** Chapitre 1 : Nim - juin 1942 **
Le matin, Bruxelles semblait figée dans une attente silencieuse. Nim se levait tôt, avant l’aube, quand les rues étaient encore désertes. Elle aimait ces premiers instants de la journée, quand tout était calme, avant que la guerre ne prenne possession des bruits, des voix, des regards. À travers la fenêtre, elle pouvait apercevoir les silhouettes des soldats allemands qui patrouillaient dans les rues, leurs bottes résonnant sur le pavé froid. L'air était lourd de tension. Chaque geste, chaque mouvement, semblait pouvoir attirer l'attention indésirable.
Elle se tenait là, les yeux fixés sur la rue, sans vraiment voir. La peur était devenue une compagne silencieuse, présente dans chaque recoin de sa vie, et Nim n’était plus certaine de savoir comment elle pouvait encore la supporter.
À 18 ans, elle n’était plus la même qu’avant. Avant la guerre. Avant que tout bascule. Avant que l'occupation nazie n’arrive, emportant tout avec elle.
Les fenêtres de leur appartement étaient souvent fermées, comme si un vent glacial soufflait toujours à l’intérieur. L’air semblait plus lourd, comme si les murs eux-mêmes retenaient l’angoisse. Nim regardait sa mère, toujours affairée à des gestes discrets, à ranger, à nettoyer, comme pour occuper son esprit. Mais ce n'était qu'une façade, une tentative désespérée de garder une semblance de normalité, de cacher l'incertitude.
Le père de Nim était moins présent. De plus en plus souvent, il sortait en catimini, empruntant des chemins détournés pour éviter de croiser les patrouilles allemandes. Depuis l’arrivée des troupes, il semblait tout juste survivre. Mais il n’en disait rien. Parfois, le soir, quand ils étaient tous réunis dans leur petit appartement, Nim pouvait voir la fatigue marquée sur son visage. Ses épaules s'étaient affaissées, comme si l’épuisement moral avait eu raison de lui bien avant l’épuisement physique. Mais il continuait à parler, à tenter de maintenir une apparence de calme. "Il faut tenir", répétait-il sans cesse. Ces mots semblaient être tout ce qu'il pouvait offrir à sa famille. Quant à son frère aîné, elle ne le voyait presque plus. Il rentrait souvent tard dans la nuit, furtif, invisible. Nim s’inquiétait, elle ne savait rien de ses allées et venues, mais l’angoisse grandissait chaque jour.
Les petites humiliations quotidiennes devenaient insupportables. Nim se souvenait du jour où elle dut enfin coudre l’étoile jaune sur sa robe, ce symbole de la dégradation. Cela lui avait pris des heures, en silence, seule dans sa chambre. Le tissu jaune semblait presque iridescent à la lumière, comme si son éclat était destiné à attirer tous les regards, tous les jugements. À chaque fois qu’elle le portait, elle avait l’impression qu’on la voyait, qu’on la dévisageait, qu’on l’écartait. Cela devenait de plus en plus difficile de sortir, même pour les tâches les plus simples. La peur d'être confrontée à des soldats, d'être fouillée ou, pire, d'attirer l'attention, la paralysait.
Elle savait qu'à chaque coin de rue, la guerre attendait. Chaque déplacement était devenu un acte de courage. Surtout après ce qui s'était passé la semaine dernière. Une rafle, en plein centre-ville. Des gens qu'elle connaissait, ou du moins qu’elle croisait parfois sur le marché, avaient été arrêtés sans raison. Emmenés en camion, leurs visages figés dans la terreur, leurs corps emportés dans l’inconnu. Les bruits couraient. Personne ne revenait jamais de ces rafles.
Nim avait entendu sa mère pleurer après, en silence, dans la cuisine, la tête enfouie dans ses mains. Mais elle n’avait rien dit. Il n'y avait plus rien à dire.
Elle se souvenait aussi de la dernière fois où elle avait vu un voisin, un homme âgé, tout de blanc vêtu, aller faire ses courses au marché. Quelques jours plus tard, il avait disparu. Personne n'en parlait. Il fallait juste se taire, se fondre dans la masse, et espérer passer sous les radars.
Le matin, Nim n’allait presque plus à l’universite. Les Juifs étaient désormais interdits de fréquenter les établissements scolaires. De toute façon, il n’y avait plus de point de repère. Les rues étaient devenues un champ de mines émotionnel, et le moindre déplacement pouvait signifier la fin.
À la place, elle passait ses journées dans l’appartement, écoutant les murmures de ses parents, se faufilant dans les ombres, comme un fantôme. Elle avait cessé de voir les amis qu’elle avait autrefois, comme Anna ou Chloé, dont elle n'avait plus de nouvelles. Les lettres, une fois échangées en secret, étaient devenues une promesse fragile d’un monde qui n'existait plus.
Aujourd'hui encore, Nim se glissait dans la chambre de ses parents, l’air inquiet. Elle avait aperçu une silhouette dehors, un homme en uniforme. Elle avait espéré que ce ne serait rien, juste un passant. Mais son cœur battait la chamade. Elle se tourna vers sa mère, qui avait posé ses mains sur ses genoux, un sourire fatigué sur les lèvres.
"Tout va bien", dit sa mère d’une voix tremblante, comme si elle essayait de se convaincre elle-même.
Mais Nim savait qu'elle mentait. La guerre n'était pas un monstre que l'on pouvait ignorer ou repousser. Elle était là, partout, toujours prête à détruire ce qu'il restait d'humanité.
La journée passa lentement. Chaque bruit extérieur les faisait sursauter. Nim s'assit près de la fenêtre, la tête pleine de questions sans réponse. La guerre semblait avoir avalé la ville tout entière. Il n'y avait plus d'échappatoire.
Le soir, alors que la lumière s'éteignait dans les rues de Bruxelles, Nim prit son cahier et y écrivit. Elle se sentait plus libre dans ses mots, dans cette écriture qui la reliait à quelque chose de plus vaste que sa réalité immédiate. Les lettres étaient devenues son seul réconfort, un lien ténu avec le monde extérieur, un peu d'espoir dans une époque de ténèbres.
Elle écrivit à Bouton d’or, ce nom de code qu'elle utilisait pour préserver l’anonymat. À Anna, à Chloé. À elles deux, elle envoyait ses pensées les plus profondes, sans savoir si ces mots leur parviendraient un jour.
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*Cher Bouton d'or*
*Je ne sais pas comment tu vas. Chaque jour qui passe ici semble plus long que le précédent. Il ne se passe rien de particulier, mais le moindre bruit dans la rue est suffisant pour que tout mon corps s’emplit de peur. La vie devient une attente silencieuse, une course contre le temps.*
*Je me souviens des jours d'avant, où l’on pouvait encore rire, discuter, sans crainte. Maintenant, tout est différent. Je suis devenue une ombre dans ma propre ville. Chaque moment passé dehors est un risque, un pari. Et pourtant, il faut avancer, il faut continuer. Mais chaque pas semble plus lourd que le précédent.*
*Je t'embrasse espérant que tes jours sont plus cléments que les miens.*
*N.B*
Continue comme ça, c'est incroyable !
Je te conseille seulement ( pour l'esthétique ) de mettre la lettre à bouton d'or plutôt en italique, mais fais comme tu veux, ce n'est pas très dérangeant
Je te remercie pour ton message !
Je prendrai note de ta remarque, merci !