Vendredi 7 mars, 17h10. Le Diable entre et commence immédiatement à faire un scandale.
LE DIABLE
Je ne suis pas parano, mais je ne suis pas né de la dernière pluie non plus. Je sais très bien que nous ne sommes pas seuls ici. Mes moindres faits et gestes sont rapportés et disséqués.
Ne faites pas l’innocente, ça ne vous va pas du tout ce petit air niais. C’est très mal de rapporter. Vous m’avez bien eu, avec votre obligation de confidentialité. Oui, c’est cela, vous m’assurez, vous m’assurez… Eh bien moi, je vous assure que je sais de quoi je parle et qu’on ne me la fait pas.
Non, Madame, je n’entends pas des voix ni ne vois des caméras cachées. Je ne suis pas ski… chi, grfrrrrrrrrrrrrrr… schikizophrène !!! Juste indigné. À juste titre. HA ! Vous voulez des explications ! C’est plutôt vous qui allez vous expliquer. Alors, dites-moi.
Que pense votre Super Vizir de votre patient préféré ? Lui avez-vous déjà dit que vous vous occupiez de mon humble personne ? Si vous voulez, vous pouvez l’inviter la prochaine fois. Ça vous épargnerait une séance de supervision en plus de votre semaine surchargée. Un petit trio, ce serait sympa. Je suis très ouvert d’esprit vous savez. Open minded en américain.
Comment ça, il ne faut pas exagérer ? Ouh là là. Vous allez peut-être vous plaindre de moi dans les jupons de votre superviseur ? HAHAHA, ça vous en bouche un coin que j’aie découvert votre petit secret, hein ? Alors, vous pensez bien que vous ne m’impressionnez pas du tout avec votre SUPER vision. Je suis parfaitement au courant. Moi aussi je me renseigne. On vit à l’ère digitale, vous l’aviez oublié ? Fini le temps où vous pouviez déblatérer contre vos patients en toute impunité, les comparer à des bébés géants ou à des enfants mal élevés !
Alors, la prochaine fois que vous rendrez visite à votre Grand Docteur, vous pourrez lui dire de ma part que si c’est pour s’en mêler, il n’a qu’à parler directement avec moi. Je n’ai aucun besoin d’intermédiaire, moi. Et moi qui croyais que je pouvais vous faire conf… Comment ça ? Mais surveiller quoi ? Moi ? Ou VOS sentiments pour moi ?
Quoi ?! Ah bon ? Si je comprends bien, un Super Vizir est un peu comme un compagnon d’infortune. Une sorte de mariage opportun. Vous ne pouvez pas travailler toute seule, comme moi ? Je suis mon propre superviseur en quelque sorte. Ou plutôt mon propre super visionnaire. Je suis d’avis que trop de cuisiniers ne peuvent que gâter la sauce et je n’ai besoin de personne à part moi-même pour avoir des idées.
De toute façon, vous n’êtes pas la seule à avoir un consultant à vos côtés. Vous oubliez mes amis Sigmund et Docteur Google. On a toujours besoin d’un consultant pour faire le travail à sa place. Vous vous croyez la seule avec vos ruses à la noix de coco. Figurez-vous que moi aussi j’ai plus d’un tour dans mon sac.
Car qui a besoin d’un diplôme de psychologie de nos jours ? Je vais vous dire quelque chose : je suis un self-made-psy. Je n’ai besoin d’aucune qualification que ce soit. D’autant plus que je me souviens de tout parce que j’ai une mémoire photographique incroyable. Oui, regardez sur mon iPhone, si vous ne me croyez pas ! Quelle sottise que la qualification au détriment de la qualité. D’ailleurs, je vais vous le prouver en écrivant un livre sous une forme didactique et dramatique bien plus enivrante qu’un soporifique manuel de psychologie et moins rabâcheur qu’un self-help-book.
Ne vous inquiétez pas, je ne vous citerai pas. Comme ça personne ne saura que c’est vous et vous pourrez rester fidèle à votre modestie légendaire pendant que je me farcirai les séances d’autographes. Réfléchissons. Par où commencer ? Non merci, je n’ai nul besoin de vos CON-seils et permettez-moi d’insister sur la première syllabe. Le mieux, c’est de commencer par le copy-paste. HOP. Et voici un premier petit chapitre sur les tics et les tocs.
Pardon ? Eh bien vous n’aurez qu’à me faire un procès en plagiat. De toute façon, il n’y a que ceux qui ne tentent rien qui ne se retrouvent pas avec un procès sur le dos. S’il faut toujours faire attention à chaque note de bas de page, on ne fait plus rien. Moi quand je vois quelque chose qui me plaît, je le – comment dit-on déjà ? Merci : je le subtilise ! Comme Robin des Bois. Ou Lupin. Je suis l’écrivain de la justice et l’avocat des fous.
N’importe quoi ! Il faut toujours que vous vous fassiez du souci pour moi. Vous êtes vraiment une trouillarde de première catégorie ! Vous avez peur qu’on vous retire votre licence d’exercer un travail que vous pourriez tout aussi bien exercer sans autorisation ? C’est très mal de s’identifier à son travail, vous n’aurez qu’à demander au Grand Super Vizir.
Tenez. J’ai enregistré un protocole de notre séance sur mon iPhone. Si je vous ai demandé votre avis ? C’est une question rhétorique, je suppose, puisque vous savez très bien que non. Vous êtes toujours prête à vous indigner sur tout et n’importe quoi. Si on n’a même plus le droit de filmer ou d’enregistrer des choses en cachette, ça va être la fin des haricots. Ce n’est pas pour vous faire un procès en incompétence, c’est pour que vous ne lui racontiez pas n’importe quoi. L’exactitude est très importante quand on rapporte et surtout quand on dénonce. Il faut rapporter les faits de manière exacte.
Vous pouvez garder l’iPhone. Ce n’est pas un cadeau, juste le denier modèle, bientôt obsolète. Et comme ça, j’aurai enfin un numéro sur lequel vous joindre en cas d’urgence ou pour vous envoyer un message en cas improbable de retard. Attendez, j’enregistre mon numéro… 06… 6… 6… pour que vous puissiez me joindre à toute heure du jour ou de la nuit. J’ai effectué une petite manip pour que vous ne puissiez pas le mettre sur vibrateur ‒ pardon vibreur ‒, c’est très pratique (DING DONG) contrairement à votre stupide sonnette. Ça vous apprendra !
Il s’en va et le téléphone commence à sonner, au grand dam du patient suivant.
Je compte sur votre discrétion.
Le Super Vizir.