Deux personnes sont assises face à face et l'une d'elles étend des cartes à jouer, face cachée, avec le dos à motifs ornementaux rouges.
— Alors, Sorcière ? Je vais faire une rencontre bientôt ??
Les mains caressent les cartes en guise de réponse.
— Ces cartes ne disent pas l'avenir, elles éclairent le passé...
— A quoi ça sert alors ? Il est nul ton jeu de tarot, on le connaît déjà le passé. Ce qu'on veut savoir c'est l'avenir !!
— Cet oracle sert à retrouver les fantômes de ta vie affective... l'avenir, il t'appartient.
— Quoi ?! Quels fantômes ?! Quelle mémoire ?! Tu débloques un peu, je croyais qu'on allait faire une séance de divination amusante, mais tu commences à raconter n'importe quoi...
— Je ne raconte jamais vraiment n'importe quoi, parfois je romance un peu. Les fantômes sont des mensonges qu'il faut retrouver punir et absoudre, ce sont des schémas récurrents qui se répètent dans notre vie de façon inconsciente, ou des croyances erronées dont on n'a jamais eu l'occasion de se débarrasser parce qu'on ne sait même pas qu'on y croit. On les arrache de l'oubli, puis on les analyse et enfin on s'en détache pour vivre mieux sa propre vie, voilà ce qu'est ce tarot, il donne quelques cartes pour comprendre ce qu'on a vécu, il ne dit pas ce qu'on va vivre...
— C'est amusant, au moins ?
— De punir des mensonges en leur tendant un miroir qui piège leur reflet dans une carte de tarot ?
— Euh ... oui, par exemple ?
— Ce jeu a le pouvoir de traquer les mensonges qui ont régi ta vie, sans jamais parler de toi. Les cartes déroulent les histoires de jeunes gens qui ont cru, et d'autres jeunes gens qui ont douté. Tiens, regarde plutôt, tout a commencé par elle...
Les doigts retournent et se posent sur la figure de LA PERLE - numérotée 0 – la carte qui correspond au fou (au mat) dans le tarot divinatoire Rider-Waite. Ils décrivent des cercles concentriques autour de la figure d'une jeune femme blonde avec des lunettes ovales habillée dans une robe fleurie aux manches très amples qui tient un baluchon.
— Pourquoi ? Qu'est-ce qu'elle avait de spécial cette fille ? demande la consultante.
— Un rêve... Solène... je crois qu'elle courait après une chimère... répond la voyante.
J'aime beaucoup cette introduction indirecte, par laquelle les lecteurices prennent beaucoup de hauteur avant d'entamer l'intrigue. Cette introduction permet déjà de comprendre la valeur symbolique/métonymique que tu comptes donner à tes personnages et leurs interactions (La jeune fille et son baluchon = Solène et son/ses bagage.s, au sens propre comme au sens figuré ?). Nous sommes presque mis en garde : rien n'est à prendre trop littéralement dans ce récit. En un sens, ce chapitre permet d'ajuster notre regard quant à ce qu'on s'apprête à lire.
Je vois aussi une note d'intention de l'autrice incorporée dans ce prologue, à travers le discours de la voyante qui nous indique comment travailler le passé afin d'impacter le futur ("On les arrache de l'oubli, puis on les analyse et enfin on s'en détache pour vivre mieux sa propre vie"). Ça me rappelle étrangement une autre note d'intention ;) Du coup, c'est cohérent pour moi !
J'aime bien le petit côté poupées russes aussi, un message dans un message, ou une image dans une image, ou une histoire dans une histoire, mais peut-être que c'est moi qui va trop loin là... Allez, la suite !
Tu ne vas pas trop loin du tout, c'est exactement l'esprit des poupées russes (!!), je voulais mettre en abyme l'histoire qu'on allait lire pour donner déjà un peu plus de sens global dès le départ. Je suis ravie de lire par vos retours que ça fonctionne et que ce n'est pas trop rebutant ! :)
C'est clairement une note d'intention dissimulée dans le récit, je ne voulais pas que ça soit trop rébarbatif mais que ça reste bien clair. Mon objectif premier étant que mes intentions ne soient pas mal interprétées vu la nature sensible des thèmes que j'aborde c'est rapide de faire un contre-sens.
Hmm... les bagages sont au sens figuré (le passé, les "impedimenta" de la chanson d'Anne Sylvestre) comme au sens propre puisqu'on enchaîne le chapitre suivant sur les bagages concrets (des valises remplies d'affaires) de Solène suite à sa rupture. Plus qu'une thématique incroyablement développée ça me sert de symbole de transition pour entrer dans l'histoire.
Je ne vais pas commencer à faire tout un discours sur le bagage, c'est vraiment pas le sujet de l'histoire, ça me permet d'amener l'histoire où Solène pose (au sens propre) ses bagages ! Voilà, fin, après ça passe à un autre sujet et on n'en reparlera plus :).
Merci encore pour ton retour qui me conforte dans l'idée que ça va pour l'instant (ouf). Hâte de te lire pour la suite !!
C’est super intéressant que le roman commence par un dialogue un peu « conflictuel » entre une demandeuse qui a une posture dubitative et une sachante qui annonce les règles de ce « jeu » (ce n'est pas évident d'accepter de connaître la vérité). On voit clairement la mise en abîme, ça fonctionne.
J’aime bien la présence d'expressions qui font allusion aux cartes : comme « donner quelques cartes », ça renforce le thème du chapitre dans le corps des dialogues.
J’aime bien aussi les tournures opposées dans le discours de la Sorcière (ex : qui ont cru/qui ont douté) et tout ce qui contribue à lui donner un parler de formule magique.
Par contre dans « Pourquoi ? qu’est-ce qu’elle avait ? » : je n’ai pas compris pourquoi la consultante pose cette question imprécise après la présentation du personnage zéro (est-ce comme le patient zéro ?), elle ne me paraît pas bien s'enchaîner avec ce qui précède ni avec ce qui suit :
- Tout à commencé par elle…
- Qu’est-ce qu’elle avait ?
- Un rêve…
C'est le seul truc qui m'a gênée, après c'est peut-être fait exprès ?
Sinon j'ai trouvé cette introduction programmatique intrigante et pertinente par rapport au projet annoncé. Ça pose très bien les premiers éléments.
Je note que pour la fin, c'est un peu trop "vague" de la part de la consultante pragmatique. C'est pas du tout fait exprès c'est un dialogue intérieur retranscrit à peu près tel quel et que j'ai adapté pour le rendre un peu plus didactique (style présentation de l'histoire, effectivement).
Ce que je cherche à dire c'est que la consultante ne comprend pas en voyant la carte ce qu'elle a de particulier et qu'elle s'étonne que la voyante y voit quelque chose.
Son interrogation c'est un peu : "hein quoi pourquoi ça commencerait par elle, qu'est-ce qu'elle a de particulier cette carte ? elle avait quoi cette fille ? elle a l'air normal pourtant..."
C'est une interrogation vague, dans le sens de "j'ai pas compris c'est pas logique ce que tu racontes" - je ne sais pas si tu as des idées pour reformuler plus clairement ?
Je ne suis pas certaine de comprendre la question avec le personnage 0 / patient 0 ? C'est intéressant comme rapprochement.
Je n'avais vraiment pas pensé à un début d'épidémie. C'est plutôt le commencement d'une histoire avec une "origine", avec le personnage de Solène qui coïncide avec le thème de l'histoire et l'élément déclencheur.
Comme l'origine d'un graphique où se croisent la droite des abscisses et celle des ordonnées. Le point noté (0,0) sur le graphe. En fait ça reprend la signification "originale" de la carte du fou/du mat, qui est numérotée 0 dans le tarot Rider Waite.
Le schéma narratif de cette histoire reprend plus ou moins le voyage initiatique du consultant d'un tarot divinatoire classique qui commence par le Mat / le Fou pour acquérir des niveaux de connaissance spirituelle plus élevés au cours de sa quête. Chaque personnage/ thématique rencontré dans les 22 arcanes majeures lui délivre un message qui l'éveille d'autant plus.
Mais si ta question est plus précise n'hésite pas à me dire. Comme ça en fonction de tes interrogations je pourrais modifier pour apporter plus de clarté sur mon intention.
Merci encore !
- Tout à commencé avec elle...
- Pourquoi ? Qu'est-ce qu'elle avait [de spécial] cette fille ?
- Un rêve....
🙂
Un commentaire utile, pour cette fois, ou du moins qui tente de l’être un peu plus ! Je trouve que ce chapitre fonctionne très bien, j’arrivais bien à imaginer que tout se passait si cela avait été de la bd, et pour autant ça se lit parfaitement sous format romancé. C’est juste à la fin, pour les deux dernières répliques, j’ai dû relire pour savoir qui parlait, parce que le paragraphe m’avait coupée. Bien sûr, en version bd, ça ne risque pas d’arriver.
A bientôt !
Je vois que tu as fait quelques ajouts depuis mon dernier passage ! (qui commence à remonter un peu^^, les histoires d'or sont passées par là).
Je trouve ça très intéressant cette manière d'amener l'histoire, de faire du lien entre tes différents personnages, avec un jeu de tarot.
En lisant cette introduction, ça m'a fait un peu penser à la thérapie transgénérationnelle, qui s'efforce de guérir le présent en comprenant les blessures du passé et de nos ancêtres. J'avais aussi regardé une série sur le sujet (le chemin de l'olivier) plutôt chouette. Je suis curieux de voir ta lecture du sujet.
Allez, j'attaque la suite !
"déjà le passé ce qu'on veut savoir c'est l'avenir !!" point après passé ?
Merci aussi pour la référence, le chemin de l'olivier c'est une série turque sur la constellation familiale / thérapie transgénérationnelle. Chaque personnage est son propre ancêtre ? si j'ai bien compris ma recherche internet rapide. :P (de ma recherche rapide, ça semble intéressant).
Alors ! Je ne pars pas du tout aussi loin pour ma part, c'est essentiellement sur la mémoire proche - presque immédiate - à un âge charnière où l'enfance est terminée mais où on n'a pas encore totalement accès au "monde des adultes", parce qu'on n'a pas l'indépendance financière, parce qu'on n'en maîtrise pas encore tous les codes.
Et puis simplement parce qu'on manque d'expérience pour être totalement dans une compréhension vécue des choses et qu'on est (forcément et fatalement) dans une espèce d'idéalisation / de projection selon ce qu'on nous a dit / ce qu'on a entendu / des croyances culturellement admises etc.
Voilà, dans cette histoire je m'intéresse à ce passage entre la conceptualisation des relations d'adulte à la confrontation aux réalités des relations adultes, c'est pour ça que ça s'adresse à des jeunes adultes.
Et leur mémoire d'enfant est surdéterminante pour créer des comportements répétitifs (ex : si on leur a dit qu'ils étaient nuls et qu'ils ne pouvaient rien faire de bien, ils ont plus de risques de vivre des échecs à répétition en renforçant leur croyance de base). Tout en étant encore hyper influençables à ce qu'ils vont vivre / entendre / voir dans leurs premières expériences adultes - surtout que d'un point de vue neurobiologique c'est un âge où le cerveau est encore en développement. Si on fait ce passage dans une ambiance dévalorisante on va là aussi avoir tendance à se créer un faux-self pour supporter (c'est le problème de certaines prépas qui peuvent être limite déshumanisantes par exemple).
On a toute sa vie une plasticité cérébrale mais jusqu'à 20 ans c'est encore très très fragile. Bref, j'avais pas envie de faire un truc lourdingue mais je voulais traiter ce sujet particulièrement. Et il y a un côté moralisateur un peu assumé, dans le sens où c'est un parti prix de ma part de donner des "réponses" pour chaque histoire, comme dans une fable de Lafontaine où il y a une morale à la fin / au début.
Je ne sais pas si ça va être réussi, mais j'essaye comme ça, déjà ! :D
Oui, je te rejoins carrément sur la plasticité cérébrale des enfants et les influences sur leur vie adulte. C'est un aspect hyper intéressant. C'est chouette de lire toute ta réflexion sur le sujet. Je suis curieux de voir ce que tu vas en faire dans ton roman !