Sous la tempête
Comme un écho à ses pensées, la pluie vint brutalement se déverser en de fins filets serrés comportant dans le même temps de minuscules flocons de neige. Il faisait tout juste assez chaud pour que cette pluie battante remplace les bourrasques de neige, communes à cette période, ici à Doel.
Philippe eut tout juste le temps de rabattre la capuche de son blouson, en cuir, noir avant de s’avancer vers Marion et Antoine, le policier qui s’occupait de recueillir la déclaration de la jeune femme. Ses bottes noires, au style militaire, s'enfonçaient dans la terre molle rendue humide par le climat des derniers jours. Marion aurait pu jurer que son conjoint ne l’avait finalement pas vue. Mais c’était sans compter la trajectoire de celui-ci, qui se dirigeait droit vers elle, tel un faucon voulant attraper sa proie.
Mal à l'aise, l’institutrice tenta un sourire toutefois l’expression que Philippe lui rendit la glaça. Elle était vraiment dans le pétrin. Le quarantenaire avait les cheveux bruns coupés à ras et des yeux légèrement étirés qui lui donnèrent ainsi un air sérieux, presque glacial, comme si le monde, sous ses pupilles, était directement analysé sous toutes ses coutures, son expression était impénétrable. Un très mauvais signe pour le restant de la journée à venir.
Arrivé à leur niveau, le médecin légiste zieuta Marion de la tête au pied, cherchant à comprendre comment sa femme avait pu se retrouver là, en présence d’un sujet post-mortem. Au vu de son accoutrement, sa tenue habituelle pour voguer dans les entrailles de lieux laissés pour compte, qui consistait en un legging noir en polaire, des bottes rangers, sa doudoune vert forêt et son indispensable cache-cou lui remontant jusqu’aux lèvres, d’ailleurs rouge sang à cause de ses mordillement intempestifs lorsqu’elle se sentait anxieuse ou stressée. Ajouté à ça son sac à dos rouge, typique des aventures extra-urbaines. Sans aucun doute, Marion n’avait pas suivi sa recommandation d’attendre avant d’explorer cette vieille piscine, qu’ils avaient pourtant déjà arpentée en long, en large et en travers.
Et voilà où cela l’avait menée cette fois, en présence d’un corps sans vie, principal témoin d’une scène de crime où il devait opérer pour espérer connaître l’histoire se cachant derrière le défunt. Dire qu’il était passablement irrité de retrouver sa compagne au milieu d’une affaire de ce genre, serait un euphémisme.
Il expira bruyamment, tenta de reprendre un calme royal dans son intérieur, les explications publiques, très peu pour lui, mais en rentrant chez eux, Marion pouvait être certaine d’en laisser des plumes. Il était très protecteur avec la jeune femme, de part son métier, l’humain lui faisait peur, cette espèce était capable du pire comme du meilleur, et lui, chaque jour, ne voyait que ses monstruosités. C’est dans cette optique qu’il préférait prendre part à la passion pour l’urbex de sa femme, Il s’imaginait souvent incapable de la protéger, ou qu’elle tombe sur une mauvaise rencontre. Elle n’était pas fragile pour autant, cependant,la vie ne l’avait déjà pas épargné, il voulait être sa bulle de protection contre les menaces du monde.
Marion ne s’en était jamais plaint, bien au contraire, son comportement d’ours mal léché, elle l’adorait. C’est pourquoi, elle s’attendait à ce que Philippe d’un ton froid n’explose face à sa non vigilance.
Contre toute attente, le noiraud prit la parole d’un ton calme, presque doucereux, comme s’il lui signifiait silencieusement d’attendre qu’ils soient seuls pour une discussion qui promettait d’être houleuse.
- Où est le corps exactement ? Philippe ne laissa pas le temps à la rousse de dire quoique ce soit, il passa devant elle sans lui accorder un seul autre regard.
Sa voix ferme et tranchante était le signe qu’il était redevenu le médecin légiste, l’homme méthodique qui analysait les morts avec une précision chirurgicale. Marion eut un pincement au cœur, cette réaction était bien plus violente pour elle que la tempête à laquelle elle se préparait. Cette ignorance volontaire était peut-être pire qu’une remontrance immédiate. Elle tenta d’attraper un bout de sa manche de blouson, mais Philippe ne lui en laissa pas la capacité, il s’était déjà mis en face d’elle, à côté du policier.
Antoine regardait cet échange silencieux entre les deux conjoints, se demandant lequel des deux allait malencontreusement lancer les hostilités par une de leurs phrases malheureuses. Le policier avait l’habitude de ces discussions tacites pour les avoir déjà vus à l'œuvre lors d’une soirée chez Marius, le meilleur ami du médecin légiste.
- La victime se trouve dans l’unique bassin de l’ancienne piscine municipale, d’après les premières observations, il semblerait que ce soit un suicide, un adolescent, on va vite chercher dans les disparitions inquiétantes si l’un des signalement pourrait correspondre avec le physique de la victime.
En attendant, je vais interroger Madame, sur son implication ici. Heureusement ou malheureusement, ses dires pourront être vérifiés grâce à la vidéo qu’elle tournait en découvrant le corps. Expliquait Antoine. Il lança ensuite, à la dérobée, un regard allant de Marion à Philippe, se demandant si par ses déclarations, il ne serait pas la goupille sautée qui ferait exploser le calme factice entre eux.
- Marion… Le brun se pinça l’arête du nez, un soupir d’exaspération franchissant ses lèvres. Tu réalises dans quelle situation tu t’es mise ? Il laissa planer un silence avant d’ajouter, plus bas, sans toutefois la regarder une seule fois, Et cette fois, tu as une preuve irréfutable de ton effraction. Bravo.
Marion croisa les bras, un signe chez elle qui démontrait un refus de se laisser piétiner encore longtemps. Oui, elle avait fait une erreur en venant ici seule, au lieu de l’attendre mais bon sang, elle n’était plus une enfant, et se faire humilier de la sorte devant Antoine c’était la goutte d’eau qui faisait déborder le vase. Le trop plein d’émotions qu’elle ressentait suite à toute cette situation l’a chamboulée à tel point qu’elle préférait se rendre encore plus cassante qu’il ne l'était.
Alors le menton relevé comme pour défier son conjoint de continuer sur sa lancée, la jeune femme prit un air revêche, sa voix faussement tendre s’éléva dans l’air, comme un couperet, tentant de couper court à ce qu’il se passait.
- Ah, mais j’en suis ravie. Au moins, cette fois, j’ai de quoi étoffer mon album de souvenirs compromettants, à quoi s’ajoutera toutes nos escapades où Monsieur a autant pris de plaisir que moi ! Soudain, Marion reprit une respiration autant pour retrouver sa tranquillité d’esprit que pour murmurer blessée. Cesse ce ton infantilisant, vouloir me protéger est une chose mais me traiter comme un gosse, très peu pour moi, surtout aux yeux de tous.
Philippe ne répondit pas immédiatement, les mâchoires serrées, les yeux désormais fixés sur le visage de Marion, qu’il voyait maintenant pâle, il prit conscience qu’elle était touchée autant par le drame découvert que par ses actions. Son inquiétude pour elle n’avait été témoigner que par sa froideur alors que la jeune femme aurait tellement eu besoin de soutien, de réconfort. Les torts étaient partagés.
- Marion… Tenta t’il rongé par la culpabilité malgré tout, sa voix, avait retrouvé une teinte chaude.
De son côté, l’enseignante se pinça les lèvres, se refusant de croiser son regard, qui elle en était sûre, comportait toute sa culpabilité et son inquiétude, ce qui aurait suffi à la désarmer. Seulement elle était trop heurtée. Sa fierté en avait pris un coup.
Elle inspira donc, profondément, ravalant une réplique acerbe, ce n’était ni le lieu ni le moment, plus tard, une conversation s’imposerait, quand tous deux se seraient remis de tout cela.
Pour sa part, Antoine ne savait que faire, rester ou partir discrètement laissant les deux amoureux, l’une blessée, l’autre froid mais inquiet. Cependant, il devait interroger Marion ou tout du moins récupérer le fichier vidéo qu’elle possédait.
Un silence pesant s’installa pendant quelques secondes. Un temps infini pour Marion qui frissonnait de froid, d’épouvante et de contrariété. Philippe ne la lâchait plus des yeux, s'empêchant de la prendre dans ses bras, de se faire pardonner immédiatement, d’avoir une conversation qui remettrait tout à plat comme ils en avaient l’habitude. Non, le professionnalisme était de rigueur, un adolescent attendait d’être identifié, de délivrer ses derniers secrets, une famille se faisait sans aucun doute du mouron et attendait des réponses. Le deuil, dans n’importe quelle circonstance est une étape difficile, mais plus encore lorsque l’on reste dans l'incertitude, quand l’espoir étreint encore notre cœur alors que notre tête se prépare déjà à l'inimaginable.
Un souffle imperceptible, un dernier regard et un détournement.
- Le périmètre a été bouclé ? Demanda finalement Philippe à Antoine, qui sursauta de cette soudaine attention portée sur sa personne alors qu’il s'efforçait d’avoir l’air d‘être pris dans son carnet de note.
- Tout à fait, un moment de flottement, de tel sorte qu’il puisse se réancrer dans l’enquête, ils ont même mis en place un sas de neutralité pour que vous puissiez mettre vos équipements afin d’éviter de contaminer la scène. Antoine se gratta l’arrière de la tête, fis un bref hochement de salutation au quarantenaire, avant de se diriger vers l’arrière d’un des véhicules de police présents, afin d’y attendre Marion.
Enfin, une phrase malheureuse, qui fit écho à la détresse d’une femme qui voyait son espoir d’être quand même prise dans une étreinte chaleureuse, rassurante, se brisait en éclat. L’indifférence, l’impassibilité et la froideur lui firent mal.
La pression redescendant, les nerfs étaient à vif, si bien que ses yeux s’embuèrent de leurs propres initiatives. Il ne fallait surtout pas craquer, plus que l’humiliation, la rousse détestait tout particulièrement de se montrer affaiblie.
L’odeur de la terre mouillée se mêlait aux relents de moisissure qui s’échappaient de la piscine abandonnée et enveloppait les équipes. Sous les bruits incessants de la pluie, le médecin légiste amorça quelques pas dans le but de s’éloigner de toutes conversations houleuses ou non, il fallait qu’il se concentre sur son travail, ses ressentis pour en tirer les meilleures constatations. il se stoppa pour se retourner vers la jeune femme.
- Tu devrais rentrer immédiatement après ton entretien avec Antoine, si tu le souhaites toujours, on aura une discussion à mon retour. Son ton était plat, comme déjà las. Son travail était sa passion mais parfois, il aimerait seulement se retrouver sous une couette chaude, devant un quelconque film ,alliant action, science fiction et romance, que sa femme affectionnait tout particulièrement. Il l’aurait gardé dans ses bras, humant son parfum et se serait endormi comblé de la savoir protégée, heureuse et épanouie.
Au lieu de ça, leurs traits fatigués attéstaient d’un quotidien à mille à l’heure. Il se passa une main sur sa nuque raide, mettant ainsi fin à ce moment.
- Je ne comprends pas pourquoi tu veux que je parte… Lâcha l’exploratrice urbaine, d’une voix tendue, incertaine, dans l’attente d’une dernière marque d’affection que pourrait lui manifester son conjoint. Elle recommença avec espoir : Je pourrais, je ne sais pas t’attendre dans la voiture et-, se coupa -t-elle quand la crispation des mâchoires de son vis à vis se vit. Non je-, laisse tomber, je vais rentrer seule.
Philippe expira, profondément, touché que sa femme puisse le comprendre rien qu’en observant sa gestuelle. Il n’avait pas envie de parlementer, il voulait juste faire ce qu’il avait à faire et la rejoindre au plus vite.
- Ce n’est pas ta place, Marion. Reste en dehors de l’enquête s’il te plait, juste dépose ton fichier, expédie l’interrogatoire et réchauffe toi, tu trembles tellement chérie. Tu as déjà vu assez d’horreurs pour ce soir.
- Et toi alors ? Tu crois que ça t’épargne ?
Il ne répondit pas tout de suite. La pluie ruisselait sur son blouson de cuir, dessinant des sillons sombres. Derrière eux, la piscine avalait la lumière des gyrophares dans un silence lugubre.
- Je fais mon boulot, c’est tout, murmura-t-il finalement.
Marion eut un rire sans joie, consciente de la réalité du métier de son conjoint.
- Toujours aussi doué pour éviter les vraies questions. Je t’attendrais à la maison…
Elle secoua la tête et tourna les talons, s’éloignant sous l’averse afin de rejoindre Antoine qui l’attendait au loin dans une des voitures de police stationnées. Philippe la regarda longuement avant qu’elle ne disparaisse dans l’habitacle, protégée désormais du froid et de la pluie, il poussa un profond soupir de frustration. Il n’avait pas le luxe de penser à ça maintenant. Derrière lui, Marius l’attendait, son carnet à la main et un air grave sur le visage.
Ce dernier ne bougea pas immédiatement lorsque le médecin légiste avança à sa rencontre, observant la piscine d’un air soucieux, son carnet serré entre ses doigts.
- Un problème ? demanda Philippe, piqué par son silence.
Marius sembla hésiter, puis il releva la tête vers lui, l’air grave.
- Je ne veux pas m’avancer… Mais je crois que je connais ce gamin.
J'avoue n'avoir jamais été très patiente, mais, tes chapitres détruisent le peu de patience que j'ai habituellement ! Vraiment hâte de lire la suite !
Ça ça reste à découvrir, il faut encore attendre un peu pour trouver complètement qui est ce fameux adolescent.
En tout cas merci beaucoup pour tes retours, cela m'aide à rester motiver pour écrire.
Belle journée à toi et promis, je repasse bientôt sur tes histoires pour satisfaire mon envie insatiable de lecture.