Le cliché, comme presque tous ceux de cette série sur les Tout Ptites, a été pris par Clarence, photographe, qui écrit sur sa carte de visite : garçon manqué, journaliste ratée, féministe accomplie.
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Sur cette première photo, prise dans la salle de Bal, on est devant le monumental escalier, au bois clair, aux larges marches couvertes d’un tapis bleu roi, aux rambardes polies par les mains et les fesses qui ont glissé dessus, des balcons à la piste de danse.
En arrière-plan du cliché, une porte-fenêtre à croisillons est ouverte. Le vent qui s’engouffre a soufflé les chandeliers et leur fumée virevolte, discrète. Des plumes noires irisées de bleu s’envolent et dansent dans l’air.
Dans la lueur du jour, à travers les pieds de bois de la rambarde du balcon, on voit des malles ouvertes, des coffres abandonnés dans le passage, d’où débordent des vêtements de vives couleurs - robes, chapeaux, perruques et boas.
Sur les marches de l’escalier, au centre de la photo, la bande des Etournelles pose dans le désordre des costumes qui traînent. Toustes ces petites habitantes de la Maison sont éparpillées autour de leur cheffe, Vaness, qui trône avec ses longues jambes pliées dans un jean pattes d’éph aux genoux déchirés, avec ses bras musclés jaillissant d’une chemise à fleurs jaunes sans manches, avec ses grosses lèvres qui serrent un cône de papier, qu’iel tente d’allumer d’un zippo récalcitrant. A sa droite, Paule, yeux en soucoupe et mâchoires décrochées, flotte dans sa chemise blanche, son queue de pie et la cravate qui lui descend sous la ceinture. Ses chaussettes bleu ciel dépassent du pantalon au velours noir brillant, retroussé sur ses chevilles.
Plus bas, Adriane porte un luth en bandoulière et pince les cordes en s’égosillant façon rocker.
Sur la piste, Tcharl leur fait face. Perché sur des talons rouge vernis dans lesquels plongent ses petits pieds, il tient d’une main sa perruque à paillette, de l’autre sa robe bustier et tente un show imité des Queens de la Maison.
Le reste de la bande, les Vraiment Tout Ptites, s’égayent à le regarder, accrochées dans la rambarde, posées sur les marches ou pendues au balcon.
Personne ne prend garde à la silhouette qui a surgi inopinément, au premier plan. C’est Gwenn, qui est floue de rage et fonce vers les marches dans sa grande robe argent, crinière déployée sur ses épaules comme un voile chiffonné. Sans doute les Etournelles vont-elle s’envoler en abandonnant tous leurs oripeaux colorés ; sauf Vaness, trop concentrée sur son faux pétard qu’elle a enfin réussi à allumer.