Déménagement

Notes de l’auteur : Toute ressemblance avec la réalité est purement fortuite

C'étaient trois-cent princesses qui dormaient dans trois-cent lits dans les vastes sous-sols du palais oublié des pays du Danube.

« Comment ? s'écria le roi quand il l'apprit ; trois-cent princesses dorment dans les sous-sols ? Quelle indignité. C'est au donjon qu'elles doivent se reposer. »

Le roi prit sa reine et son chevalier, descendit l'escalier et ouvrit la porte du dortoir. Deux-cent quatre-vingt-dix-sept princesses reposaient là, plongées dans la malédiction d'un sommeil profond ; mais les trois dernières ne dormaient manifestement pas.

« Vos Altesses ! N'êtes-vous donc point sous l'emprise d'un quelconque enchantement ?

- Non point, Votre Majesté. Il semble que celui-ci ait cessé de fonctionner. Depuis quelques heures, nous jouons aux cartes.

- Cela est parfait, vous allez pouvoir m'aider. »

Les princesses retroussèrent leurs jupes et suivirent les directives du roi. Iels empilèrent les matelas d'un côté, les sommiers de l'autre, sans oublier une pile pour les princesses et les édredons. Après quoi l'on forma une chaîne pour transporter au mieux le matériel depuis les catacombes jusqu'aux sommets.

Le roi souleva la première pile de matelas ; il l'amena à la princesse Zelda, qui monta l'escalier avec son fardeau et le remit à la reine. Sa Majesté les prit et s'engagea dans le couloir, mais un dragon lui fonça dessus et lui piqua les matelas. Non, les dragons n'ont jamais voulu enlever les princesses - qu'en feraient-ils ? Mais ils apprécient tout particulièrement ce qui est douillet et confortable, et les princesses en sont généralement garnies.

Mais ils préfèrent largement les piles de matelas bien moelleux, plutôt que de devoir s'embêter à éplucher une dizaine de princesses.

C'est pour cette raison que le dragon faucha son chargement à la reine. Le chevalier partit immédiatement à sa poursuite ; la reine le laissa faire et réceptionna plutôt le nouvel arrivage de sommiers, et elle les apporta à la princesse Anastasia. Celle-ci devait les mettre dans le monte-charges, mais le monte-charges était gardé par un troll qui ne la laisserait monter que si elle répondait correctement à trois questions. La reine lui laissa les sommiers et retourna à l'escalier pour prendre le nouveau chargement de la princesse Zelda.

Mais la princesse Zelda était quelque peu occupée : le roi, en effet, était tombé sur un stock de petits-pois entreposés sous le matelas de l'une des endormies. On avait manifestement essayé de gêner son sommeil pour la réveiller. Toutefois, depuis les années, les petits-pois avaient bien pourri, et la pourriture s'était propagée au matelas et au sommier, qui avaient à présent presque aussi mauvaise mine que la tasse d'un chercheur. La princesse Zelda finit par trouver un compost, quelque part entre deux buissons de ronces ; on jeta le matériel gâté et on poursuivit la tâche.

Entre temps, Anastasia avait enfin résolu les trois énigmes du monte-charges, et elle put monter tout ça là-haut, sans s'embarrasser des centaines de marches de l'escalier en colimaçon qui menait au donjon. En un rien de temps, tout cela fut expédié au sommet, où attendait la princesse Leïa.

Leïa, donc, put s'affairer à remonter correctement les lits. Du moins put-elle essayer, car tout n'avait pas encore été monté, elle avait un nombre impair de pieds de lit, et quatre princesses de plus que d'oreillers. Soudain arriva le chevalier, monté sur un cheval ailé, qui ramenait tous les matelas qu'il avait réussi à sauver du dragon. Certains étaient un petit peu roussis, mais un drap-housse neuf et on n'en reparlerait plus.

Iels continuèrent leur tâche jusqu'à la fin de l'après-midi. L'une des princesses se changea subitement en grenouille et s'enfuit en bondissant ; l'un des lits était hanté par le fantôme du Professeur, mais Anastasia demanda au fantôme de leur donner un coup de main, et pouf, il disparut. Enfin, un putain de rat s'était logé à l'intérieur du réveil-matin de la princesse Aurore. Mais ce n'étaient là que des contretemps dérisoires, et à la fin de la journée, lits et princesses s'alignaient parfaitement dans le donjon.

Alors les trois princesses, Anastasia, Leïa et Zelda, burent chacune une potion de sommeil ; elles rejoignirent les trois derniers lits vacants et s'endormirent enfin.

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