Conflit de voisinage morbide

La matinée se poursuivit entre lecture de nouveaux dossiers et visites de plaignants. Noura dut ainsi assurer la conciliation entre les mages bâtisseurs de l'Ordre d'Argile a qui on demandait de réparer au plus vite les fortifications à l'Est de la cité et les représentants du quartier des artisans attenant qui venait rapporter un nombre significatif de troubles liés à la trop grande intensité de magie dans la zone, tels que l'invasion de parasites avides de magie, la pousse beaucoup trop rapide des poils, cheveux, ongles et enfants ou de la perturbation des temps de séchage des poteries à cause des fluctuations magiques aux abords des murailles. Un compromis sur les délais, la dose acceptable de magie et le temps de travail des mages fut établi et signé. La concertation se termina même par une petite collation joviale.

Le sujet suivant concernait un mage nouveau venu en ville et sa difficulté à s'adapter aux exigences réglementaires de la cité. Quasiment pas de mauvaise foi, et grâce à l'expertise de Noura, il pu reprendre pieds dans le marécage administratif des cités états des Côtes Sabéennes et éviter de lourdes sanctions judiciaires. Non sans avoir à payer de nombreux frais qui gâchèrent un brin son enthousiasme et sa reconnaissance face à la guilde.

Enfin le dernier visiteur avant la pause déjeuner se présenta à la porte. Encore alerte bien que la faim commençât à la tenailler, Noura l'invita à entrer.

Vêtue des pieds à la tête de vêtements noirs usés, une aura maléfique à sa suite, la nouvelle venue pénétra d'une démarche saccadée dans le bureau. L'odeur indéfinissable mais clairement dérangeante de la mort l'accompagnait, Noura plongea le nez dans sa chope pour en atténuer l'inconfort.

« Vous êtes, je lis ici, Capucine Dupré, nécromancienne du Cercle des imputréfiés. » Commença-t-elle alors que la magicienne s'installait sur la chaise d'une manière si raide que Noura s'étonna de ne pas entendre un grincement.

« Je préfère qu'on me nomme Mandragore de Cendreplaine... Question de crédibilité professionnelle, vous comprenez ? » répondit-elle d'une voix sifflante.

« Je comprends tout à fait, que me vaux l'honneur de votre funeste visite ? »

La nécromancienne abaissa son capuchon, révélant un visage aux traits jeunes mais maladif, la peau pâle, des cernes violaces et des lèvres bleuies et craquelées.

« Je viens vous faire part de mes difficultés à exercer de nos jours... J'arpente cette terre depuis bien des années déjà... Et j'ai appris à vivre dans ce monde grouillant de vie qu'est cette cité malgré mon inclination pour l'autre versant de l'existence, celui qui reste dans l'ombre... »

La voix était lente, et les détours pour arriver à la problématique à traiter semblaient nombreux, Noura sentait que sa pause déjeuner s'éloignait dangereusement, mais presser les choses sans savoir où voulait en venir la plaignante était toujours risqué.

« J'ai conscience de la difficulté du vivre ensemble, de la nature parfois... Inquiétante de mes activités, mais œuvrer de nos jours dans ma branche... Cela devient invivable... »

« Pour une nécromancienne, c'est presque une bonne nouvelle, non ? » Lança Noura au vol.

En la fixant intensément, la nécromancienne émis un bruit grinçant, proche de celui de la scie du médecin légiste rencontrant l'os. Difficile de dire s'il s'agissait d'un rire, ou d'un reproche.

« Je me conforme aux règles... Je pratique à l'abris des regards... Je rends des services là où personne ne le veut et mes morts sont bien gardés, pourtant... Les reproches et les plaintes s'accumulent... Des maisons sont venues coller le cimetière, et les habitants se plaignent... du bruit la nuit, des odeurs, du risque de morsures pour leurs enfants... Ils viennent habiter au royaume de la Mort, mais ne veulent pas la voir... Pourtant lorsqu'on habite proche d'un cimetière ce n'est pas pour le calme et la tranquillité, n'est-ce pas ? »

« La cohabitation devient difficile je comprends... Les cimetières étaient autrefois isolés mais la place se fait rare de nos jours alors chacun doit mettre de l'eau dans son vin j'imagine. »

« Les morts étaient là avant... Et je ne crains pas les reproches, on ne devient pas nécromant pour être populaire... Mais la justice écoute maintenant ces plaintes ridicules... Je devrais à présent exercer à une distance raisonnable des habitations... Les revenants et les feux follets s'agitent dans les ténèbres, c'est ainsi depuis la nuit des âges, et on me parle aujourd'hui de tapage nocturne... Dois-je déménager mon cimetière pour satisfaire la populace ?»

Noura soupira et prit un air concerné :

« Cela fait partie des axes de développement de la ville. On relègue les cimetières dans les faubourgs. Même aux abords de la ville, la place est difficile à trouver mais un projet d'asséchement des marais pourrait voir le jour... Les morts font place aux vivants, le monde bouge, et les zombies ralentissent le mouvement je le crains. »

Nouveau grincement, plus lent, plus long, peut être un soupir, une résignation ou une plainte moribonde : « Mon cimetière est si petit, il date d'avant cette ville... Si vous construisez dessus, il y aura des regrets, des malédictions... Les morts sont tenaces et peu attirés par la nouveauté... »

« Et c'est pour ça qu'on aura besoin de gens comme vous. De bergers pour les accompagner, les garder et en prendre soin. Rien n'est fait encore, mais laissez moi vous présenter les solutions potentielles à notre portée »

La nécromancienne et l'employée de la guilde étudièrent les projets envisagés, les plans, évaluèrent les risques, estimèrent le coût. Aucune décision claire ne fut prise, il faudrait encore en discuter dans de plus hautes sphères avec les représentants de toutes les parties, mais la plainte avait été relevé.

Mandragore de Cendreplaine finit par prendre congé, avec une malédiction de politesse et beaucoup de résignation.

La résignation, avec la colère, c'était généralement le sentiment qui prédominait chez ceux qui sortaient du bureau de Noura. Les mages avaient le pouvoir de plier à leur guise les lois de la physique, mais pas celui de contourner les lois des hommes, pas dans ce monde en plein développement.

 

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Oph Ashendown
Posté le 07/03/2025
Avant dernier et je laisse cette nouvelle en paix !

"Noura dû ainsi assurer" à ne pas confondre avec un dû, ici c'est le verbe devoir --> "dut"

"des cernes violacées", nos malheureux cernes sous les yeux sont masculins donc ici c'est "violacés" !

Je m'en vais étudier ton épilogue !
Plume de Poney
Posté le 07/03/2025
Ma nouvelle aime bien avoir de la compagnie, ne t'en fais pas.

Encore merci pour tes corrections. J'avoue que je ne savais pas que "cerne" était masculin. Je ne l'écris pas assez, je me contente de les porter.
Oph Ashendown
Posté le 08/03/2025
La langue française est faite de pièges fourbes, j'avais le doute et j'ai donc aussitôt vérifié !
ZAODJA
Posté le 27/02/2025
Et c’est encore moi.

J’ai lu le dernier chapitre. Triste destin, plus de Noura à se mettre sous la dent… Finis la bière sans alcool… Finis les mages, sorciers et sorcières, les nécromanciens en tout genre…

Je vais errer sans but maintenant…

Merci d’avoir m’avoir fait découvrir ton univers bureaucratique.

Zao
Plume de Poney
Posté le 07/03/2025
Je ne sais pas ce qu'il s'est passé mais j'ai totalement esquivé ton commentaire, je te prie de m'en excuser...

Si tu veux errer sans but, je te conseille de rejoindre la horde de pas-tout-à-fait-mort de Mandragore, ils font ça très bien et leur nécromancienne tutélaire est attentive au besoin de chacun.
Et je ne m'en fais pas pour toi, je suis sûr qu'il y une flopée d'histoire de mage en tout genre sur ce site à parcourir. C'est vrai que de mon côté je n'en ai pas plus à offrir à ce sujet pour le moment...

Merci pour ton commentaire et ta lecture, grâce à toi l'univers de Noura a reprit vie et sois en sûr, même si elle ne le montre pas, elle en est très heureuse :)
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