Lundi 20 avril 2020, 21h / Je poursuis mes lectures. J'ai toujours été assez éclectique dans mes choix, pour ne pas dire anarchique. Cela doit être le cas pour beaucoup de monde car personne n'en a jamais vraiment fini avec les livres, surtout en ce moment. Le plus dur quand il s'agit de lire autant, étant de ne pas confondre lecture et consommation. Pour cela, il faut marquer un temps entre chaque ouvrage et prendre un moment pour noter ce qu'une lecture nous a apporté ; même si ce ne sont que quelques mots, cela permet d'ancrer un souvenir plus tenace et de résister à la tentation d'enchaîner les livres les uns après les autres sans se donner le temps de dégager un sens à tout cela. Et puis, quand une pépite surgit, ce geste devient évident.
Pour le texte dont je vais parler, j'avais déjà quelques certitudes quant à sa profondeur et sa qualité : il est signé Christian Bobin. Cette pépite se nomme Le plâtrier siffleur, et je l'ai dégusté - oui, "dégusté", le livre ne fait que 15 pages ! - la semaine dernière. Pour quiconque a déjà lu Bobin, partir à la rencontre d'une de ses nouvelles œuvres, n'a rien d'anodin. Il s'agit de retourner dans un pays lumineux et frais de simplicité et de richesse dépouillée. Le souffle de la vie inspire chacun de ses textes et la lecture de ceux-ci donne de la force à la fragilité des choses. Alors qu'y a-t-il dans ces quinze pages ?
Un propos fondamental sur ce que nous sommes en train de vivre.
" La contemplation est ce qui menace le plus, et de manière très drôle, la technique hyperpuissante. Et pour une raison très simple, c'est que les techniques nous facilitent la vie apparemment. Mais c'est un dogme d'aujourd'hui qu'on ait la vie facilitée. Qui a dit que la vie devait être facile et pratique ? Est-ce qu'aimer c'est pratique ? Est-ce souffrir, est-ce qu'espérer c'est pratique ? La technique nous éloigne de ces choses-là, et fait grandir une lèpre d'irréel qui envahit silencieusement le monde." Deux ans plus tard - le texte a été publié en 2018 - une pandémie fige le monde et contraint la moitié de l'humanité à la contemplation de son propre quotidien, "la lèpre d'irréel" s'effondre brutalement. Nous retrouvons des vérités enfouies au fond de nous-même. Cette crise nous amène à un choix que Christian Bobin nous propose de faire : habiter le monde techniquement et se départir des éléments qui en font sa beauté ou habiter le monde poétiquement et accepter nos charmantes fragilités.
Je crois de mon côté que la technologie et la poésie ne s'opposent pas nécessairement. Je crois seulement que notre civilisation a privilégié le progrès technique pendant deux longs siècles et, que le reste a été laissé sur le côté pendant tout ce temps. Le moment est venu, je pense, d'amoindrir la place de la rationalité toute puissante, des algorithmes, de la logique en général pour laisser plus d'espace à l'inattendu, à la spiritualité et la sensibilité humaine. L'opportunité d'un rééquilibrage se présente à nous, et je trouve qu'il serait irresponsable de ne pas la prendre.