Episode 3

Par Mila B
Notes de l’auteur : Notes de l’auteur : Pour découvrir l'intégralité de l'histoire sans attendre, rendez-vous sur mon site web : https://www.lire-ecrire-rever.fr/series/et-si-cetait-ecrit/

Matthieu sortit du magasin, satisfait d’avoir trouvé ce qu’il cherchait. À cet instant, son téléphone, un Smartphone de dernière génération, sonna. Malgré de faibles revenus composés essentiellement de sa bourse, il réussissait toujours à s’acheter les dernières nouveautés technologiques. Heureusement pour lui, sa sœur le dépannait souvent lors de ses nombreuses fins de mois difficiles.

Croyant à un coup de fil, le jeune homme consulta l’écran et aperçut qu’il s’agissait d’un simple rappel. Il était invité à l’anniversaire de sa sœur.

— Merde ! jura-t-il à voix haute. J’avais oublié ! Et je n’ai rien acheté…

Après un regard vers ce qui lui restait d’argent, fortement diminué après l’achat de la peinture, il décida d’appeler la principale intéressée.

— Claire, salut. C’est Matthieu. Comment ça va ?

Claire qui venait tout juste de rentrer chez elle, après une perte de temps considérable dans les embouteillages, était très pressée.

— Je vais bien. Que veux-tu ? demanda-t-elle expéditive.

— En fait, je n’appelle pas pour moi, mais pour toi, rassura Matthieu.

— Pour moi ?

La jeune femme fut surprise. Elle n’avait pas l’habitude que son frère se soucie d’elle.

— Oui. J’aimerais savoir ce que tu veux pour ton anniversaire.

— Tu ne cherches que maintenant ? reprocha Claire, reconnaissant mieux son frère dans ce comportement.

Elle avait demandé à ses invités de ne rien lui acheter, mais son frère faisait exception. Depuis qu’elle élevait Matthieu, Claire lui avait toujours offert le meilleur, en endossant le rôle de parent, et elle attendait un minimum en retour. Ce dernier essayait de la satisfaire dans la mesure de ces moyens, qui se révélaient souvent faibles, dues aux dépenses importantes qu’il engageait dans des gadgets dont elle ne comprenait pas grand-chose.

— Euh… bafouilla le jeune homme, mal à l’aise, j’ai déjà pas mal regardé, mais rien ne me plaît.

— Oh, je n’en sais rien. Prends-moi ce que tu veux.

— Tu es sûre ? Tu n’as rien besoin de particulier ? Ça peut être très simple. N’oublie pas que c’est l’intention qui compte, argumenta Matthieu à court de liquidités.

Claire n’avait pas le temps de discuter sur le choix d’un cadeau. Sentant qu’il lui serait difficile de se débarrasser de son frère, et ayant encore beaucoup à faire, elle finit par lancer :

— Écoute, si tu veux me faire plaisir, achète-moi un livre. Tu sais que j’adore dévorer un bon roman !

La jeune femme aimait beaucoup lire, au contraire de son jeune frère. De huit ans son cadet, Matthieu et elle avaient des goûts très différents.

— Va pour un livre, approuva Matthieu, faisant semblant de se réjouir. As-tu une préférence ?

— Si tu continues avec tes questions, je vais acheter mon cadeau moi-même, ce sera plus simple !

— Bon j’ai compris, je vais faire un tour dans la librairie du coin.

— Fais comme tu veux, mais sois là à vingt heures précises ! rappela Claire.

 

***

 

Campus de l’université - 18h45

 

Matthieu raccrocha. Il n’avait aucune envie de passer du temps sur le cadeau de sa sœur. D’autant que son budget était désormais très limité. De plus, les fois où il était entré dans une librairie se comptaient sur les doigts d’une main. Ses penchants l’incitaient davantage vers des boutiques de jeu vidéo ou de matériel informatique. Absorbé dans ses réflexions, il heurta violemment un panneau. Après avoir lâché un juron, il contempla l’inscription.

 

TOUT L’ÉTÉ,

VENEZ VENDRE ET ACHETER VOS LIVRES D’OCCASION

À LA BROCANTE DE L’UNIVERSITÉ

Du 21/06 au 21/08

PLACE DESCARTES

& BATIMENTS DE PHYSIQUE

 

Matthieu se réjouit de cette aubaine. Des centaines de livres d’occasion l’attendaient. Il ne restait plus qu’à en trouver un, pas trop cher, en bon état et susceptible de plaire à sa sœur. Il  arpenta les allées, et trouva rapidement l’endroit de la brocante, au vu du bruit ambiant. Chose étrange, les livres de littérature classique étaient regroupés dans les nouveaux bâtiments de physique, récemment construits.

 

Matthieu pénétra dans la première salle de classe. À en juger par les éléments, il devait s’agir d’une salle de travaux pratiques. Une grande étagère, où trônaient de nombreux instruments de mesure, parcourait toute la longueur de la pièce.

Le jeune homme avança et fut content de trouver un grand nombre de livres. Après avoir feuilleté certains exemplaires en bon état, il regarda autour de lui et constata qu’aucun prix n’était affiché. Il interrogea le premier vendeur :

— À combien vends-tu ces livres ?

— Ils sont tous à sept euros.

Matthieu fit la grimace. Il ne possédait pas les sept euros, et avait l’espoir de trouver moins cher. Il continua de regarder les étals suivants, mais à chaque fois, la réponse était la même. Rien n’était vendu à moins de sept euros.

Matthieu continua son tour et s’approcha d’une table un peu branlante.

— Dans le commerce, tu les trouveras bien plus chers, argumenta Julien, l’étudiant qui revendait son stock, enchanté d’avoir un client. Et je peux te garantir qu’ils seront au programme de l’année prochaine.

— Ça m’est égal qu’ils soient au programme, expliqua Matthieu en haussant les épaules. Je suis étudiant en informatique de toute façon.

— Que fais-tu là dans ce cas ? s’étonna le vendeur.

— Je cherche un cadeau pas cher, avoua Matthieu, espérant qu’entre étudiants fauchés, son interlocuteur ferait un geste.

— Si tu veux, j’en ai quelques-uns qui ont été déprogrammés. Je ne les avais pas proposés à la vente, car je ne pensais pas pouvoir m’en débarrasser. Si tu es intéressé, je te les propose à deux euros.

— Ils sont en bon état ? interrogea Matthieu, séduit par le prix.

— Juge par toi-même, montra Julien en sortant les livres.

Matthieu consulta les quelques ouvrages proposés, mais sa connaissance en littérature était très faible.

— Lequel me conseilles-tu ? Je n’y connais rien du tout, confessa le jeune homme.

— À qui veux-tu offrir le cadeau ? questionna l’étudiant proposant les livres.

— À ma sœur. Elle fête ses vingt-huit ans.

— Sais-tu ce qu’elle aime lire ?

— Euh… pas vraiment, avoua Matthieu. Je crois qu’elle lit un peu de tout.

— Dans ce cas, celui-là devrait lui plaire. L’histoire est bien construite, et apporte un débat intéressant. Il n’est pas difficile à lire. C’est d’ailleurs à cause de sa facilité qu’il a été retiré du programme. Même toi, tu pourrais, plaisanta  l’étudiant.

— OK. Je le prends, accepta Matthieu, en tendant les pièces de monnaie.

— Par contre, je n’ai pas de papier cadeau, s’excusa Julien, mettant l’argent dans sa poche d’une main, l’autre restant appuyée contre la table branlante.

— Ce n’est pas grave, rassura Matthieu, en ouvrant le sac qu’il avait gardé depuis son dernier achat. Je lui donnerai comme ça, elle a l’habitude.

— Je dois aussi te donner quelques prospectus, ajouta le vendeur, en montrant un tas de feuilles. L’université nous y oblige pour toute vente. Il s’agit du détail des programmes et des associations littéraires sur le campus. Pas sûr que ça t’intéresse, vu ta spécialité, mais on ne sait jamais…

— Ça marche, approuva Matthieu, impatient d’en finir.

 

***

 

Bâtiments de physique - Université Descartes - 19h

 

La cloche de l’église la plus proche venait de sonner dix-neuf heures. Matthieu, prenant l’ouvrage acheté, ne remarqua pas le vieux carnet bleu azur très usé, orné d’une fleur de lys blanche à moitié effacée sur la couverture, qui ne s’y trouvait pas la seconde précédente. Posé en partie dans le vide, et en partie sur la table en équilibre instable, il était sur le point de chuter. Le vendeur attrapa une grosse pile de publicités, et une carte de la brocante sur laquelle il griffonna le nom de l’ouvrage acheté par Matthieu et ses coordonnées. Ce faisant, il souleva sa main restée appuyée contre la table branlante. Ce geste eut pour effet de faire basculer complètement le vieux carnet. Le mystérieux calepin bleu tomba dans le sac ouvert de Matthieu sur le flacon de peinture mal refermé, juste avant que le jeune homme n’y dépose à l’aveugle, les flyers sans intérêt, les coordonnées du vendeur, et le cadeau de sa sœur.

 

***

 

Appartement de Claire - Toureuil - 19h

 

Déjà dix-neuf heures !

Claire pesta. Elle avait l’impression de n’avoir rien fait depuis son retour du centre commercial. À peine rentrée, son frère l’avait appelé pour savoir ce qu’elle désirait comme cadeau.

Comme toujours, il s’y prend au dernier moment…

À la mort de ses parents dans un accident d’avion une décennie plus tôt, et n’ayant pas d’autre famille, elle avait dû prendre, à dix-huit ans, la lourde responsabilité d’élever seule son jeune frère, alors âgé de dix ans. Bien que ce fût déjà une jeune femme studieuse, cet évènement avait changé sa vie. Elle avait dû jongler entre ses propres études et l’éducation de Matthieu. À force de travail, elle avait réussi à obtenir son DEASS et à passer les concours d’entrée à la mairie. En parallèle, elle avait suivi de près les résultats de son frère. Aujourd’hui, l’obtention de sa bourse pour faire des études d’informatique l’emplissait de fierté. Sans ça, il lui aurait été impossible d’assumer les frais de sa scolarité.

Cela faisait maintenant deux ans que Matthieu avait quitté le foyer familial, mais Claire avait l’impression qu’il n’était parti que depuis quelques semaines. Au début, elle passait souvent afin de lui apporter des plats faits maison, ou pour nettoyer et ranger son studio, car le ménage n’avait jamais été le point fort de son frère. Cependant, ces derniers mois à cause de sa surcharge de travail, elle avait laissé Matthieu se débrouiller seul plus souvent. Malgré tout, elle continuait de venir l’aider de temps en temps. Elle ne pouvait pas se résoudre à lui laisser une totale indépendance.

L’horloge venant de sonner dix-neuf heures, il lui restait une heure pour finir ses préparations, les dresser et s’habiller, avant l’arrivée de ses invités.  Autour d’elle,  la cuisine faisait triste mine : un tas de saladiers, casseroles, ustensiles de cuisine et ingrédients étaient sortis, mais elle n’avait quasiment rien commencé.

Je n’aurai jamais fini à temps !

Il ne lui restait plus qu’une solution : appeler sa meilleure amie à la rescousse.

— Salut Magda, c’est Claire, commença-t-elle, mettant le téléphone sur haut-parleur, tout en continuant de cuisiner.

— Salut Claire. Comment ça va ? Tu…

Lui coupant la parole, Claire reprit :

— Écoute, j’ai un grand service à te demander. J’avais prévu de cuisiner pour mon anniversaire ce soir mais je n’aurai jamais fini à temps. Es-tu disponible pour me donner un coup de main ?

— Oui, bien sûr. Je suis sortie du boulot tôt pour me préparer pour ta soirée. Si c’est nécessaire, je peux écourter. Quand veux-tu que je vienne ?

— Tout de suite si tu peux…  supplia Claire d’une petite voix.

— Tout de suite ? OK, si tu as besoin de moi, j’arrive. Je me changerai chez toi. Je serai là dans cinq minutes.

Remerciant son amie, elle raccrocha et poursuivit son travail. Cinq minutes plus tard, Magdalena arriva, sa tenue de soirée sous le bras.

Claire ouvrit la porte, ses longs cheveux châtains en bataille, recouverts de farine.

— Tu as l’air en nage, constata Magda.

— Merci d’avoir fait si vite.

Posant ses affaires sur le canapé, Magdalena se dirigea vers la cuisine.

— Quelle est la situation ?

Claire lui résuma ce qu’elle comptait cuisiner et l’état de son avancée.

— Tu as vu beaucoup trop grand, comme toujours ! lui reprocha gentiment son amie. Même à deux, j’ai peur qu’on ait du mal à tout finir.

Magdalena savait que Claire avait tendance à en faire trop, voulant atteindre la perfection. Malgré son sens de l’organisation, il lui arrivait de se laisser déborder, si elle ne maîtrisait pas un élément.

— Ce n’est pas grave, rassura Magdalena. À partir de maintenant, je prends les choses en main. On va commencer par demander à tout le monde d’arriver une heure plus tard.

— Tu es sûre ? Ils ne seront là qu’à vingt et une heures ? Ils ne vont pas avoir faim ? s’alarma Claire, ayant un sursaut d’instinct maternel, désormais devenu inutile sans son frère à s’occuper.

— Ne t’inquiète pas, ils peuvent tenir jusque-là. Ce ne sont plus des enfants, fit remarquer Magda. Pendant ce temps, on va réduire ce que tu as prévu, car même avec une heure de plus et mes bras supplémentaires, on ne pourra pas tout faire.

Magdalena s’empara du téléphone de son amie, et envoya un court message au groupe d’invités : « Début de soirée décalé à 21h au lieu de 20h. Inutile de vous presser. »

— Voilà une bonne chose de faite, reprit Magdalena. Maintenant, place à la simplification de ton repas.

Claire écouta, non sans mal, le massacre fait à son menu. À plusieurs reprises, elle émit des commentaires que Magdalena s’empressa de balayer. Si elle voulait donner à manger à ses invités, il fallait faire des concessions. Claire finit par abdiquer, laissant son amie piloter sa soirée.

Une fois que Claire eut digéré cette réorganisation et accepté l’inéluctable, les deux amies se mirent aux fourneaux. Le travail avait été réduit, mais il en restait encore beaucoup. Heureusement, la présence de Magda avait donné la motivation nécessaire à Claire, qui avançait maintenant d’un bon rythme. Les préparations avancèrent rapidement. À vingt heures trente, le repas fut prêt et dix minutes plus tard, tout fut dressé.

— Tout est fini ! félicita Claire, en peaufinant les dernières décorations. Je n’aurai jamais réussi sans toi.

— C’est évident ! la taquina son amie qui adorait les compliments. Pourtant, tout n’est pas encore terminé.

— Qu’est-ce qu’il reste à faire ? s’alarma Claire, regardant autour d’elle à la recherche de ce qu’elle avait oublié.

— Il faudrait peut-être qu’on se change ? J’espère que tu ne comptes pas recevoir tes invités dans cette tenue ? se moqua Magda.

— Non, évidemment ! rassura Claire. Si tu veux, je te laisse la douche en premier. Pendant ce temps, je vais choisir ce que je porterai.

— Tu ne sais pas ce que tu vas mettre ? protesta son amie, qui avait acheté une tenue spéciale pour l’occasion.

— Non, avoua Claire. Mais ne t’en fais pas, je n’en aurai pas pour longtemps.

Magdalena se dirigea vers la salle de bain, et Claire vers sa chambre. D’une faible superficie, la pièce contenait uniquement un lit et une petite penderie. Sa modeste garde-robe se composait essentiellement de pantalons noirs et de hauts unis, pour la plupart de couleur pastel. Elle ne possédait aucun accessoire féminin, ceinture, sac à main ou bijoux fantaisistes, ni aucune jupe ou robe, car la jeune femme trouvait ses jambes trop fines. Étant assez grande et mince, elle n’avait pas de formes, et considérait que les tenues féminines ne lui allaient pas. La jeune femme portait toujours une toilette sobre, sans aucune fantaisie. Étant souvent confrontée à des personnes très pauvres et désœuvrées dans le cadre de son travail, elle répétait sans cesse à son amie, qui ne comprenait pas ses goûts vestimentaires, qu’elle ne pouvait pas arriver devant eux avec des tailleurs chics. Son placard ne comptait pas non plus de chaussures à talons, qu’elle trouvait inconfortables et inutiles, du fait de sa grande taille.

Ouvrant son armoire, Claire opta pour un pantalon tailleur noir et un chemisier blanc en soie, offert par Magdalena. Une fois ses habits choisis, elle entendit la porte de la salle de bain s’ouvrir. Magdalena en sortit enroulée d’une minuscule serviette.

— La place est libre ! cria son amie, en se dirigeant vers le bureau.

— Merci, répondit Claire, détournant le regard.

Même si elle connaissait Magdalena depuis près de vingt ans, il lui aurait été impensable de déambuler à moitié nue devant elle. Sa pudeur lui empêchait ce genre d’exhibition.

Claire entra dans la pièce, ôta ses vêtements, et posa ses lunettes ainsi que son médaillon sur l’étagère. L’eau glacée laissée par son amie fut vite remplacée par de l’eau brûlante, qui l’aida à se détendre avant la soirée. Une fois la douche terminée, elle enfila la tenue choisie et coiffa ses longs cheveux raides. À cause d’une chevelure fine et sans volume, sa coiffure quotidienne, qu’elle voulait simple et rapide, consistait en une queue-de-cheval, et celle des grandes occasions en un chignon. Pour ce soir, elle opta pour un chignon flou, sans prendre la peine de se regarder dans le miroir envahi par la buée. 

Claire se dirigea vers le bureau et vit Magdalena finir de se maquiller. Comme à son habitude, cette dernière incarnait la beauté. Ses cheveux blonds lui tombaient en boucles sur ses épaules. Elle portait une magnifique robe de soirée blanche très ajustée, qui mettait en valeur sa peau bronzée et ses formes généreuses. Aimant se faire plaisir, en particulier manger, elle était l’opposée de Claire. De petite taille, elle adorait les tenues féminines, spécialement celles des grands couturiers, et ne pouvait pas sortir sans maquillage ni accessoire. Aujourd’hui, un grand collier et de larges boucles d’oreilles constituaient ses atours.

— Tu es trop chic pour ma soirée, l’avertit Claire.

Se retournant vers son amie, Magdalena scruta ses vêtements.

— Toi, en revanche, tu ne l’es pas assez ! lui reprocha-t-elle. D’où sors-tu ces guenilles ? !

— De toi, rétorqua Claire. C’est toi qui m’as acheté ce chemisier.

— Oui, je m’en souviens très bien. Il date d’au moins cinq ans ! Il est complètement démodé. On ira faire les boutiques ensemble un de ces jours pour y remédier. 

— Je… ne sais pas…

— Ne me réponds pas que tu n’as pas les moyens ! lui coupa Magdalena, connaissant son argument par cœur. C’est bientôt les soldes. Tu pourras trouver des vêtements à des prix intéressants.

— On verra, éluda Claire, sachant qu’elle ne pouvait pas lutter sur ce sujet.

— En plus, ajouta Magda, enfilant ses chaussures aux talons immenses, tu ne t’es même pas maquillée.

— Depuis le temps, tu devrais savoir que je ne me maquille jamais ! lui rappela son amie.

— Oui, je sais. J’avais juste espéré que tu ferais un effort ce soir. Après tout, c’est toi la reine de la soirée. Tu aurais pu te contenter de te faire les yeux. Tu aurais mis en valeur leur couleur noisette.

— Inutile ! Surtout derrière mes lunettes ! argumenta Claire.

— Eh bien, fais comme moi, passe aux lentilles ! Moi, au moins on voit tout de suite que j’ai les yeux bleus.

Voulant arrêter le débat, Claire changea de sujet :

— Dis-moi, tu n’as pas trouvé l’eau chaude ? Quand je suis passée après toi, elle était glacée.

— Si, la rassura son amie. Je préfère juste me doucher à l’eau froide. C’est meilleur pour la peau et les cheveux. Tu devrais d’ailleurs essayer. Ils seraient plus éclatants et tu pourrais changer de coiffure, pour une fois !

Claire voulut protester, mais s’arrêta au son de la sonnerie de la porte d’entrée. Elle remercia le ciel et se dirigea vers l’entrée pour aller ouvrir à ses premiers invités.

 

***

 

Appartement de Claire - 23h

 

L’anniversaire se déroula au mieux. Personne ne se plaignit d’avoir commencé la fête plus tard, et tout le monde fut satisfait des mets proposés. Claire, comme à son habitude, passa son temps à vérifier que rien ne manquait et que chaque invité était comblé. Elle faisait le service, ramassait les contenants vides, remplissait les plats dès qu’il ne restait plus rien, débarrassait les verres… La jeune femme ne fut jamais assise au cours de la soirée, au grand dam de Magdalena, qui lui enjoignit à plusieurs reprises de laisser ses convives se débrouiller.

À vingt-trois heures, alors que  la partie dinatoire touchait à sa fin, Magdalena prit la parole.

— Votre attention, s’il vous plaît !

Ayant obtenu le silence, elle poursuivit :

— Ma chère Claire, même si on n’est pas d’accord sur tout et qu’on se dispute souvent pour des broutilles, tu restes ma meilleure amie depuis mes huit ans, quand tu m’as aidée à nettoyer ma robe tachée par Grégory.

Tout le monde rit à l’évocation de l’anecdote. Claire, dont la peau très blanche rougissait dès qu’elle était en public, enviait son amie qui savait improviser des discours à la dernière minute devant n’importe quel auditoire.

— Les déclarations ne sont pas ton point fort, ajouta Magdalena, alors je vais te laisser tranquille pour cette fois. Mais pour tes trente ans, tu n’y échapperas pas !

Claire de plus en plus rouge, fit de gros yeux à son amie, lui signifiant qu’il n’en était pas question.

— Je finirai en ajoutant une chose, continua-t-elle. Même si tu m’interdis toujours de te faire des cadeaux, je n’ai pas pu résister. J’ai demandé à tes amis  de t’acheter un petit quelque chose.

— Mais je ne voulais rien ! s’offusqua Claire.

— Ne t’inquiète pas, j’ai donné pour consigne que le cadeau devait être simple et peu cher, s’excusa Magdalena avec un grand sourire, avant d’ajouter :

— Que chacun aille chercher le cadeau caché à ma demande dans le bureau !

Tous les invités partirent chercher leur présent, avec l’aide de Magdalena. Claire comprenait mieux pourquoi son amie avait insisté pour accueillir elle-même les personnes à la porte d’entrée. Une pile de boîtes de tailles différentes fut bientôt installée sur la table de salon. Claire les ouvrit une par une, en commençant par celle de Magda. Cette dernière avait dérogé à la règle et lui avait acheté une tenue complète de sport, ainsi que des baskets très chères pour aller courir. Les autres paquets, selon les instructions, se révélèrent plus modestes. Continuant sur sa lancée, elle en prit un pourvu d’un emballage peu soigné. Il s’agissait du sac contenant le présent de son frère. À peine l’eut elle pris entre ses mains, que celui-ci l’interrompit :

— Attends, j’ai oublié quelque chose dedans !

La voyant froncer les sourcils, il expliqua :

— J’ai acheté un flacon de peinture pour mon robot, avant de trouver ton cadeau. J’ai tout mis dans le même sac. Ensuite mon pote Jérémy m’a appelé et je suis passé le voir. Comme ça a duré longtemps, je n’ai pas eu le temps de retourner chez moi, pour y déposer mon achat et te faire un emballage cadeau, confessa-t-il. Je suis venu ici tout de suite après pour ne pas être en retard.

— Je comprends mieux ta tenue ! critiqua-t-elle.

Bien qu’elle ne soucie guère de sa propre apparence vestimentaire, les jeans troués de son frère l’insupportaient. Ce dernier ressemblait beaucoup à sa sœur. Grand, assez mince, il avait comme elle de grands yeux noisette, et une peau très blanche. Matthieu prêtait très peu d’importance - encore moins que sa sœur - à sa tenue, qui se résumait en un jean souvent troué et un tee-shirt, sur lequel un slogan figurait. Sur celui d’aujourd’hui, l’inscription « Last clean T-shirt », résumait l’état de ses vêtements. Ses cheveux noirs mi-longs étaient aussi un sujet de désaccord avec Claire. Cette dernière les avait toujours trouvés trop longs. Tant qu’ils vivaient ensemble, elle lui coupait régulièrement. Depuis son départ, il les avait laissés pousser. Le seul objet qu’elle appréciait chez lui, était sa montre. Il s’agissait d’un cadeau fait par leur père juste avant son décès, pour ses dix ans. Ce dernier lui avait dit : « Tu es un homme maintenant, il te faut une montre en conséquence ». À l’époque, trop grosse et lourde pour lui, elle semblait démesurée sur son bras. Maintenant, bien qu’un peu démodée, elle épousait son poignet avec perfection et il ne s’en séparait jamais.

Matthieu fit semblant de ne pas entendre la remarque de sa sœur, reprit son sachet, et sans regarder à l’intérieur, attrapa le flacon d’encre. Voyant qu’une partie avait coulé le long du pot, le jeune homme l’essuya, vérifia qu’il en restait assez pour son robot, et le rangea dans son jean. Il replongea sa main dans le sac, attrapa le livre, et posa à ses pieds le sachet plastique censé contenir seulement les nombreuses publicités inutiles.

— Je suis désolé, commença-t-il.

— Oui, je sais, tu n’as pas fait d’emballage, continua Claire, finissant la phrase à la place de son frère.

— Oui, mais ce n’est pas tout. Je viens de constater qu’un peu d’encre avait coulé dans le sac, et il y en a eu sur ton cadeau. À ce que je vois, rassura-t-il, seule la couverture a été touchée. Tu devrais pouvoir lire le livre sans problème.

Claire examina le cadeau et fit comme pour chaque livre qu’elle achetait. La jeune femme lut la quatrième de couverture et commença l’incipit. À sa grande surprise, son frère avait bien choisi et l’histoire semblait avoir de l’intérêt.

— Merci, Matthieu. Ne t’inquiète pas, cela n’a rien abîmé de très important.

Le jeune homme, soulagé que son cadeau ait plu malgré le peu de temps qu’il avait passé pour le choisir, posa le sac plastique dont le contenu ne l’intéressait plus sur le dossier du canapé et repartit à la cuisine se servir d’une part de gâteau. À peine avait-il quitté sa place, que le sac, déséquilibré par son poids, tomba entre le fauteuil et le mur adjacent.

Dans l’ambiance générale de fête, personne n’y fit attention. Le mystérieux carnet, surgi de nulle part, se retrouvait à présent noyé sous un tas de prospectus, dans un banal sac plastique, caché aux yeux de Claire et de ses invités.

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