Chapitre V

Nilem ouvrit les yeux. Il avait le week-end devant lui. La nuit fut longue, reposante, et pleine de rêves. Il s’en réjouit, il adorait son imagination. Plus que sa mère. A cette pensée cynique, il souria. 

Il avait la journée devant lui à traîner, rêvasser, imaginer, vivre. 

Ce fut son ventre qui le poussa en dehors de son lit, le plongeant directement dans l’ambiance froide de la maison. Il se vêtit alors, sans prendre la peine d’enlever son pyjama sous son pull et pantalon. Il prit son verre de jus de fruits quotidien et regarda par la fenêtre. Il pleuvait. Génial. C’était gé-nial. 

Les passants s’affairaient, toujours pressés par il ne savait quoi, à croire qu’une épée s’abattait sur eux dès qu'ils ne prenaient pas le temps ou qu’ils ne l’optimisaient pas assez. A vrai dire, Nilem les comprenait. Il était comme ça aussi à l’école, c’était la faute du système comme son père disait souvent. Il faut se presser, pas gêner, pas faire un pas de trop ou de côté. Il répétait aussi cette phrase : 

- C’est lorsque tu comprends ce qui t’entoure et que tu comprends à quel point tu es enfermé que tu commences à devenir libre. A jouer avec ses carcans, à jouer avec la philosophie, à jouer avec les règles, à vivre.

Là, ce week-end , Nilem se sentait libre. Il fit un tour sur lui-même, comme exécutant un pas de danse, et finissa dans sa chambre. 

Son père. 

Il lui manquait.

Les bras levés vers le plafond, la tête droite, il se hissa sur la pointe des pieds et se laissa tomber sur son matelas.

Son père.

Nilem ferma les yeux.

 

 

Il sortait de classe. Avec son cartable à roulette plié et rangé sur son dos, dépassant de quelques centimètres de chaque côté de son corps, Nilem marchait, le sourire aux lèvres vers la sortie de l’école. Il savait qu’il était attendu. 

Il discutait avec un ami à lui, il s’appelait Yseulte. Le regard vif, des cheveux frisés, bruns, courts, c’était l’un des meilleurs amis de Nilem. Ils jouaient aux toupies ensemble. Alors qu’ils étaient plongés dans une discussion animée, Nilem entendit une voix familière lui arriver aux oreilles : 

- Je suis là ! 

C’était son père, il lui faisait des gestes amples avec ses bras. Il lui indiqua de se dépêcher en bougeant rapidement son avant bras vers lui. Nilem ne savait pas d’où ça venait ni pourquoi on faisait ça mais après avoir rapidement dit au revoir à son ami, il s’en alla le rejoindre de l’autre côté de la route. 

Une fois à son niveau, celui-ci lui passa la main dans les cheveux et lui demanda s' il avait passé une bonne journée. Après un court échange de banalité, Nilem s’asseya sur le siège passager. Il n'avait pas le droit normalement mais son père lui laissait cette liberté donc il ne la laissait pas s’échapper. Ils devaient, avant de rentrer à la maison, aller chercher le pain.

Après cette légère tâche, ils poussèrent la porte d’entrée. Sa maman était là, debout dans le salon, les mains sur les hanches. Nilem souria et se jeta dans ses bras. Son père la salua aussi d’un baiser. Nilem était d’autant plus content car ce soir c’était foot ! Entraînement avec les copains, leur petit rendez-vous d’après cours, quelques fois par semaine. Il balança alors son sac sur son lit, se changea et sortit de sa chambre, les crampons à la main.

- Je suis prêt !

Sa mère se rapprocha de lui et, lui tirant légèrement la joue,

rétorqua : 

- Il faut que tu goûtes avant, pour que tu sois en forme.

En partant direction la cuisine, sa mère lui passa la main dans les cheveux. Nilem n’aimait pas ça, souvent, elle était trop tactile avec lui, elle profitait de la moindre occasion pour le toucher. Mais Nilem ne disait rien, c’était sa mère, et c’était sûrement pour montrer l’amour qu’elle avait pour lui. Et de toute façon, elle était pire avec son père, elle était tout le temps en train de le câliner, de lui faire des papouilles… À croire qu’ils avaient seize ans et que c’était leur premier amour. 

Fin ça dépendait des jours. Il y avait des fois où c’était tout le contraire. Sa mère avait toujours été comme ça, changeante. Son père lui avait expliqué qu’elle était bipolaire. Nilem ne savait pas ce que ça voulait dire, peut-être de l’anglais, il pensait ça parce que son papa parlait dès fois cette langue quand il racontait sa journée. 

Une fois le ventre plein, ils s’en allèrent au terrain de football, à cinq minutes de route environ. Comme d’habitude, il le déposa rapidement, ne pouvant pas se garer sur la route rapide passant devant le terrain. Il disait toujours qu’elle était dangereuse. Ce jour-ci, il ne l’avait pas rappelé. Il aurait dû. 

L’entraînement se passa particulièrement bien, le coach leur avait fait jouer un long match, pendant presque une heure, chose extrêmement rare et que l’équipe appréciait particulièrement. Nilem avait même marqué sur corner, se faisant gratifier par toute son équipe. Suite à une douche prise avec ses potes, dans une ambiance euphorique, il tardait à Nilem de rentrer à la maison. 

Une fois au portail du terrain, face à la route, il vit la voiture de son père arriver.

Sans plus attendre, Nilem commença à courir vers elle. D’un commun accord, lui aussi se projeta vers Nilem au pas de course. L’enfant, conforté par le sentiment partagé de retrouvaille avec son père, accéléra son pas de course, ce qui l’aveuglait encore plus du monde extérieur. 

Il n’aurait pas dû.

Ce fut peu de temps avant que Nilem compris. Que trop tard. Le bruit de klaxon était parvenu à ses oreilles, il avait fait une erreur monumentale. Son excitation lui avait fait oublier cette règle pourtant si simple : regarder à droite et à gauche avant de traverser.

Ce ne fut pas un câlin que Nilem reçut de son père mais un placage qui l’emmena valser plusieurs mètres plus loin, lui permettant d’esquiver de peu la voiture, qui, malgré son freinage, n’avait pas réussi à stopper sa course avant.

Sur le dos, les yeux grands écarquillés, le souffle coupé, Nilem respirait à grande peine. Tout c’était passé trop vite. 

Il se releva, non sans peine.Son souffle se coupa encore plus.

Son père n’était pas là, devant lui.

Avec des yeux hagards, il chercha éperdument autour de lui.

Lorsqu’il le vit, là-bas, étalé sur la route, plusieurs mètres plus loin, la vue de Nilem se brouilla et il plongea dans l’inconscience…

…Il se réveilla dans un lit d’hôpital. Sa mère était à ses côtés, en larmes. En un regard, il comprit. Elle ne pleurait pas pour lui.

Un vide se créa dans son ventre. Il ferma les yeux. Il se sentit aspiré, attiré par le lit, comme s' il tombait dans le vide infini, sa tête tournait. Il avait mal au ventre. Une envie de vomir, le goût du sang dans la bouche. Ses membres étaient lourds, impossible à bouger. C’est donc ça la sensation de perdre un parent ? C’est donc ça d’avoir causé la mort de son père ? A cette pensée, le corps de Nilem se secoua, en proie à des spasmes incontrôlables. Ce fut la main de sa mère, froide, qui se posa sur son avant bras qui le sortit de sa stupeur. Elle lui dit alors, dans un souffle : 

- C’est pas de ta faute, on va s’en sortir.

Ah oui, elle disait cela parce que Nilem avait oublié de préciser que sa mère n’avait pas de travail, dû à sa maladie mentale.  

Tout était allé très vite. 

Peu après l’enterrement et les papiers administratifs réglés, sa mère avait rapidement décidé de déménager, ne supportant pas de vivre dans un endroit qui lui faisait penser à lui. 

Ils avaient donc changé de ville, Nilem avait dû faire une croix sur tous ses amis. 

Leur nouvel appartement était beaucoup plus petit, seulement trois pièces, deux chambres et une cuisine faisant office de salle à manger. Ils s’étaient retrouvés dans un petit village, trop petit pour accueillir une cantine pour son école primaire. Sa mère avait assez rapidement trouvé un travail, Nilem ne savait où ni ce qu’elle faisait. 

Depuis la mort de son père, sa mère lui adressait de moins en moins la parole, jusqu’à plonger dans un quasi mutisme. Il s’en voulait. Il savait au fond de lui que c’était de sa faute tout ça. Sa mère n’avait cessé de lui répéter que non, qu’il l’avait sauvé, que c’était son choix, à son père. S' il avait voulu, il l’aurait juste laissé se faire écraser. Mais il ne l’avait pas fait, c’était son choix. A chaque fois que sa mère lui disait ça, Nilem haussait les épaules, il n' était pas si sûr. Après tout, c’est le devoir d’un père de sauver sa famille, c’est ce que disaient les dessins animés qu’ils regardaient ensemble, son papa et lui. Il disait pourtant que c'était faux, que les papas ne sont pas là pour protéger la famille. Il venait de prouver le contraire. A croire qu’il l’aurait vraiment pas fait exprès de se jeter sous la voiture à la place de Nilem. 

Le pire dans tout ça, c’était l’état de sa mère. En perdant sa béquille, elle en avait perdu l’équilibre. Ses sauts d'humeur étaient plus récurrents, plus intempestifs, plus violents. Elle avait trouvé pour refuge l’alcool, il l’aidait à se canaliser. Plus on s’éloignait de la mort de son père, moins sa mère se gérait, elle semblait toujours plus perdue, à ne pas savoir ce qu’elle faisait dans cette vie. Elle avait fondé tout espoir dans cette relation, elle qui n’avait pas eu une enfance facile. Maintenant, elle n’avait plus de repères, plus de refuge, plus de raisons de revenir à la raison.

Boire pour oublier n’était pas une expression légère où une blague peu fine que peuvent faire certains avant de se servir un verre, c’était vrai. Elle buvait pour se sentir légère, pour se sentir comme si elle était dans ses bras, se rapprochant de là-haut, comme sur un nuage. Elle le faisait la nuit, seule, croiser le regard de son fils dans ces moments lui était insupportable, cela la ramenait immédiatement sur Terre. Il était là, bien là, droit, le visage creux, le regard hagard, à la regarder comme si ce n'était pas sa mère. Pourtant c’était bien elle, une mère à moitié, une moitié de parents. Elle détestait ça, et il le savait. Elle savait qu’elle avait tort, elle savait que c’était pas de sa faute mais un peu quand même. En fait, elle en savait rien.

 

 

Un étaux lui pressait la tête. Repenser à toute cette histoire le bousculait toujours. Lui aussi, il avait perdu un repère, une stabilité qui remettait aujourd’hui sa vie en question. Nilem n’était pas comme sa mère, il s’en serait sorti, s' il était assez grand. 

Il rêvait d’être grand, il lui tardait. Il pourrait enfin être libre, faire ce bon lui semble, aller où il voulait aller, rêver autant que son cerveau lui permette, vivre ailleurs.A vrai dire, de sa vie d’adulte, il en savait rien non plus. 

Il souria : sa mère et lui étaient tous deux aussi perdus que l’autre. 

Il était déjà tard, à chaque fois qu’il plongeait dans sa tête, le temps passait étrangement vite, il se disait peut-être que c’était parce qu’il y avait beaucoup de détails. 

Le reste de la journée passa plus lentement, il mangea rapidement ce qu’il avait trouvé, le repas du soir était, comme à son habitude, accompagné par le silence et les bruits de bouche de sa mère.

Elle ne revint même pas sur l’incident de la veille, peut-être trop honteuse, en parler serait avouer d’en avoir été conscient. Se plonger dans un mutisme profond n’avoue rien, laisse juste les questions en suspens. Nilem n’en avait que faire, lui non plus ne voulait pas en parler. Il se demanda même s' il n' avait pas plus honte que sa mère de cet incident. Après tout, c’était lui le coupable à l’origine de la mort de son père et donc de tout ce qui arrivait jusqu’à présent.

Une larme coula le long de sa joue. 

Sa mère, sans y prêter plus attention que ça, lui ordonna d’aller au lit, qu’elle se chargerait de faire la vaisselle. 

Nilem, la tête baissée, ferma la porte derrière lui. Cette fois-ci, il ne lui fallut pas attendre longtemps avant d’entendre les pleurs de sa mère. 

Sans attendre, il se glissa sous sa couette. Ce soir, il en était persuadé, elle ne viendrait pas.

Il s’endormit. 

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