Incident

       Comme tous les soirs, Nathalie nettoyait les bureaux du premier étage du centre national d’études spatiales et comme tous les soirs, Steve, le gardien de nuit, passait la saluer avec sa petite blague du jour qu’il était le seul à trouver drôle. Comme tous les soirs, elle terminait par la salle de conférence, vide et tellement silencieuse qu’elle avait toujours une appréhension : se retrouver enfermée dans la pièce ou voir apparaître d’un coup un homme à la mine patibulaire avec un couteau à la main, ou encore Steve, possédé, les yeux révulsés en train de réciter quelque chose dans une langue étrange… Elle se rassurait en général rapidement et souriait en pensant à ces situations improbables.

        Ce 28 février 2021, elle n’eut pas le temps de sourire. Blackout avec alarme. Son cœur cognait dans sa poitrine. Elle resta pendant quelques secondes figée et recommença à respirer quand la lumière revint. Steve arriva rapidement pour voir si elle allait bien. Il avait vraisemblablement eu peur lui aussi car sa blancheur naturelle avait viré au gris.

        « Ça réveille un mort ce truc-là ! Je vais essayer de voir d’où ça vient. Je reviendrai te voir. »

        Nathalie hocha la tête sans avoir pu dire quoi que ce soit.

        Soudain, l’ordinateur devant le siège du président de séance s’alluma. Nathalie regarda autour d’elle et s’approcha. Le mot « alerte » était écrit en gros et en rouge. Puis des lignes d’algorithmes défilèrent à une vitesse impressionnante. Nathalie regarda à nouveau autour d’elle. Les chiffres de l’horloge électronique placée au-dessus de la porte étaient devenus fous. La jeune femme n’était pas rassurée. Ne voyant personne arriver, elle décida de parcourir le premier étage à la recherche d’un employé à alerter.

         Les bureaux étaient désespérément vides. Elle ne tomba même pas sur Steve. Il avait dû rejoindre le gardien du rez-de-chaussée qui avait peut-être des informations. Elle arriva au bout du couloir du premier étage et entra dans la salle de la reprographie pour voir si quelqu’un s’y trouvait. Elle entendit à ce moment-là des voix, celle d’une femme pour commencer :

        « Je ne veux rien savoir, trouvez d’où vient le problème ! Je vais dans la salle de conférence parler aux leaders.

-Bien ! », répondit un homme à la voix rauque.

      Nathalie sortit de la reprographie quand elle n’entendit plus personne. Elle se dirigea vers le local technique qui se trouvait à côté de la salle de conférence. Mal à l’aise, elle se dit qu’elle devait quand même faire le travail pour lequel elle était payée. Elle alla donc récupérer l’aspirateur. Depuis le local, elle entendit la femme au ton autoritaire saluer différentes personnes.

      « Ne vous inquiétez pas !, annonça-t-elle d’une voix adoucie. Le champ magnétique a été plus violent cette année, ce qui a déclenché le changement horaire plus tôt que prévu. Monsieur Jankowski est en train de vérifier les paramètres du programme et de faire en sorte que cet incident n’ait pas de répercussions fâcheuses. »

       Une voix masculine lui coupa la parole :

      « Comment comptez-vous gommer temporellement cet incident à l’échelle planétaire ? La distorsion temporelle va avoir inévitablement un impact sur notre temporalité. Comment tricher alors que le programme s’est lancé trois heures avant l’horaire défini ? »

       Nathalie écoutait attentivement la conversation sans rien n’y comprendre et se tourna légèrement mais son mouvement entraîna la chute d’un balai. Elle n’eut pas le temps de le remettre correctement à sa place que la femme qui se trouvait dans la salle de conférence se tenait déjà devant elle, l’air contrarié.

      « Tiens, tiens, une femme de ménage ! »

 

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