Vendredi 28 février, 17h20. Le Diable fait irruption dans la pièce et commence tout de suite à parler avec animation. Et ça commence bien…
LE DIABLE
J’ai un problème avec ma queue. Quoi « bonjour » ? Je viens de vous annoncer que j’avais un problème avec ma queue.
Attendez. Je vais vous montrer tout de suite. Quoi « non » ? Je veux vous parler d’une affaire sérieuse et vous refusez d’en voir plus ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Je me demande bien pourquoi je vous paye !
AH BON. Non. Ho ho ho. Mais quel malentendu ! Tout droit sorti de votre esprit mal tourné. HAHA, je n’en peux plus ! Vous ne pensez vraiment qu’à ça !
Non. Pas cette queue. Non, mais quelle offense. Je n’ai nul besoin de votre aide de ce côté-là. Pas de problème, je vous remercie.
Il s’agit tout simplement de ma queue arrière. Pas la peine de prendre l’air bête. Comme tous les diables je possède une queue pointue rouge et noire. Sauf que la mienne est particulièrement longue et belle, naturellement. D’habitude, elle reste cachée sous ma cape dans le porte-queue de mon manteau pour ne point effaroucher les badauds. (Il soupire.) Je vais la libérer afin que vous puissiez l’admirer. (Il soulève sa cape.)
Elle est belle, non ? (La queue effectue de gracieuses salutations.) Et aussi très pratique pour tuer mouches et moustiques ou se curer les oreilles. (La queue fait une démonstration et le Diable la caresse tendrement.) Elle aime bien qu’on la caresse, voyez-vous ? (La queue s’enroule autour de l’avant-bras du Diable qui continue à la caresser de sa patte libre.) Elle est contente de pouvoir être libre ici. Est-ce que vous voulez aussi la…
Le problème dont je voulais vous entretenir à l’instant ? Hum, oui, effectivement. Et tout ça à cause de vous ! En réalité je vous paye pour résoudre des problèmes, pas pour que vous en créiez de nouveaux ! (La queue bat l’air furieusement.) Vous avez besoin d’une explication ? Et comment ! Voilà donc que vous faites l’innocente une fois de plus. Ou bien n’était-ce point vous qui m’aviez conseillé de méditer pour la paix du cœur ? (La queue dessine un point d’interrogation dans les airs.) Plutôt la méditation de la queue querelleuse, oui ! Dès que je commence à me concentrer, elle se met à se tortiller dans tous les sens et à faire exprès de m’énerver. Elle n’y met pas du tout du sien ! Je me demande bien quel savant conseil vous allez pouvoir me donner maintenant.
Pas la peine de me parler du porte-queue ! Elle s’y sent trop à l’étroit et tente de se libérer, ce qui peut être très douloureux. Après je me mets à penser qu’elle me fait mal et je ne peux plus me concentrer sur la paix du cœur.
Regardez. Lorsque je m’assois dessus comme ceci (Il s’assoit en tailleur sur sa queue.), la coquine se faufile entre mes jambes. (La queue dresse son bout pointu entre les jambes croisées du Diable.) Ça me déconcentre. (Il louche et la repousse sur le côté.)
Et avant que vous ne me demandiez, oui, j’ai bien sûr déjà tenté de la retenir entre mes pattes, mais après je ne peux plus rejoindre mon index avec mon pouce, ce qui est la condition sine qua non à une bonne méditation. Ça ne sert à rien. Et en plus ça me fatigue. Il faut dire qu’elle est assez puissante, ma queue.
Je renonce et m’en remets à vos mains. Pourriez-vous avoir la gentillesse de tenir ma queue tranquille pendant que j’essaye de me concentrer sur la méditation du cœur en paix ? Non ? Vous ne voulez pas être gentille ? Si vous préférez, vous pouvez l’empoigner plus fermement. Ça ne me dérange pas du… Comment ça, vous pensez que le problème est dans ma tête et pas dans ma queue ? Voulez-vous insinuer que je suis trop bête pour contrôler ma queue ? Je vous signale que je suis tout à fait capable de trouver une solution tout seul.
D’ailleurs, je l’ai déjà trouvée. La ruse super habile deux en un. (Il attrape sa queue.) Je l’enroule sur elle-même comme un escargot. Puis je m’assois dessus comme sur un coussin, ce qui me permet même de soulager mes hanches. Voilà. (Il s’assoit sur sa queue enroulée, joint ses pouces et ses index, ferme les yeux et prend l’air concentré.)Ommmmmh. Oooohmmm.
Un moment ! Il y a des bestioles sur mon coussin. Ça me pique de partout. (Il bondit en l’air, sa queue reste aussi immobile qu’un escargot dans sa coquille.) À l’aide ! J’ai des fourmis dans la queue ! Regardez, elle ne peut plus bouger, si ça se trouve ma circulation sanguine a été irréversiblement…
Comment ça, vous remarquez surtout qu’elle reste tranquille ? Comment pouvez-vous… Vous avez raison ! Voyez comme je suis malin ! J’ai trouvé la solution. Sauf que je dois vous dire que cette méditation n’est pas du tout bonne pour le cœur. Beaucoup trop excitante. Vous pouvez méditer toute seule, moi j’en ai marre. J’emmène le coussin de méditation avec moi, vous ne croyez même pas en rêve que j’allais vous le laisser en cadeau !
Le Diable part en essayant de dérouler sa queue pour la remettre dans le porte-queue.