C'était à Kirt, dans les montagnes du nord, et le soleil s'apprêtait à bercer de ses chauds rayons le village enclavé.
On entendait de loin le bruit naissant des villageois qui s'activaient, le son des marteaux sur les enclumes, et celui, plus doux, du rire des enfants.
Kelos, lui, se réveilla avant l'aube et nul n'entendit son rire en cette sombre journée. Il était serviteur, ce qui est le nom par lequel les maîtres tyranniques, comme le sien, désignent leurs esclaves et il fut réveillé avant l'aube par le contremaître pour aller accomplir ses corvées. Ce jour là, il devait aller chasser. Tâche ingrate s'il en était car l'hiver s'était installé depuis quelques semaines déjà et le gibier se faisait rare.
Il s'étira en baillant ; il n'avait dormi que trois heures cette nuit car il ne s'était couché qu'après avoir fini toutes ses corvées. Il marcha vers les cuisines, cachant ses bâillements d'une main, espérant y trouver quelque chose qu'il pourrait emmener en chassant, histoire de pouvoir manger un déjeuner solide. Sinon, il jeunerait, cela lui était déjà arrivé plusieurs fois et même si ça n'avait rien d'agréable, il survivrait ; son maîtres l'avait déjà habitués à pire. Arrivé, il s'assit au bout d'une des tables de bois grossier pour attendre qu'une des cuisinières lui apporte sa pitance. Et si en plus, c'était Talia qui lui apportait, il s'estimerait content de sa journée. Rien que le plaisir de voir ses beaux yeux lui apportait une joie à nul autre pareil.
Peut être était cela l'amour, mais ce n'était pas celui que décrive les histoires, celles qu'on racontent le soir au coin du feux, dans celle-ci on ne parlait pas de travail épuisant, des petites coupures que les vêtements usés laissent gelés l'hiver ou de l'humiliation de devoir servir son maître sans rien recevoir que des coups. Un bruit de pas le tira de sa rêverie, quelqu'un lui apportait à manger. Une assiette s'écrasa sur la table devant lui et quelques gouttes giclèrent sur ses vêtements. Il se retourna vivement. Ce n'était pas Talia, qui l'observait d'un œil mauvais mais Pola, une des vieilles matrones qui s'occupaient de la cuisine.
- He ! T'es pas obligé de me la lancer ma nourriture, vu ce qu'elle vaut, en plus !
Celle ci le fusilla du regard.
- Tu m'avais dit que tu t'occuperais du mur de la ferme de Niva, tu te souviens ?
Kelos soupira, il s'en souvenait.
- Oui, je m'en souviens. Tu sais, si ...
- Je me fous de ce que tu dit, à cause de toi, elle a été obliger de faire appel à un menuisier et vu ce qu'elle gagne, t'a intérêt à la rembourser.
Kelos se retourna et enfourna son repas, excédé par la conversation. Comme si c'était sa faute si le seigneur l'avait retenu !
Il se leva, renversant le banc sans lâcher un mot pour se diriger vers la sortie. Au passage, il prit sur le plan de travail une miche de pain accompagné de fromage sans que personne ne dise rien. Ses pas claquèrent sur la pierre des couloirs, hantant les couloirs de sa colère, alors qu'il se dirigeait vers sa misérable chambre. Il entra et claqua la porte derrière lui, il voulait être seule. Pourquoi s'était il emporté ainsi alors qu'il les supportait sans broncher depuis des années ? Il soupira violement ; il ne le saurait sans doute jamais alors, à quoi bon se poser la question ?
Il fourra ses affaires dans son sac de cuir, usé mais encore de bonne qualité, et ouvrit le coffre de bois qui contenait son bien le plus cher.
Là, dans un écrin de chiffons et de haillons, il y avait son arc. L'arc de son père. Tout fait d'if, poignée de cuir noir, il l'avait lui même sculpté ; il avait un certain talent pour ça, il faut dire. A coté, posé négligemment, un carquois rempli de flèches empennées de plumes d'oies, là encore, il les avait faites lui même.
Il posa doucement la main droite sur le cuir, le serrant tendrement et prit l'arc, ainsi que le carquois. Il sortit de sa chambre et se dirigea vers l'entrée, et la sortie, des domestiques, une simple porte de bois sur façade de pierre. Ni ornements ni honneur pour ceux qui servaient.
Arrivée sur la place centrale du village, il se faufila entre les étals ; c'était jour de marché. Il jeta un regard au soleil, encore bas dans le ciel et sourit, il pouvait peut être se permettre de s'attarder un peu. Il s'arrêta devant un marchand qui vendait des petits gâteaux de miel chaud, appétissants dans le froid d'un matin que le soleil n'avait pas encore chauffé. De la bourse à sa ceinture, il sortit deux drachmes et en échange, le marchand lui tendit une des petites bouchées au miel. Tout en la savourant, il se dirigea vers la sortie du village qui allait vers la forêt, marchant d'un pas tranquille. Dans les rues, il n'y avait que peu de gens à cette heure matinale, aussi les remarqua t'il aussitôt. Non pas qu'il ne les est pas remarqués si il y avait eu plus de gens mais la rencontre était étrange. Ils lui faisaient toujours cet effet là ; deux ans qu'ils étaient installés à l'orée du village, tout le monde les connaissait mais personne ne les appréciait vraiment, à part la vieille Nun peut être. C'est qu'ils étaient différent, enfin lui surtout.
La fille était plutôt quelconque, même si ses yeux avaient du faire tourner la tête à plus d'un homme et qu'ils reflétaient un détermination peu commune. Le garçon, en revanche, c'était autre chose ; son regard profond et céruléen semblait receler comme une sagesse ancienne et une assurance tranquille, tandis que l'éclat de ses cheveux blonds semblait éclipser celui du soleil. Vraiment quelqu'un d'inhabituel, dont la beauté semblait inhumaine tant elle forçait l'admiration. Mais ils portaient des vêtements usés, dont la trame ne correspondait pas avec l'image de noblesse que clamait leur visage. Un couple bien étrange, en vérité. Mais, songea Kelos, il était vrai que la femme semblait plus assuré que le garçon ; en tout cas, elle se mettait bien plus en avant que lui.
En tout cas, quand leurs yeux arrêtèrent de se poser sur lui, il fut soulagé et se remit à respirer librement. Il s'enfonça dans la forêt, traversant les champs pour franchir sa lisière. Le froid glacial lui mordait les joues et le faisait grelotter malgré les habits chauds qu'il avait enfilés dans sa chambre. Il dévia rapidement du chemin pour prendre les sentes, inconnu de l'homme, que seuls empruntait les animaux.
Il marchait doucement, veillant à ce que le sol gelé ne craque pas sous ses pas et progressait silencieusement, scrutant la forêt, à l'affut de la plus petite trace de vie animale. Il avait toujours excellé à la chasse et malgré l'hiver glaçant qui n'incitait pas à sortir, il trouva rapidement une trace, la trace d'un gros gibier !
Il accéléra, pressé. Les empreintes, à mesure qu'il avançait, devenaient de plus en plus nette. Non loin de là, une branche craqua, Kelos se retourna lentement, sans faire de mouvements brusques et s'accroupit. A moins de cent pas de lui se tenait un Taris, une créature rare et à la chair gouteuse, a mi chemin entre le cerf et le sanglier. Une proie qui satisferait à coup sur son maître. Peut être même lui offrirait t'il même une récompense ! Le jeune homme secoua la tête, pour l'instant, il lui fallait ce concentrer.
Il saisit discrètement une flèche et l'encocha presque silencieusement. Il se concentra, et commença à tendre la corde. Au moment où il s'apprêtait à décocher sa flèche, l'animal frémit, se détourna et s'enfuit rapidement, en silence. Kelos soupira :
- Merde ! C'est pas mon jour de chance !
Tout en disant cela, il entendit des bruits, sur sa gauche, des bruits étrange pour un lieu aussi déserts, des voix. Mais pas des voix humaines, non, elles baragouinaient dans une langue étrange, aux sonorités rauques et dures.
Elles venaient de la gauche, plus haut dans la forêt. Il se détourna et vit près de lui un arbre renversé qui offrait une cachette discrète.
Il plongea derrière et se cacha. Les voix se rapprochaient rapidement.
Il jeta un rapide coup d'œil vers la direction dans laquelle il entendait les voix.
Il resta bouche bée, les voix qu'il avait entendus venaient de deux Krìn ! Ces créatures, qui vivaient dans les plaines glacées au delà des frontières nord du royaume, envoyaient depuis des décennies de petites troupes armées pour piller le nord du royaume, qui disposait de ressources qui leur manquaient cruellement.
Ils avaient une apparence monstrueuse, on aurait dit des humains, mais des humains difformes. Ils étaient assez grands, mais trapu, et leurs corps étaient couverts d'un épais cuir et d'écailles d'un noir luisant. Ils dégageaient... comme une aura de danger difficile à expliquer. Leurs gueules s'ouvraient sur de grands crocs blancs qui les rendaient terrifiants.
Kelos se mit à trembler et une sueur froide lui coula dans le dos, la terreur le clouait sur place. Les Krìn n'était qu'a quelques mètres de lui et il put voir se que tenait dans ses mains le plus grand d'entre eux. Il tenait un grand arc blanc dont la pâleur évoquait celle d'un os, sur lequel était encoché une flèche à la pointe dentelée.
Le jeune homme se leva car un mince espoir l'animaient encore et il se mit à courir. Il courait vite et, avant que les Krìn le remarque, il était déjà à vingt pas d'eux, le sol gelé craquait sous ses pas. Le monstre, sans paraître surpris, leva son arc et tendit la corde. La distance entre eux s'allongeait à chaque instant, quarante pas, bientôt cinquante...
Le Krìn décocha sa flèche.
Un tir impossible, une distance importante, des arbres qui le gênaient...
Sa flèche acérée se planta dans la jambe du jeune homme.
Kelos s'effondra, sa jambe incapable de porter le poids de son corps, il venait de signer son arrêt de mort. Il ressentit une atroce douleur et porta difficilement sa main à sa jambe. Le sang jaillissait de la blessure comme un indomptable torrent.
On dit que le sang attire les bêtes et ce jour là ne fit pas exception à la règle. Un des Krìn, qui l'avaient rejoint, se pencha vers lui :
- Où est le village ? Demanda t'il d'une voix grave et rauque, massacrant les sonorités chantantes de la langue de Kelos.
- Où est le village ? Répéta t'il brusquement en le secouant.
Kelos voulut répondre mais chaque mouvement, fut t'il infime, le mettait à la torture et seul un vague gémissement de douleur franchit ses lèvres ensanglantées.
Le deuxième monstre, celui qui se tenait plus loin de Kelos, se tourna vers son compagnon et lui parla rapidement.
Ayant dit cela, il se rapprocha du jeune homme, sortit une dague des nombreux fourreaux qu'il portait a la ceinture et, sans une hésitation, il la planta dans la poitrine du domestique.
Il avait visé un endroit dénué d'organes vitaux, si bien que la victime mettrait longtemps avant de mourir, très longtemps.
La souffrance coupa le souffle à Kelos, une écume rougeâtre lui monta aux lèvres et coula sur sa gorge blême. Il voulut parler, supplier qu'on le tue. Aucun son ne sortit de ses lèvres qui ne s'animeraient plus jamais.
J'aime beaucoup ton histoire :). Le personnage principal est très intéressant de part sa condition, je dirais même que ton univers mr paraît réfléchis et travaillé :)
C'est plutôt intriguant !
J'ai juste remarqué quelques fautes (sûrement d'inattention :) )
À bientôt,
Tynah.