Rentre vite… oui, oui !

— Sans pression, tu balances tout à Strada, remarqua Chris une fois le silence revenu.

— Quelle pression ? répondit Camille amusé. D’ici qu’il puisse recruter quelqu’un capable d’exploiter ces informations, on aura déjà fait beaucoup mieux, toi et moi.

Il se leva et s’approcha d’elle.

— Plus sérieusement, je ne peux pas cacher ce genre de trucs à la Brigade, dit-il. Il s’agit de la sécurité de tout le monde ici. Et même si Strada trouvait d’autres explorateurs, alors quoi ? Tu es la meilleure, aucun ne t’arrive à la cheville. Tu seras toujours entrée avant eux et sortie après. Tu vas plus loin que quiconque et tu es la plus forte. Qu’il essaie, ce ne sera qu’un peu plus de challenge.

Elle secoua la tête, réprimant un sourire.

— Tu vas m’attirer des ennuis.

— Mais j’ai raison.

— Mais tu as raison, admit-elle. C’est de la sécurité de chacun. On va continuer comme ça. Toi tu t’occupes de tout le monde et moi je cherche ton père.

— Voilà.

Il s’appuya sur la table à côté d’elle.

— Et hum… sinon… pour Layla… Elle est cinglée ?

— Complètement, approuva Chris d’un air grave.

— Tu vas faire quoi ?

— Je vais aller voir. C’est important. Mais si je n’ai rien à lui rapporter de concret, je ne sais pas ce qu’on va faire.

— On la guidera vers le médecin. Ça peut très bien être une maladie mentale, un stress lié à un traumatisme… ce n’est pas à nous de gérer ça.

— Oui, c’est ce que je me dis aussi.

Il se redressa.

— Ça commence fort, souffla-t-il. Je vais aller faire un repérage au bar.

— Mets ton armure.

— N’importe quoi. Je vais au bar, pas au front. Ça ne risque rien.

Chris poussa un profond soupir et se laissa aller en arrière sur sa chaise.

— Tu mets ton armure et tu ne discutes pas. Tu veux vraiment que je te l’enfile moi-même ?

— Pourquoi pas, dit-il en lui faisait un petit signe provoquant.

Elle l’affronta du regard puis baissa les bras.

— Tête de mule.

— Ce qu’il faut pas entendre. À tout à l’heure.

— Je viens avec toi.

Camille attendit qu’ils soient dehors pour faire une réflexion.

— Remarque que toi non plus tu ne portes pas la tienne.

— Mais si je fais face à un molosse, je le défonce à coup de baskets. Peux-tu en dire autant ?

— Évidemment que non. Si j’en rencontre un, je m’évanouis. L’armure ne pourra pas grand-chose pour moi.

— Vu comme ça…

Est-ce qu’il lui avait manqué ? Est-ce qu’il lui avait vraiment manqué ? Elle n’arrivait plus à se rappeler pourquoi elle avait tant voulu qu’il revienne de l’hôpital. Quel casse-pied !

Le bar était calme. Layla leur fit un grand sourire quand elle les aperçut.

— L’adorable Camille et la non moins délicieuse Chris ! Ravie de voir que vous me prenez au sérieux.

— Tu sais pourquoi on est là, fit Chris lugubre.

— À ta mine patibulaire, n’importe qui dirait que c’est pour me refaire le portrait, plaisanta-t-elle. Mais moi je sais, alors tu peux te détendre et me suivre dans ma chambre, je suis prête…

Elle minaudait, de bonne humeur. Camille regardait le petit jeu entre les deux femmes avec le cœur qui s’emballait tout seul. Layla était dotée d’un charme fou et de drôles d’idées s’emparait déjà de lui tandis qu’elle les guidait. Elle grimpa trois marches à côté du bar pour s’engager dans un couloir mal éclairé. Pas de portes ici non plus, mais un rideau vert et bleu qui tranchait avec le jaune des murs. Layla poussa celui qui était tout au fond et les fit entrer. Ils découvrirent une petite pièce impersonnelle avec un grand lit, une armoire en plastique délavée et un bureau avec un ordinateur encore plus vieux que celui de Camille. Le tout dans un décor de crépi jaune d’œuf et de couvertures en patchwork.

— Voilà, dit-elle. J’espère que tu comprendras vite ce qui m’arrive, parce que c’est pénible. J’ai le sommeil fragile, je me sens mal très souvent, j’ai perdu beaucoup de mon énergie.

— Je peux jeter un œil aux autres chambres ? demanda Chris.

— Fais comme chez toi, chérie.

Camille observait partout, curieux. Quand Chris se contentait de pousser un rideau pour regarder vaguement, lui s’attardait, mais il n’y avait pas grand-chose à voir. Les autres pièces étaient dans le même genre, avec les mêmes couleurs, juste plus ou moins de désordre selon les cas. Il sourit en remarquant une paire de bottes de la Brigade dans un coin. Il essaya d’imaginer à qui elles pouvaient appartenir grâce aux indices de la chambre et pensa immédiatement au gars qui bricolait dans la camionnette, à cause des outils et des objets démontés. Facile.

— C’est bon, conclut Chris. Si je trouve un endroit comme ça, je…

Elle se tut. Une silhouette que Camille ne reconnut pas tout de suite à cause de la pénombre venait en sens inverse, une seule chose était sûre, c’était un brigadier de la tête aux pieds.

— Tiens, Chris ! s’exclama un homme aux traits durs. Ça faisait longtemps.

Bingo, songea Camille avant de se rendre compte du malaise.

— Samuel, salua-t-elle. Je croyais que tu ne quittais plus ton atelier.

— Quasi. Tu cherches quelque chose ?

— Non, c’est moi, répondit Camille. Des histoires d’ordinateur. On va passer par l’entrepôt après.

— Si vous avez besoin… conclut Samuel en haussant les épaules.

Il les croisa et disparut dans sa chambre. Camille tâcha de ne pas retenir son souffle. La tension lui faisait dresser les poils sur les bras.

— Dans tous les cas, je vous remercie de vous être déplacés, mes deux chéris, sourit Layla. Je vous paie un petit verre ?

— Non, merci, répondit Chris.

Elle quitta le bar d’un pas rapide et poussa un soupir une fois dehors.

— Détends-toi, murmura Camille.

— Je n’aurais jamais dû venir.

— Pourquoi ? Ce sera plus facile pour toi de trouver la porte si tu sais à quoi ressemble la pièce. Et puis… il n’a sûrement rien entendu.

— Je m’en fiche.

— Tu ne peux pas te cacher chez toi toute ta vie au cas où tu rencontrerais un membre de la Brigade, c’est ridicule à ce point là.

— Fiche-moi la paix, râla-t-elle. T’aurais mis ton armure, je t’aurais laissé y aller seul. Tu n’écoutes rien.

— La bonne blague. Viens avec moi, je voudrais vraiment passer à l’entrepôt.

— Non, tu te débrouilles ! Je rentre.

Elle tourna les talons, il ne la retint pas. Il ne savait pas si elle gérait mal la pression où si c’était le fait de s’être retrouvé face à Samuel en pleine investigation qui la mettait d’aussi mauvaise humeur. Il doutait qu’elle en soit réduite à fuir la Brigade à ce point.

Chris était en colère. Elle se fichait d’avoir rencontré Samuel. D’ailleurs, elle se fichait pas mal des états d’âme de Layla. Elle s’en voulait parce que de plus en plus, elle était poussée à faire ce qu’elle tenait à ne surtout pas faire : les courses dans les limbes pour tout le monde. Se souvenaient-ils que c’était dangereux ? Qu’elle avait quelqu’un à sauver ? Est-ce que quelqu’un y croyait encore, à part elle ?

L’entrepôt était un peu plus loin, du côté de l’usine de plastique. Camille entra dans un grand bâtiment en tôles vertes remplies d’étagères immenses. Une partie d’entre elles était faite d’échafaudages. Il y avait du monde, beaucoup d’habitants fouinaient dans les rayons pour récupérer du matériel. Camille repéra les agents qui bossaient là. Ils étaient pas mal sollicités, mais on s’occupa rapidement de lui.

— Je travaille pour la Brigade, expliqua-t-il. Au sujet des échanges, j’essaie de déterminer la meilleure manière de commander ce dont on a besoin ou de trouver ce que l’on cherche. Ce serait génial si vous pouviez m’aider.

— Je t’écoute, répondit l’un des magasiniers.

— Est-ce que vous tenez des listes, des registres, de ce qui entre et sort du dépôt ?

— Euh… au début oui. On avait un ordinateur et on notait tout. Mais il est tombé en panne et ça nous a mis un bordel pas possible. Depuis c’est plus aléatoire.

— Ah.

— Oui, je sais bien. Le chef n’a pas jugé bon qu’on recommence, moi je préfèrerais, mais tant que c’est lui le chef… Il se casse pas le cul avec la paperasse, quoi.

— D’accord. L’ordinateur, vous l’avez encore ? Je pourrais jeter un coup d’œil ?

— Désolé, non. Il est aux pièces détachées, et il a déjà été démantelé.

— Je vois…

Camille réprima un soupir. Il adorait la Brigade, la Brigade c’était vraiment des amours. Était-ce la seule organisation de la ville avec un peu de bon sens ? Les archives, c’était la vie ! La survie, même !

— Je suis désolé, insista le magasinier. Je peux faire autre chose pour toi ?

— Non, c’est bon.

Puis avisant un collègue qui garait un monte-charge tout près d’eux, il ajouta :

— Vous arrivez à avoir de l’essence ?

— Oh oui, facilement, ce n’est pas ce qui manque ici. On a un gisement au large et une raffinerie associée à l’usine de plastique. Sans ça, elle ne pourrait pas fonctionner.

— Ah bon ? Je croyais que c’était justement pour ça qu’il n’y avait aucune voiture à Eïr.

— Non, il y en a, mais pas beaucoup. Le fourgon de la Brigade, celui de l’hôpital, mon transpalette… Les autres sont des épaves, sinon, il y a aussi toutes celles qui sont parties avec ceux qui ont été assez clairvoyants pour quitter la ville avant que le mur ne soit dressé. Le plus dur, c’est de trouver les pièces.

Il lança un regard amoureux à sa machine.

— J’en prends le plus grand soin. Sans elle, je ne sais pas comment je ferais. Tiens, regarde, dit-il en lui montrant un espace vide. J’ai bougé plusieurs tonnes de fertilisants grâce à elle. Ça trainait là depuis je ne sais pas quand, j’étais heureux de m’en débarrasser.

— J’imagine.

En fait, le mec était plutôt calé sur la ville. Résultat, Camille papota avec lui plus que prévu. Il se retrouva rapidement à siffler une bière à la pause chez Layla avec les magasiniers du dépôt puis à déjeuner avec eux.  

Il les laissa retourner travailler et jeta un vague coup d’œil en direction du quartier de Chris. Il pouvait rentrer, ce serait mieux, Chris s’inquiétait peut-être… Il pouvait aussi faire une petite visite surprise à la Brigade. Il évalua les possibilités. Soleil furieux, chaleur épouvantable, côte longue et pénible… Tout ça pour aller boire un autre café et discuter avec la fine équipe qui faisait tourner le meilleur des mondes…

Son regard dévia vers les versants du volcan et sur un édifice partiellement effondré qui trônait sur une colline qui avait été épargnée par les coulées de lave. Le quartier des criminels… il se situait sur la pente ouest, la plus sinistre, celle sur laquelle les éruptions avaient fait le plus de dégâts. Les ruines y étaient nombreuses et chargées de fantômes de la catastrophe. Les bâtiments habitables n’étaient plus forcément raccordés au réseau électrique ou à l’eau courante. Toutes les structures boisées avaient noirci ou brûlé. La plupart des routes étaient traversées par des rivières de roches figées.

Camille se sentit irrésistiblement attiré. Aux débuts du confinement, aux prémices de la Brigade, ça avait dû être le lieu de vie des amers et des déprimés, des ermites fatalistes et de ceux qui ne pouvaient plus faire confiance à personne. Et plus tard étaient arrivés les criminels. Ils étaient débarqués à Eïr comme des naufragés, sans explication, sans justification… Tous ces gens-là pouvaient être une véritable mine d’or de renseignements. Si Camille voulait des informations inédites sur la situation, c’était l’endroit rêvé.

Il n’avait pas encore pris sa décision qu’il marchait déjà dans cette direction.

 

Chris n’était pas rentrée depuis longtemps quand elle sentit qu’on allait la déranger. Des pas se rapprochaient de la maison. Des pas qui n’étaient pas ceux de Camille. Les siens, elle les reconnaissait bien. Avant, avant Camille, il n’y avait bien que Strada pour venir ici, et pas tous les jours. Maintenant, il lui semblait que c’était en permanence.

— J’ai entendu dire que Camille était à nouveau sur pied, questionna un intrus au visage familier.

Chris observa Joachim Bellem entrer chez elle comme si c’était un bureau de la Brigade.

— Il est rentré, répondit-elle. Mais il est ressorti.

— Est-ce que ça vaut la peine que je m’adresse à vous ou faut-il que je repasse ? demanda-t-il.

— Si c’est pour la pièce, c’est mort. Je ne peux pas atteindre ce truc.

— Je sais. C’est bien embêtant, mais j’ai fait des progrès de mon côté. J’ai réussi à concevoir une reproduction fidèle qui semble pouvoir faire l’affaire. Mais je recherche des minerais. Dans les limbes, ce n’est pas ce qui manque, n’est-ce pas ?

— Ça, c’est avec la Brigade qu’il faut voir. Ils ont une équipe juste pour ça.

— J’aurais effectivement pu passer par eux, sauf qu’ils ont déjà l’usage de leurs récoltes pour leurs échanges, et moi j’en ai besoin de plus en plus rapidement. L’usine est à l’arrêt depuis une semaine, pour la sauver mes délais sont courts.

Chris se redressa, surprise.

— C’est à ce point ? À cause d’une seule pièce ?

Il hocha la tête d’un air dépité.

— Je vous en supplie, Chris, aidez-moi.

— Du minerai, ça ne me pose pas de problème.

— Merci. J’ai une liste. La voici. Vous pourrez me les laisser au bar quand vous les aurez, Layla est plus facile à trouver que moi.

— D’accord.

Elle le regarda partir et poussa un profond soupir. Elle jeta un coup d’œil à la liste. De l’or, du diamant, du quartz… OK, rien d’extraordinaire. Ça lui laisserait le champ libre pour tenter d’explorer un nouvel endroit. Et accessoirement une autre raison de râler contre Camille. Foutu pour foutu, au moins le minerai c’était dans ses cordes.

 

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Raza
Posté le 08/03/2025
Hello!
Hehe, Chris ne veut toujours pas s'ecouter! Bien sûr, qu'il lui a manqué, le petiot! ^^'
Je ne suisbpas sûr de savoir si ce chapitre a un fil directeur clair, mais c'est pas grave. Ce qui menpose plus question, c'est que les enjeux ne sont plus très forts je trouve. Pour le père de Camille, je n'y crois plus, ou en tous les cas pas à court termes. Pour la ville en elle même, et les limbes, ils savent mieux se repérer dedans, mais, est ce que ça va les aider à vaincre ? Il y a bezucoup de questions en suspens, et je suis avide d'avoir des réponses !
Note que, si jamais tu avais suivi les convrsations a ce sujet sur le discord, je suis intéressé principalement par le monde, et presque pas par les personnages, donc toute scène de dévelloppement de relations ou de perso ne sont pas ma tasse de thé (et donc prend ce que je te dis avec des pincettes!).
Ceci etant dit, un point plus spécifique : si je suis chez du magasin, bah je demande qu'on me fasse un inventaire, puisaue je vais pas le faire !
Et point 2 : dans une usine, si quelqu'un vient aec de l'or, du quartz et du diamand, il y a peu de chance pour que il y ait l'équipement adéquat pour transformer ça en équipement ?
Allez, à bientôt et merci pour le partage ! Gogogo Chris dans les limbes, va retrouver ton père spirituel ! <3
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