Enfin ! Enfin, le soleil semble comme sortir du ciel éclairer cette bonne vieille Irlande. Et dans cet hôpital, où les cris accompagnent la musique et les airs enjoués, il me semble le voir comme pour la première fois.
C’est un garçon, que ça crie. Il s’appellera Pádraig, murmure la mère. Il jouera du violon, assure le père. Des toutes petites mains, comme ça, déjà roses et crispées et qui cherchent le sein, on pense déjà à les mettre sur le manche d’un fiddle. Et il braille ! J’aurais été tavernier, je l’aurais mis dehors en le pensant déjà soulard. Dans la famille, il y en a qui ont sorti les Uilleann pipes pour lui faire concurrence, comme si ses cris étaient déjà un chant à boire. En voyant la tête de la maman, en sueur et en larmes, on sent que ça ne lui convient guère. Je réalise que l’accouchement a du être bien difficile, car elle ne les a pas encore foutu dehors. Je la connais bien, ma fille ; je leur donne cinq minutes avant que tout ce beau monde soit viré à coup de pied. C’est une lionne, ma fille.
Quel dommage que ce petit bout doit porter le nom de son imbécile de père ! Ce n’est déjà plus son bébé qu’il regarde, mais un futur fantasmé. Il l’imagine déjà député, poète, musicien, révolutionnaire… Alors qu’on la connaît la famille. Ce petit a bien plus de chance de devenir un bon a rien alcoolique comme tous les autres de la ville. Ah ça non, même si elle n’a pu garder mon nom, je ne regrette pas d’avoir eu une fille. On peut en être certain, elles ne finissent pas aussi mal que nous autres.
Pádraig Orson. Paddy Orson. Un si grand nom, à porter sous l’Union Jack, pour un si petit bonhomme… A croire que cet idiot de gendre veut le voir en martyr, en plus de tout le reste. Quelle triste époque, pour naître sur notre vieille Irlande. Malgré les rires, la musique et la joie qui entoure cette naissance, malgré toutes ces pitreries et plaisanteries… Comment avoir de l’espoir ? Comment être, dans ce pays où on ne peut qu’être, sans avoir ? Alors que nos richesses sont spoliées, nos emplois retirés…
Mais ma Lily, elle a réponse à tout. Elle me dit d’arrêter d’écrire et de le regarder dans les yeux. Elle me dit de poser le stylo, d’oublier de réfléchir, et que la réponse se trouve en lui. Elle m’a dit que l’on pouvait voir dans ses yeux la frontière de l’Autre Monde, et sur ses joues rouge le baiser des Voisines. Je vais donc essayer…
Dieu sait qu’il faut toujours écouter les femmes. Ils n’étaient pas si idiots que ça, les autres avec leurs uilleann pipes. Quand on le regarde brailler, celui-là, on entend des choses. Dans ses yeux, on voit le bleu des mers d’Irlande. J’ai touché sa main, et… Pardon ma fille, mais j’ai repris le stylo. Mais cette fois-ci, j’ai l’inspiration.
A mon petit-fils, Pádraig Orson. Je n’écrirais pas plus dans ce cahier, je t’en ferai le cadeau quand l’heure viendra. Mais dans le temps qu’il me reste, je souhaite t’écrire ce que j’ai entendu de toi ce jour-là. En espérant que bientôt, ces pages seront remplies de tout ce que tu auras à offrir. Ta mère a raison, il y a du avoir une petite fée invisible qui a posée sa main sur son ventre et qui t’a offert un don. Je pense que tu auras la possibilité de voir ce que nous autres avons perdus, oublié dans nos rues crasses. Et que ces pages vides te seront bien plus utiles qu’à moi !
Just give me your hand and come along with me
Just give me Will you give me your hand and the world it can see
That we can be free in peace and harmony
From the north to the south, from the east to the west
Every mountain, every valley, every bush and bird's nest
Will you give me your hand? Is tabhair dom do lámh
Just give your hand and I'll walk with you
Through the streets of our land, through the mountains so grand
Just gi If you give me your hand
By day and night throughout struggle and strife
I'm beside you to guide you forever my love
For god love's not for one but for both of us to share
For this country so fair, for our world and what's there
Tim Finnegan.