Chapitre VI

Auguste montait son cheval, il trottait sans peine, l’air réchauffé sortait de ses naseaux sous forme de fumée. Ca faisait déjà plusieurs jours que le dirigeant du dixième Tsev s'était éloigné temporairement de Fort-Dragor. 

Accompagné d’une centaine de ses hommes, ils formaient un énorme cortège de guerre. 

Il le fallait bien. En dehors de la cité, c’était le chaos partout. Tout le monde se  battait pour des terres, des richesses, du pouvoir… C’était ça qu’Auguste était venu chercher. C’était pour ça qu’avec cent hommes, ils avaient traversé le désert. 

Cela paraissait simple, bénin pour eux. 

Cela ne l’était pas du tout. Le dixième Tsev était collé au désert, ils avaient acquis des connaissances bien supérieures par rapport au reste du monde. Des connaissances partagées de famille en famille, manuscrites et étudiées. Cela servait donc au dixième Tsev mais aussi à toute la cité de garder sa domination sur ce terrain, empêchant quiconque d'avoir une seule chance de pouvoir les vaincre en passant par là. Comme aimait dire le professeur d’Auguste quand il était petit,

- Ce n’est pas en pensant qu’on maîtrise quelque chose qu’il est l’heure de la laisser de côté, sinon, la nature reprendra ses droits et la paresse nous touchera. 

En repensant à lui, Auguste souria. Ce même professeur était venu lui rendre visite pour lui faire la morale sur ses manières de faire, d’exercer son pouvoir. Comme si une vieille branche de plus de 80 pouvait lui expliquer quelque chose. 

Il l’avait tué.

Pas lui, de ses propres mains, non, Auguste ne faisait jamais ça. Il l’avait commandé à sa garde une fois que son vieux professeur avait quitté la pièce. Évidemment, officiellement, il était mort de vieillesse. La vieillesse tue souvent dans son Tsev malheureusement.

 

Le ciel était au zénith quand Auguste tapa sur le col de son cheval, lui intimant de s’arrêter. Il scrutait tout autour de lui, loin derrière les dunes qui entouraient son cortège. En baissant son bras, ses hommes, d’un commun accord, se remirent en marche, laissant leur dirigeant derrière eux. 

Ce fût lorsqu’Ilem passa devant lui qu’il reprit sa marche. Il voulait lui parler. 

Ilem était un écrivain de la cité. Reconnu, vivant au cinquième Tsev. Auguste était rentré en contact avec lui pour ses qualités de scribe et d’orateur. Ilem était capable de parler la langue que les étrangers parlent en dehors de Fort-Dragor. 

Ce traducteur était un élément essentiel de cette excursion. Il avait même eu le droit à un cheval, chose que certains soldats n’avaient même pas eu le luxe de se voir offrir. 

Une fois à sa hauteur, Auguste l’interpella : 

- Bonjour, Ilem.

- Bonjour, Sir Auguste, puis-je vous être utile ?

A ces mots, le traducteur avait baissé la tête, avec révérence. 

Sur les ordres de son supérieur, il se redressa et lui conta ce pourquoi il était dans ce convoi, à ses côtés.

Ilem en savait quelques lignes, on ne lui avait pas dit grand chose si ce n’est d’accepter afin d’éviter les représailles. Il s’était donc retrouvé là, quittant sa bibliothèque. 

Après avoir récité ce qu’il savait de ce qu’on attendait de lui, Auguste lui rétorqua : 

- Tu as l’air d’être un homme intelligent, Ilem, j’aime bien les hommes intelligents, tant qu’ils sont dans mon camp. Qui est ton dirigeant, Ilem ?

A ces mots, Auguste esquissa un sourire qui faisait froid dans le dos. 

- Epsis, dirigeante du cinquième Tsev, conseillée par Nyx. 

- Bien, bien. Nous nous retrouverons demain, quand il sera l’heure de parler aux étrangers.

- Bien, Sir, à demain. Portez vous bien.

Auguste fit claquer ses talons et laissa son traducteur derrière lui. 

Ilem était dans ses pensées. Cet homme paraissait à la hauteur de sa dangerosité avertie par nombre de ses collègues et des ouvrages qu’il avait étudiés.  

Il se disait qu’Auguste était un homme vil, fourbe. Ilem le savait, après sa mission mise à bien, si elle lui permettait d’avoir trop de renseignement par rapport à quoi que ce soit (ce qui était très probable), il allait sûrement mystérieusement disparaître dans le désert au retour, comme par hasard. Auguste était connu pour ce genre de pratique sinistre mais était bien trop haut placé pour que quiconque n’ose s’interposer. 

Le Roi n’en n’avait que faire, tant que le Tsev tenait la route et qu’il en entendait pas trop parler, c’était que ça allait. 

Cela faisait maintenant des années que le Roi avait lâché les rênes du contrôle sur ses Tsevs, sa vieillesse avait petit à petit profité aux différents dirigeants qui y voyaient là une opportunité pour leur conférer pleins de pouvoir. 

Auguste faisait partie d’eux. 

Ilem le savait très bien, il faisait partie des intellectuels de la ville, ceux qui savaient lire, écrire et, comme lui, parler des langues étrangères. Ils lisaient tout dans les livres, tout dans l’histoire, tout dans ce qu’il se raconte et peu de choses leur passait à côté. 

Ils étaient dangereux pour les pouvoir mis en place profitant du système et Ilem avait bien compris qu’Auguste le savait. 

 Si il le fallait, ce dirigeant l’aurait commandité de suivre sa troupe pour seul but de le faire disparaître. Il n’en savait rien de quand ni comment mais le traducteur le sentait. Il était sur ses gardes et le resta jusqu’à la nuit, là où il se laissa choir sur le sol, proche d’un des dix feux aux alentours. De toute manière, ce qu’il se passait dans son sommeil ne lui était pas maître.

 

 

Nilem leva brusquement son buste, dimanche. On était déjà dimanche. Le week-end passait trop vite. Il se rallongea dans son lit, en essayant de retrouver le rêve qui s’était achevé trop tôt. Souvent, il n’y parvenait pas. 

Cette fois-ci, il se sentit aspiré.

 

 

Le ciel était couvert de nuages, annonciateur qu’on se rapprochait des frontières du désert. C'était logique, pas d’humidité, pas d’eau qui remonte vers le ciel, pas de nuages ni de pluie. Cela faisait longtemps que cette théorie était avancée dans les écrits de la cité et Ilem l’aimait particulièrement. Très terre à terre, très pragmatique. Cette théorie se confirma, à peine une heure plus tard, voilà les contrées arides de Mesotops, s’étendant devant les yeux du convoi. 

Ces terres étaient reconnues pour être hostiles, manquant tout autant d’eau et de vie que le désert, avec pour seule différence des rochers s’élevant à des hauteurs vertigineuses, dont certains étaient presque plus hauts que le Palais royal. 

C’est ce qu’il se disait. Ilem ne s'était jamais aventuré jusqu’ici, c’était une des raisons d’ailleurs qu’il avait accepté sans conditions et sans faire de zèle de suivre Auguste. Il était curieux de savoir.

Les sabots de son cheval claquaient sur la terre sèche, la lumière peinait à se glisser entre les pylônes de roche, faisant frémir et hérisser les poils d’Ilem. 

Il était impossible de les escalader de quelconque manière. Il y était inscrit dans les livres que certains pouvaient. Il en demeurait sceptique, ça paraissait impossible. 

Un guide accompagnait aussi l’escadron, permettant ainsi de ne pas se perdre et aller au plus vite vers la plus grande civilisation de Mesotops, située d’après ses dires, à quelques heures. Ainsi, et comme c’était prévu, ils allaient pouvoir arriver à leur objectif final avant la nuit. 

Ces dernières heures furent longues. Non pas que la traversée du désert fût courte mais devoir être à l’affût, prêt à la moindre attaque à chaque instant était très pesant pour Ilem. Il en n’avait pas l’habitude. Il regardait autour de lui et le regard, vif, alerte, cachant une certaine inquiétude des gardes marchant à ses côtés le rassurait. Eux aussi, malgré leur expérience, avaient peur. 

Ce n’était pas arrivé depuis des décennies qu’un dirigeant de Tsev s’aventure aussi loin dans les terres étrangères. Ce n’était pas pour rien, ça devait être particulièrement important. Le convoi était à la hauteur du phénomène, quand bien même ils se faisaient attaquer, Ilem doutait qu’un quelconque assaut arrive jusqu’à lui, jusqu’à sa mort. 

Il y pensait bien d’ailleurs, à la moindre trace d’un quelconque risque, il savait pertinemment qu’il lancerait son cheval sur le chemin du retour, vers son chez lui.

Pourtant, il n’en fut rien. Jusqu’à arriver à la cité principale de Mesotops nommée Mesotopia par les savants de la cité de Fort-Dragor, ils n’avaient aperçu personne, aucune âme qui vive. 

Seules les flammes des torches postées sur les murs de Mesotopia, visibles lorsque le convoi s’est approché, montraient un signe de vie. Elle était bâtie entre les hauts pylônes surplombant les environs, incrustés dans les murs mêmes de la cité, ajoutant une dimension d’immensité à ce lieu regorgeant de vie.

Ilem en resta bouche bée. Malgré le fait qu’elle soit beaucoup plus petite que Fort-Dragor, Mesotopia n’en restait pas moins impressionnante, parfaitement implantée dans son environnement, elle dominait les environs et montrait la puissance de ceux qui dirigeaient et vivaient dans l’enceinte de ces murs. 

Un long chemin de terre aplati par les différents passages montrait le trajet le plus court pour accéder aux portes de la cité. 

Avant d’y arriver, Ilem avait été convié à passer tout devant, aux côtés d’Auguste, afin d’assurer directement la traduction.

Là aussi, étonnement, il n’en fut rien, à peine le convoi s’était-il arrêté devant les larges battants de la porte principale que celle-ci s’ouvrit sous leur yeux, leur laissant le passage libre. 

Ilem leva un sourcil, qu’est ce que cela voulait bien dire ? D’un rapide coup d'œil, il posa la question au dirigeant à ses côtés. 

En guise de réponse, Auguste bomba le torse et lui fit un signe de la tête. 

Derrière les murs se déroulait une scène d’autant plus improbable : des centaines de citoyens s’étaient rangés sur le bord de la route, comme s' ils s’attendaient et s’étaient préparés à leur venue depuis des lustres. 

Le convoi continua ainsi sa marche, sous les regards curieux des habitants de Mesotopia. On pouvait entendre une mouche voler. 

Pourtant dans la tête d’Ilem se produisait un vacarme assourdissant. Que se passait-il ? Comment savaient-ils qu’ils allaient venir ? Avaient-ils été prévenus ? 

Ilem eut la réponse rapidement, Auguste affichait un air confiant, fier, comme s' il savait pourquoi il se passait tout ce cirque.  Il se tramait quelque chose. Il n’aimait pas cela. Il pouvait ressentir à travers son ventre la peur, le danger. 

Au bout d’environ cinq minutes de parade silencieuse, ils arrivèrent en bas de ce qui ressemblait au bâtiment le plus richement décoré, cela devait être les lieux du Roi.

Auguste leva la main, son convoi s’arrêta. A ce moment précis, la porte massive de la résidence du Roi s’ouvrit. 

Il en sortit un homme âgé, aux épaules larges, les cheveux poivre sel. Il portait une lourde armure qu’il semblait supporter sans peine. 

Auguste mit pied à terre et se prosterna devant lui. Le Roi fit de même. Sans le prévenir, le dirigeant du dixième Tsev se mit à parler : 

- Bonsoir, Ô mon Roi, merci de nous accueillir, c’est un plaisir d’enfin vous rencontrer.

Ilem était bousculé intérieurement. Il eut du mal à rassembler ses idées et traduire. Sa lèvre inférieure tremblait, il devait se calmer. A l’aide de ses traductions, la conversation s’en suivit : 

- Bonsoir Auguste, nous allons enfin pouvoir travailler ensemble face à face.

- Oui, Sajah. Les dispositifs sont mis en place, nous instaurons petit à petit notre pouvoir et étendons nos liens. Nous sommes proches.

- Bien, tu peux compter sur moi et mes hommes, nous serons là, il est temps que ton Roi tombe.

Auguste souria et se tourna vers Ilem. Cette phrase, il n’avait pas eu besoin de la traduire, le dirigeant l’avait comprise. 

Les yeux révulsés, Ilem comprit une chose.

Il devait fuir.

Et vite.

Il en allait de sa vie et celle de la cité. 

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