Un jour, alors que la Guide s’affaire près de son propre Arbre, Armenn décide de gravir le sien, et parvient à poser sa paume sur la branche la plus haute. Son cœur s’affole, ses muscles se tendent. Elle laisse échapper un cri, tente de retirer sa main, mais celle-ci reste aimantée au rameau. Les mésanges ont arrêté de piailler.
Armenn a pénétré dans l’inconscient d’un homme.
Un homme qu’elle ne voulait jamais revoir.
L’homme qui l’a menée à se jeter de la fenêtre.
Aussitôt cette pensée formulée, l’instinct vengeur qu’elle a enfoui reprend ses droits. Oubliés, les avertissements de sa Guide. Armenn a accès à l’inconscient de l’homme et elle compte bien en profiter. Le tuer comme il l’a fait. Sans aucun scrupule.
La jeune femme conserve son lien avec l’homme et cherche au tréfond de son âme ce qui pourra l’ébranler. Non, pas simplement l’ébranler. Le choquer au point qu’il ne désire même plus vivre. La Henna prend la forme d’une falaise, si haute qu’Armenn n’en voit pas la fin. La roche rassemble des teintes ocre et grise, ponctuées çà et là de taches rouges. Un rouge identique à celui du sang humain. La chute est à pic. Armenn rompt le contact avec son Arbre mais garde le contrôle de la Henna dans l’esprit de l’homme. Elle veut se venger personnellement.
La jeune femme pénètre dans son rêve. A ses côtés, à la lisière de la falaise, se trouve l’homme. Il observe les alentours, captivé, lorsque son regard tombe sur Armenn. Aussitôt, son visage change de couleur jusqu’à devenir de marbre. La jeune femme, euphorique, esquisse un sourire diabolique. La vengeance est un plat qui se mange froid.
Armenn s’approche lentement de son bourreau. Elle savoure chaque instant de terreur intense qu’elle décèle dans les yeux de l’homme. Chaque pas la rapproche un peu plus de lui. Bientôt, la jeune femme peut frôler son épaule. Ses lèvres s’étirent pour former un rictus carnassier. Armenn lui adresse un clin d’œil avant de le pousser dans le vide de la Henna.
- Armeeeeeeeeenn !!!
Son cri se perd dans sa chute. Le contact est brutalement rompu ; elle sait instinctivement que l’homme s’est réveillé en sursaut, ruisselant de sueur.
***
Il soulève Kélio et le traîne vers la fenêtre, puis le pose sur le rebord, la tête dans le vide.
- Quelle belle fenêtre, tu ne trouves pas ? demande-t-il.
- Remonte-moi, s’il te plaît.
Malgré sa politesse, et surtout l’effort qu’elle lui a demandé, la réponse est sans appel :
- Je crois pas, non.
L’homme le pousse encore plus dans le vide ; Kélio n’est maintenu plus que par ses pieds.
- Maintenant ton heure a sonné ! Voilà pourquoi il ne faut pas me chercher !
Sur ces paroles, l’assassin le lâche dans le vide.