Florence, sept ans plus tôt
Elle ne le connaissait pas, ne parlait pas sa langue, pourtant ses bras l’entouraient.
À l’arrière d’une vespa bleu ciel, Héloïse souriait. La destination lui importait peu, seul l’instant comptait. Cet instant qui donnait du sens à son voyage, cet instant qui lui procurait les émotions que d’ordinaire elle fuyait. Aujourd’hui, ce n’était pas le cas. Aujourd’hui, curieusement, elle se sentait en sécurité, à sa place.
Pio l’avait abordée une heure plus tôt à la terrasse du Caffè Gilli et l’avait sortie de sa lecture ; à présent, elle découvrait la ville avec le plus iconique des scooters italiens.
Le paysage défilait autour d’elle, offrant à ses rétines des commerces, des églises, des basiliques aux façades magnifiques. Alors, des rives de l’Arno aux places les plus touristiques, Héloïse profitait. Coiffée d’un casque jet vintage, sa chevelure blond miel s’agitait dans le vent et fouettait sa nuque comme pour la maintenir en éveil, lui assurer que cette rencontre était bien réelle.
D’après ce qu’elle avait compris, Pio l’emmenait dans un jardin du quartier San Marco, loin des incontournables sites qu’elle avait espéré visiter en se rendant à Florence : le Duomo, le Palazzo Vecchio ou encore la galerie des offices avec ses chefs-d’œuvre de la renaissance italienne. Ils s’étaient arrêtés quelques minutes devant le fameux Ponte Vecchio. Toutes ces couleurs en équilibre au-dessus du fleuve l’avaient impressionnée. L’architecture avant les boutiques. Elle avait cru comprendre qu’ils y repasseraient plus tard et s’en contentait. Pour l’heure, elle se laissait guider.
Mal positionnée à l’arrière du scooter, elle remua et ressera ses doigts sur Misery, le livre de poche qui avait offert à Pio une occasion de lui parler. Amusée, elle remercia Stephen King. Heureusement, elle n’était pas dans une de ses histoires ! Bien loin d’un synopsis horrifique, Héloïse s’imaginait en héroïne de romance, de celles dont l’arc amoureux se développe durant les 300 pages du livre ; que lui réservait le chapitre suivant ? Pensive, elle scruta la montre au poignet de Pio, son cadran bleu nuit et son bracelet en cuir marron. Témoin de ces minutes partagées, la trotteuse était lancée dans une ronde infinie. Le temps s’étirait, s’oubliait, créait de l’impatience. Elle avait hâte de descendre du deux-roues, hâte de détailler à nouveau le visage de Pio, d’entendre son accent, de l’écouter s’essayer au français. Ses maladresses avaient pour elle un charme fou. Confiante, elle ferma les yeux tandis que la vespa ralentissait à l’approche d’un carrefour. Quand elle les rouvrit, elle n’eut pas le temps de crier.
Le choc fut terrible. Une berline noire avait grillé un feu. Son corps fut projeté dans les airs avant de lourdement retomber sur l’asphalte. Son crâne, protégé par le casque, rebondit plusieurs fois. Héloïse essaya de bouger mais impossible, elle avait mal. Son combishort jaune était déchiré par endroit et ses genoux saignaient. Autour d’eux, un attroupement de badauds, Florentins et touristes, se constituaient déjà. Elle ne comprenait rien à ce qu’on lui disait mais devinait qu’elle avait échappé au pire.
Lorsqu’une sirène déchira ses tympans, Héloïse sentit son corps convulser. De peur, de rage, pourquoi ne la laissait-on pas respirer ? Et Pio, comment allait-il ? L’univers venait de les réunir, il ne pouvait pas les séparer, pas si tôt, pas alors que, pour la première fois de sa vie, elle avait baissé sa garde.
À tâtons, elle chercha sa main. Sans succès. Au prix d’un effort douloureux, elle parvint à tourner la tête et, avant de perdre connaissance, vit la montre à son poignet. La glace était cassée et les aiguilles arrêtées.
dans cette phrase : "Autour d’eux, un attroupement de badauds, Florentins et touristes, se constituaient déjà.", il faudrait écrire "se constituait" (accord avec "un attroupement").
Ce début me donne envie de lire la suite (ce que je vais m'empresser de faire). Je trouve que les descriptions mettent bien dans l'ambiance, on s'y croirait. Le style d'écriture est agréable et fluide.
Un doute à la fin : "la montre à son poignet" : on parle du poignet et de la montre de Pio ou d'Héloïse ? Je suppose qu'il s'agit de Pio puisque tu parles de sa montre quelques paragraphes plus haut. Mais si on n'a plus ça en tête je trouve que le passage est ambigu.
En tout cas, la manière dont c'est écrit me laisse à penser que cette montre et l'heure indiquée auront une importance dans la suite du texte. Je verrai si c'est le cas !
Cette phrase :
"De peur, de rage, pourquoi ne la laissait-on pas respirer ?"
me laisse un peu perplexe. Je ne suis pas sûre de l'interprétation. Qu'est-ce qui l'empêche de respirer : l'attroupement autour d'elle ? Le contrecoup de la chute ? Et contre qui la rage est-elle dirigée ?
"pour la première fois de sa vie, elle avait baissé sa garde." : mais ce n'est pas elle qui conduisait, n'est-ce pas ? Y a-t-il une raison, en lien avec sa personnalité, pour laquelle elle se sent une part de responsabilité ? La suite du texte donnera peut-être une réponse ?
J'aurais aimé lire plus de détails sur leur rencontre, sur ce qui lui avait plu chez cet homme, ce qui l'avait encouragée à le suivre. Là encore, peut-être des réponses dans la suite du texte ?
Hop, je vais lire le chapitre suivant !