Chaque carte du tarot de la mémoire retrouvée raconte une histoire. Pour commencer, on lit l'histoire de Solène - qui a été qualifiée de rêveuse par la voyante à qui appartient l'oracle - la jeune femme vient de rompre.
A l'aube, Solène, une grande blonde pétillante, la vingtaine, bien habillée, avec des lunettes ovales et une queue-de-cheval impeccable, tire une très grande valise rigide et est harnachée de deux sacs de voyage en bandoulière. Elle sort du hall d'un immeuble haussmanien au moment où les réverbères qui illuminent la rue commencent à s'éteindre, le jour s'est faiblement levé.
— Ce n'était pas le bon ! déclare-t-elle lorsqu'elle est rejointe par son amie, Émilie, une petite maigrichonne brune du même âge, encapuchonnée d'un fichu rouge délavé, au visage terne encadré par des cheveux gras, attaché sans grand soin.
Puis la blonde se laisse tomber au milieu de ses valises et soupire :
— Pfiouuuuuuuuu... pourquoi est-ce si difficile de trouver l'élu de son cœur ?!
Son amie lui sourit tristement sans répondre.
— Je n'ai pourtant pas des attentes inatteignables. Je veux seulement qu'il me rende heureuse, et... qu'il me fasse rêver, tu sais, qu'il soit romantique, avec des grands yeux dans lesquels je pourrais me perdre toute une vie, et me retrouver aussi.
La brune se saisit d'un sac de voyage et d'une valise.
— On ne va pas s'éterniser là, viens on va chez ta mère poser tes affaires ! lui dit-elle, engageante.
— Chez Maman ?! Certainement pas... répond Solène sans se lever.
— T'as une meilleure idée ? continue Émilie...
— Je préfère encore vivre sous un pont que de lui dire que je me suis faite larguer par le prince charmant ! Je crois que j'ai pas le choix, je vais appeler Guillaume... tranche Solène, en sortant son smartphone.
***
— Dring Dring Driiiiiiiiiiing DRIIIIIIIIIIIING
La main droite d'un homme d'une trentaine d'années à l'ossature imposante éteint le réveil analogique. Mais il ne se passe rien. Il est recouvert de graphiques griffonnés sur des feuilles de papier millimétré qui se sont effondrées pendant son sommeil. Sur ses doigts en partant de l'index à l'auriculaire des tatouages : un pique, un trèfle, un carreau et un cœur dessinés de manière rudimentaire à l'encre noire qui s'est délavée. Une chevalière carrée à l'annulaire donne la même heure que le réveil, 6 h 10.
— Dring Dring Driiiiiiiiiiing DRIIIIIIIIIIIING refait le téléphone filaire à cadran au milieu des montages scientifiques expérimentaux. Il déplace une pile de revues scientifiques sur les temps géologiques en soulevant un nuage de poussière. Il répond. Le combiné hurle :
— Allô, c'est toi, Guillaume ??
En éloignant le téléphone de son oreille :
— Oui, c'est bien moi ! Ne crie pas comme ça, je ne suis pas sourd ! puis il pose le combiné distraitement et reprend son ouvrage.
Au bout du fil, grésillant :
— Tu ne sais pas comme j'ai eu de la peine à retrouver ton numéro de téléphone...
Sa main gauche tâtonne et trouve les résultats d'une sorte de sismographe sur un rouleau de papier thermique, et les arrache pour les observer sans sortir du canapé de cuir vieilli où il est couché.
— [...] un fixe... en 2009 !! tu es vraiment un original mon frère !!! [...]
Il est mal rasé, il porte encore ses vêtements de la veille, avec des chaussettes dépareillées, dont l'une est trouée à un orteil. Il bâille devant les graphes enregistrés pendant la nuit.
Au bout du fil :
— [...] J'étais persuadée que c'était la perle rare cette fois [...]
Il s'ouvre une canette de boisson énergisante. Il fait la grimace quand la mixture sirupeuse descend dans sa gorge et s'essuie la bouche d'un revers de main.
— [...] Tout le monde me disait qu'il avait des étoiles dans les yeux en me regardant, et que ça ne pouvait pas tromper, mais manifestement [...]
Il sourit, lève le doigt en l'air pour attraper un crayon de bois fiché derrière son oreille avant de noter un commentaire sur un de ses graphes quand soudain...
— [...] du coup je n'ai nulle part ou dormir les prochains jours et je me disais que peut-être ?
***
Les deux jeunes femmes sont assises sur le trottoir au milieu des bagages. Solène tient son smartphone sur haut-parleur :
— ... évidemment, je vais te donner le double de mes clefs, on se rejoint dans mon bureau d'ici une heure, mais grouille-toi, je fais cours à 8 h 30, conclut Guillaume en raccrochant le combiné. Bip bip...
— Toujours aussi bavard, uhuh ! soupire Solène. S'il reste aussi bourru je ne sais pas comment il fera pour trouver sa moitié ?!
— Au moins ça m'arrange de t'accompagner directement à la fac, dit Émilie en haussant les épaules, ça m'évitera de manquer des cours en faisant l'aller-retour chez ta mère.
***
Arrivé à son bureau, Guillaume met en route un ordinateur fixe à gros corps datant des années 90. L'écran affiche Windows 95 quand une femme très élégante, en début de quarantaine, complet tailleur et talons hauts entre dans son bureau :
— Solène ? C'est ouvert, tu peux entrer...dit Guillaume.
— Non ! C'est Samira... Pourquoi ? tu attendais ta frangine ?
— Ouais, son conjoint l'a mise à la porte hier...
— Merde ! Ils ont eu une sérieuse dispute alors ? s'inquiète Samira.
— Pas vraiment, il a décidé d'emménager avec sa maîtresse...
— Outch. Elle l'a pris comment ? compatis Samira.
— C'est-à-dire qu'elle ne s'y attendait pas, mais tu connais ma sœur...
Il n'a pas le temps de finir sa phrase que la quantité d'un seau d'eau sort de l'aquarium en face de la fenêtre pour atterrir sur Samira en la trempant des pieds à la tête. Aux quatre coins de la pièce, des enregistreurs sismiques s'affolent.
— Pardon, j'avais complètement oublié la simulation de tsunami sur la côte est ! - Guillaume s'active pour ouvrir un placard en hauteur dont il sort une serviette-éponge et une blouse blanche de chimiste plus très fraîche – Tiens, pour te sécher... et te changer.
Samira rit aux éclats et se met en soutien-gorge pour se sécher avant d'enfiler la blouse d'écolier tendue par Guillaume.
— Attention à la réplique sismique ! crie Guillaume en tirant Samira à lui, juste avant qu'une nouvelle vague soit à nouveau projetée hors de l'aquarium.
Samira essuie les gouttes d'eau tombées sur les verres de ses lunettes en demi-lunes, avant d'arracher les résultats sur les rouleaux sismographiques pour les étudier.
— Mon Cher Guillaume, ton protocole expérimental nécessite quelques aménagements techniques pour ne pas inonder toute l'université, néanmoins tu tiens quelque chose de très prometteur ! dit-elle en chaussant ses lunettes.
— Ah oui ?! fait-il, en lui arrachant les sismographes des mains.
— Si on ne tient pas compte des... débordements... ton algorithme fonctionne parfaitement pour modéliser ce type de phénomène climatique pendant le précambrien.
— S'il suffit d'investir dans un aquarium plus grand, je peux aller en acheter un à Truffaut, c'est à deux pas ? lance Guillaume, exalté.
— Minute papillon ! Je ne pourrai pas te couvrir en cas de dégât des eaux, il va falloir passer par des canaux plus académiques pour du matos réglementaire, je suis ta directrice après tout ! ajoute Samira, enjouée.
***
— Je crois que c'est ici le bureau de ton frère... chuchote une voix derrière la porte.
La lecture est fluide. Les scènes coulent les unes dans les autres, d'autant quand on visualisé ce que ça donnera en bande-dessinée. Le rythme est dynamique et donne envie de lire la suite.
Guillaume est introduit comme le personnage principal, et sa relation avec Solène et avec son travail sont annoncées comme deux clés de développement de l'intrigue. Il accueille sa soeur mais tout dans son rythme de vie (axé sur le professionnel) semble décoordonné et en dehors des clous. Mis en parallèle avec la Solène idéaliste et toute propre sur elle que tu nous dépeints, ça promet de faire des étincelles.
Merci encore. <3
Avec un peu de retard, je prends le temps de répondre... mais je ne sais pas quoi ajouter. Techniquement, comme je disais à Baladine, Solène est le personnage principal (celle dont on parle) et Guillaume le protagoniste (celui qui agit), avec Samira la co-protagoniste (celle qui pousse à l'action) sur cette intrigue.
Jusque-là j'avais l'impression d'avoir créé quelque chose de transparent au niveau de l'intrigue, mais ce dont j'ai pris conscience avec les différents retours c'est que les ellipses créent une sorte de "flou mystérieux" alors que j'avais simplement envie d'accélérer un peu le rythme sur le début afin de rentrer directement dans le "vif du sujet".
Petit retour de (re)lecture, donc. Je trouve qu'on comprend bien que l'intrigue unique tourne autour Solène qui, si elle n'est pas au centre de la scène la plus longue, celle de Guillaume, est quand même présente dans leurs échanges. La description fonctionne bien, elle reprend les éléments visuels de la couverture et on la reconnait facilement. Les scènes sont un peu hachées, mais c'est dû au format, et dès lors qu'on sait que c'est un synopsis de BD, on imagine la BD et c'est plus simple. En plus le mot "perle" est souvent présent, et fait écho au titre de la section donc ça me parait évident que tout porte sur Solène et ses déboires amoureux et que Guillaume est un personnage secondaire.
Ce que j'apprécie aussi, c'est la caractérisation des personnages, surtout les trois filles qui sont bien différentes (la blonde coquette, la brune débraillée, et Samira, plus mûre et plus posée, mais qui ne manque pas d'humour. Elle a l'air d'avoir l'habitude des expériences loufoques de Guillaume et rit facilement !).
Voili voilou pour ce chapitre, j'espère que ça t'aide, je vais commenter la suite !
A vite, vite.
Merci pour ton commentaire (que j'ai vu après t'avoir répondu sur discord, haha, la technologie :p ).
Je suis contente que tu identifies Solène comme personnage principal en dépit du fait (plus tard) que Guillaume soit le protagoniste de l'histoire. J'ai lu dans un bouquin de théorie sérieux qu'on pouvait dissocier personnage principal – sujet de l'intrigue - et protagoniste – qui mène l'action- et que c'était commun comme procédé littéraire et scénaristique.
Encore faut-il que je ne rate pas mon effet !!! :O
Je dois filer faire des courses avant que ça ferme, mais je te remercie pour ton éclairage réconfortant ! Pour moi tu as identifé tous les éléments présents dans le chapitre. Effectivement j'ai caractérisé des personnages secondaires avec des traits principaux caricaturés, dont le futur protagoniste de cette histoire (Guillaume), en essayant de donner un aperçu des relations qu'ils ont entre eux.
NB : pour les scènes hachées je prends note de la remarque, je verrai s'il y a moyen de lier mieux tout ça au storybord, et si je ne peux pas déjà réfléchir à mettre quelques éléments de transitions dans la version romancée. Merci encore.
Dans ce chapitre le Comique de situation fonctionne bien : avec le frère bordélique pris dans ses recherches, la sœur sans gêne qui ne pense qu’à la romance…
Puis l’eau qui se répand partout. Image des plans de chacun / chacune qui prennent l’eau ?
En plus c’est visuel et original.
« je ne pourrai pas te couvrir en cas de dégâts des eaux, il va falloir passer par des canaux plus académiques » 😂 (petit jeu de mot sympa)
"Où l’homme d’une trentaine d’années" : j’ai dû relire car j’ai cru un moment qu’il y avait un autre homme avec Guillaume…
Un chapitre qui se lit très bien, un peu sitcom, très dynamique.
Merci encore pour ton retour :)
J'ai corrigé pour l'introduction de Guillaume et des autres personnages du chapitre, c'était bien une erreur de rédaction, merci de l'avoir signalé.
Oui le but c'est d'écrire une sitcom fluide avec des gags légers, donc c'est parfait si ça donne cet effet !! Merci pour ton retour !
Toute ressemblance avec une de mes sœurs dont le prénom pourrait commencer par S-o ne serait peut-être pas fortuite... :O
Merci pour la métaphore du plan qui tombe à l'eau, c'est réaliste, et involontaire, mais ça le fait bien du coup je vais creuser ça pour le storybord :) )
Entrer dans l'histoire avec cette rupture permet de vite planter le décor et de camper tes personnages principaux, Samira, Solène et Guillaume. Tu les caractérises avec quelques détails efficaces, comme l'ordi Windows 95^^. L'écriture fonctionne bien, il y a quelques traits d'humour sympa. On se laisse porter dans ce premier chapitre.
Au vu du titre de la mini histoire (La Perle), j'imagine que Solène va chercher à retrouver quelqu'un. En tout cas, il va y avoir de la romance à un moment donné je pense.
Mes remarques :
"Je n'ai pourtant pas des attentes inatteignables. Je veux seulement qu'il me rende heureuse, et... qu'il me fasse rêver, tu sais, qu'il soit romantique, avec des grands yeux dans lesquels je pourrais me perdre toute une vie, et me retrouver aussi." lol, drôle et en même temps mignon ce passage
"aménagements techniques pour ne pas inonder toute l'université," couper après techniques ? (c'est un peu implicite, après c'est vrai que ça peut permettre un petit effet comique donc à toi de voir)
"chuchotte une voix derrière la porte." -> chuchote
Je continue !
Merci pour ce retour
J'ai corrigé tout de suite la faute d'orthographe. :)
Je vais réfléchir encore aux dialogues (je les trouve un peu "génériques" pour l'instant, surtout ceux de Samira justement) et tu as raison pour raccourcir ce qui peut l'être, et que ça ne redise pas ce qui est déjà sous-entendu. Je note ta remarque.
Aussi, je vais "homogénéiser" mieux quand je passerai à l'étape de storybord à mon avis ça m'apparaîtra plus nettement avec le découpage des plans et des bulles etc. (et j'aurai quelqu'un pour me corriger aussi à ce moment-là donc ça fera une double correction, pour voir ce qui fonctionne ou pas une fois mis en images).
J'ai l'impression que j'ai construit assez involontairement mon texte un peu comme les amours de Jacques le fataliste de Diderot, ça annonce une romance qui n'arrive jamais vraiment en réalité.
Merci encore à toi ! :)
Ahah après annoncer quelque chose c'est pas forcément pour que ça se réalise, mais tu suscites certaines attentes chez le lecteur.