Chemin de chêvres

Alors que nous obliquions sur un chemin de chèvres, nous aperçûmes, de loin, l’âne de notre oncle commencer son ascension. Notre oncle est connu pour son cœur d’or, il n’avait pas pu se résoudre à laisser l’étrangère sans eau jusqu'au soir. Il n’avait cependant pas décidé d’accompagner le baudet - avec ses genoux, c'aurait ete une folie. Nous reconnaissions, à sa place, la démarche désarticulée du Juancho. Bien sûr. Qui d’autre aurait accepté de grimper cette colline au pire moment de la journée - à part nous, il fallait bien l’admettre. Le Juancho était ce que nous appelions, faute de mieux, un imbécile heureux. Et nous nous accordions toutes là-dessus. Bien qu’agile, ayant grandi en sautant de pierre en pierre à la suite des chèvres de son père, il se déplaçait comme s’il avait trop de jambes et de bras pour savoir quoi en faire. Il ne manquait no d’esprit, ni de mon sens mais ne voyait combien vivre dans notre petit village pouvait être etouffant. Et ce qui nous irritait par-dessus tout : il avait un sourire idiot. Énorme, il lui mangeait la moitié du visage quand il le montrait, ce qui arrivait trop souvent. Et lorsqu'il souriait, la lumière qu’il avait à l'intérieur cascadait autour de lui, fraîche comme une source vive. Lui, cependant, ne nous comparaît jamais à notre mère. Ni de ses mots, ni de son regard. Lorsqu'il nous appelait, notre nom donnait haut et clair, aussi étincelant qu’une chandelle de la Noël.

Dans doute s'était il porte volontaire pour échapper au mécontentement rance de sa mère. Cette dernière était de ceux qui se revendiquaient enfants illégitime du Juan. Elle n’avait pas dû accepter avec joie l'arrivée de Lucy. Nous l’imaginions fulminer de la même manière qu'elle rageait encore d’avoir vu la Barra lui passer sous le nez, sa soeur ayant épouse notre oncle en premières noces. À l’entendre, quand bien meme cette dernière était morte sans avoir eu d’enfant, le lieu aurait dû lui revenir alors que notre oncle avait épousé notre tante. À l'époque, c'était la Maria del Sol qui l'avait faite taire. Celle-ci morte, la Maria Tormenta grondait autour du village comme un orage lointain, prêt à fondre sur sa proie à tout moment. Pour une foi, ce ne serait pas nous.

Nous nous esquivâmes hors du chemin de chèvre un peu en-dessous du village - qui sait où il nous aurait emmené, sinon ? Les chèvres sont des compagnons de voyage fantasques. Nous étions presque arrivées à notre destination : la masure de Maria de le sombres. Nichée dans un creux de la vallée, il s’agissait d’un des rares lieux à ne pas souffrir des ardeurs du soleil. C’était la raison pour laquelle la Maria de le Sombres avait décidé de s’installer là, après la mort de son dernier fils sur un sol inconnu, dans une guerre dont elle n’avait jamais entendu parler. Du jour au lendemain, elle avait quitté le village et était descendue là, dans ce creux. Nous l’aimions beaucoup, la Maria de le Sombres, car elle ne nous jugeait pas. Elle n’avait que faire de notre multiplicité. Elle pinçait volontiers nos joues, et ne haussait pas un sourcil lorsque nous utilisions un bras de trop. Peut-être, il fallait l’avouer, parce qu’elle ne nous regardait pas. Depuis ce jour où le prêtre lui avait lu la missive de fin papier où avaient été imprimés quelques mots bleutés, elle avait gardé son regard rivé vers les ombres. Elle les nourrissait. Elle les cajolais. Elle les habillait des vêtements de ses enfants. Chaque jour, chaque heure, elle leur donnait forme et substance. Leurs rires et leurs cris rebondissaient sur les rochers alors que nous parcourions les derniers mètres pour rejoindre l’entrée de l’abris. Cinq, non, six, jouaient dans le ruisseau, empilant des cailloux pour en assombrir le fond. Deux autres étendaient le linge, et une dernière, assise à côté de la Maria de le sombres, me tournait le dos. Devant nous se côtoyaient plusieurs âges que nous connaissions déjà. Le fils dans son enfance, son âge tendre, son adolescence et enfin grand dadais de dix-huit ans, tel qu’elle l’avait vu pour la dernière fois. Ses filles, gamines et jeunes adultes, comme elles auraient dû le devenir si elles n’étaient pas mortes-nées. Quant à la dernière ombre, celle auprès de Maria, nous ne la reconnaissions pas. Sa stature, la courbe de son dos, indiquaient une personne d’âge mûr. Son mari ? Cela nous paraissait peu probable. De ce qui se racontait au village, si ils étaient tout à fait civils l’un envers l’autre de son vivant, elle n’avait pas pleuré à son décès. Les grenouilles de bénitier s’étouffaient encore d’indignation lorsqu’elles racontaient qu’une fois la messe funéraire achevée, Maria, qui était alors encore Maria Catharina, était sortie de l’église, avait passé son tablier sur sa robe de deuil, et s’était installé sur le devant de sa porte pour écosser ses petits pois sans prendre la peine d’accompagner le cercueil au cimetière.    

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itchane
Posté le 29/09/2024
Hello Gobbolino !

J'ai bien aimé ce chapitre moi, je n'ai pas eu de mal à accepter que l'on n'en saurait pas plus tout de suite sur Lucy. Je trouverais dommage de le perdre, car effectivement, l'arrivée des "ombres" dans un autre contexte que celui de l'héroïne est très intéressant pour comprendre l'ambiance générale de ton histoire. J'ai trouvé cela même très poétique !

Comme Baladine j'ai été un peu perturbée par les coquilles, je pense que ça vaudrait vraiment le coup de relire une fois ou deux pour les éliminer ^^"

Pour le reste j'apprécie toujours autant ma lecture, je pars lire la suite qui est tombée entre temps : D
Baladine
Posté le 15/09/2024
Ah! Peut-être j'avais trop envie de savoir ce qu'il adviendrait de Lucy, mais j'ai eu du mal à accrocher à ce chapitre et à savoir où on allait en passant par ce chemin de chèvres. La narratrice est toujours très mystérieuse, avec son "nous", sa multiplicité, son "bras de trop" (?). Il y a aussi plus de coquilles dans ce passage, des accents ou des ponctuations qui manquent, quelques erreurs d'orthographe de ci de là, ce qui a fait que j'étais un peu moins concentrée sur le fond. Cette Maria de le sombres, par son nom, a l'air de se présenter comme un miroir inversé de Maria del Sol. Je la vois un peu comme une mère de substitution à l'héroïne, enfant-ombre, fille de l'ombre.
A bientôt !
Gobbolino
Posté le 15/09/2024
Oui, celui-là a été écrit en mode hardcore avec un bébé à proximité, donc sur mon tel. Je reviendrai dessus, je pense. Et je verrai si je le garde, surtout. C'est un peu pour approfondir la place des ombres dans cet univers, et donner du temps au soir pour arriver XD. Mais est-ce nécessaire ? On verra ^^.
Baladine
Posté le 21/10/2024
Oh ! Bravo alors ! Je ne sais pas si j'aurais pu en faire autant ^^ Il a l'air d'avoir été retravaillé depuis la dernière fois, je vais jeter un oeil pour me rafraichir la mémoire et continuer.
Gobbolino
Posté le 21/10/2024
J'ai encore retravaillé depuis le début. Pour le moment, j'ai seulement réussi à mettre à jour le ch1, mais ça vient !
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