites tous les jours avec vos patients, qu’est-ce qui vous dit qu’on est fou après tout, on n’arrête pas de vous répéter le contraire.

Puis il se pencha légèrement sur la table et lui confia.

– Le prénom Juliette comporte huit lettres.

La vautoure sentait qu’il esquivait les questions et s’impatientait.

– Nous détenons un malade dans l’aile nord qui prétend changer de génome quand il enfile une combinaison moulante, ce n’est pas de la folie, selon vous ?

Il haussa les épaules.

– Question de point de vue.

Elle soupira, dépitée par sa façon d’appréhender le réel.

– Écoutez Keleks, vous ne devez plus recommencer, sinon vous savez ce qui va arriver ?

La demande sonnait comme une menace. Elle le laissa sans la moindre réaction.

Deux jours plus tard, elle apprit qu’il s’était évadé. De quelle manière ? Tout le monde l’ignorait.