La nouvelle Guide

- Armenn ! entend-elle d’un ton furieux. Que faisais-tu, dévergoigneuse ! Qu’as-tu fait ? Cet homme... Tu as manqué à tes devoirs de Gardienne ! Je te faisais confiance ! Tu as tout ruiné. Tout ! Comprends-tu seulement ce que ça signifie ? Cet homme sera changé à jamais.

- Il ne se souviendra même pas de ce rêve. Et puis combien de personnes sur Terre font des cauchemars ? Et pourtant, ce n’est pas la fin du monde !!! riposte Armenn, dont la fureur monte en flèche.

- C’est le subconscient de l’homme qui sera changé à jamais. Et un surplus de mauvais rêves peut causer une dépression chronique. Et tous les autres Gardiens qui ont expérimenté ce manque au règlement ont tous - je dis bien tous - disparu. Dans ce monde de l’inconscient, Armenn, chaque erreur est sévèrement punie. Car nous n’y avons pas droit.

- Et comment s’y prend-on pour tuer des êtres immortels, exactement ?

Aslinn hésite avant de répondre, mais est finalement emportée par sa colère.

- La Henna !!! C’est autant un moyen de répandre le bien qu’une arme redoutable ! Cette brume peut te tuer de bien des façons, si ton assassin possède assez d’imagination ! Il faut juste la manip...

La Guide s’arrête brusquement de parler mais il est déjà trop tard. Elle comprend sa destinée avant même qu’Armenn la choisisse. Aslinn voit la Henna onduler et se transformer ; un corps vaporeux apparaît alors. Sa chair se disloque en lambeaux, se confondant avec les pans de sa tunique. Deux jambes squelettiques en ressortent, pourtant ses pieds n’effleurent pas le sol. Des pinces cadavériques remplacent ses bras, et cette créature des ténèbres observe son environnement de ses deux têtes triangulaires. Une aura maléfique se dégage d’elle, et Armenn voit sa Guide reculer d’un pas.

La terreur se peint sur son visage, et Aslinn recule pas après pas. La bête se recroqueville sur elle-même, prête à attaquer. Un bouclier de Henna apparaît entre ses mains peu avant que le monstre n’attaque. Un combat silencieux s’ensuit. L’armure dont Aslinn s’est entourée encaisse les coups et se reforme immédiatement, pourtant la jeune fille remarque peu à peu que sa Guide faiblit.

- Tu ne pourras jamais me vaincre, Armenn ! Tu ne possèdes pas assez d’expérience !

La jeune Gardienne ne prête pas attention à ces paroles et se concentre. Toute la rage, la rancœur qu’elle a enfouies lors de son arrivée dans ce monde ressurgissent, décuplées. La créature gagne en puissance, alimentée par Armenn, et prend le dessus sur sa Guide. Aussitôt, les lambeaux de tunique s’enroulent autour de sa gorge et l’enserrent. Aslinn devient alors transparente ; son regard se voile. Quelques instants avant de disparaître complètement, la Guide chuchote :

- J’étais comme toi, Armenn. Je suis désolée de ne pas t’avoir sauvée. Mais « Il y a le possible, cette fenêtre du rêve ouverte sur le réel. », a dit Victor Hugo.

Puis Aslinn s’évapore comme si elle n’avait jamais existé.

Armenn reprend alors contact avec la réalité. Avec l’horreur qu’elle vient d’accomplir. La Gardienne a tué sa Guide. Sans même s’en rendre compte. Guidée par sa colère incontrôlable, la jeune femme a créé un monstre à deux têtes à l’aide de la Henna. Cette brume qu’elle a su maîtriser mieux que sa professeure. Armenn ignorait qu’elle est capable de tant de cruauté. Qu’elle peut ôter la vie de quelqu’un sans remord.

Pourtant la jeune femme regrette amèrement son geste. Emportée par ses sentiments fougueux, elle a supprimé l’âme d’une innocente… A cause d’une seule personne ; cet homme qui l’a violée à de nombreuses reprises. Le revoir une seule fois et tout son équilibre vole en éclats.

Des larmes brûlantes ruissellent sur ses joues. A travers ses larmes, Armenn aperçoit son Arbre argenté, et, à ses côtés, une silhouette floue recroquevillée sur elle-même.

***

Le cri de Kélio se perd dans la nuit. Il ferme les yeux et pense aux bons moments passés avec sa mère, ainsi qu’à toutes les choses qu’il aurait dû lui dire.

Il se prépare à sentir le sol.

Un grand frisson traverse tout son corps, puis plus rien.

- Voilà ce qu’est la mort ? pense-t-il.

Puis Kélio ouvre les yeux et voit une femme à genoux qui pleure à côté d’un arbre, un bel arbre aux feuilles argentées. Cependant, des feuilles commencent à tomber à son pied. Le brouillard tout autour lui fait tourner la tête et Kélio s’évanouit.

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