Le lycée

Dans le quartier des criminels, il faisait inexplicablement plus froid et les ombres s’allongeaient entre les ruines sinueuses et inquiétantes. Un silence rude, presque blessant s’abattait sur une végétation aride. De temps en temps, une maison se détachait des autres en montrant des indices de vie, des objets laissés dehors, une vague lueur aux fenêtres et quelques réparations sommaires.

Avançant au hasard vers les résidences encore intactes, il avisa une vieille femme qui se balançait sur un siège grinçant. Il s’arma de son sourire le plus avenant, mais dès qu’il lui fit signe, elle se leva et disparut à l’intérieur en trainant sa chaise derrière elle. Pas démonté, il continua sa route, attentif. Il avait l’impression qu’il n’était pas le bienvenu dans ce quartier. Pourtant il aurait dû y avoir sa place, il était dans le camp des criminels, il était tombé à Eïr pieds et poings liés, les gens lui avaient lourdement recommandé d’y aller…

Il s’arrêta près d’une ruine, se pencha vers l’intérieur et observa le mobilier dans la pénombre. Et s’il avait suivi les conseils ? S’il était arrivé ici, où est-ce qu’il habiterait aujourd’hui ? Il recula et reprit sa route. Non, les choses n’auraient pas pu être autrement. Il était là pour son père, sa mission le poussait chez Chris. Ses réflexions dérivèrent et il repensa à Tony, à ce qu’il avait entrepris, à son rôle dans la Brigade. À son absence qui avait causé de gros dégâts. Son père avait donné sa vie pour pouvoir mener cette ville vers la liberté. Il ne s’était pas caché à l’écart du danger et il ne pouvait pas imaginer qu’il ait mis qui que ce soit à l’écart. Alors il devait comprendre pourquoi des gens étaient ici et pourquoi sa place n’y était pas.

Il marcha un moment jusqu’à ce qu’un grand gars massif ne surgisse de nulle part et lui emboite le pas. Camille se tourna vers lui et dégaina à nouveau son sourire.

— Salut… je suis complètement paumé. Je ne connais pas la ville. Vous pourriez me renseigner ?

— Un nouveau criminel ? fit l’homme goguenard.

— Euh…

— Ça faisait longtemps. Va voir vers le lycée, là-bas.

— Ok, merci.

Le lycée était l’endroit le plus lugubre de toute la zone. Pourtant, ça n’aurait pas dû, surélevé par la colline il aurait pu être lumineux et même majestueux, en évidence au-dessus de la vallée. C’était aussi l’un des rares édifices, avec celui da la Brigade et l’hôpital à avoir un aspect moderne. Mais non. Deux coulées de lave séchées le ceinturaient de part et d’autre et avaient défoncé les routes et une petite moitié du terrain de sport en contrebas. Une bonne partie du bâtiment s’était effondrée sur lui-même à cause des séismes. Ces stigmates racontaient la tragédie qui avait eu lieu ici des années auparavant. Camille pouvait presque voir les gamins restés en cours observer les maisons, les commerces de leur quotidien disparaitre sous des torrents de feu. Ça pouvait aussi ne pas s’être passé comme ça du tout, mais pour Camille, la réalité était souvent la pire des solutions imaginables.

Pour atteindre le bâtiment à moitié effondré, il fallait escalader un escalier naturel de basalte. De là, il aperçut une porte vitrée entrouverte donnant sur un local à peu près épargné par le séisme. Il se dirigea aussitôt de ce côté.

— Bonjour ! Est-ce qu’il y a quelqu’un ?

Seul un éboulis lui répondit. Il se faufila à l’intérieur et lança un second appel en vain. La pièce était sombre et lugubre. Il se demanda s’il ne s’était pas trompé d’endroit. Pourtant cette porte ouverte, vitrée, retenue par une petite cale en bois, si ce n’était pas une invitation, alors qu’est-ce que c’était ? Il hésita à faire demi-tour, mais persévéra. On ne l’avait pas aiguillé ici pour rien.

Il traversa lentement une sorte de vieux réfectoire. Des cagettes du genre de celles qu’on pouvait observer sur le marché avaient été empilées dans un coin, vides. Leurs empreintes se lisaient dans la poussière des tables en formica alignées contre le mur en stuc craquelé. Les échanges avaient l’air d’avoir lieu jusqu’ici. Les livraisons de nourriture ne s’arrêtaient donc peut-être pas au pied du volcan. Il n’avait rien trouvé à ce sujet du côté de la Brigade, mais peut-être que…

Le cours de ses pensées fut interrompu par un grognement qui lui arracha un hurlement suraigu. Il tenta de reculer, mais ses jambes ne répondaient plus. Il porta la main à sa poitrine où son cœur s’emballait douloureusement. Il cligna pour mieux voir et scruta la pénombre en direction des cuisines. Deux petits yeux jaunes captèrent son attention. Il essaya de crier, mais il ne réussit à produire qu’un piteux gargouillis rauque tandis que tout son corps se changeait en coton. Il lui sembla aussi entendre des rires qui provenaient de l’extérieur. Ou alors c’était un effet de son imagination. Peu importait, d’autres yeux jaunes apparaissaient tout autour de lui comme démultipliés, fourmillant, tous de tailles différentes, de plus en plus proches et agressif, si nombreux qu’il avait l’impression de se noyer dans la masse et que des griffes lacéraient déjà sa peau.

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