Mélusine et Ephrem avaient enfin quitté la majestueuse forêt d’Yggdol, ce sanctuaire enchanté du peuple des Elfes. Ils foulaient à présent la terre des Humains. Ils avaient déjà parcouru une bonne distance lorsqu’ils aperçurent au loin les premières habitations humaines. Le village était étrange, formé de maisons ternes, semblable à de la terre séchée. Leur disposition semblait chaotique, comme si elles avaient été jetées du ciel et dispersées au gré du vent. Cependant, tout autour, d’immenses champs ajoutaient une certaine beauté à l’ensemble. Des épis de blé, des tiges élancées et une variété de cultures s’élevaient fièrement vers le ciel. Si les maisons manquaient d’éclat, il était évident que les habitants apportaient un soin particulier à la terre qu’ils cultivaient avec dévouement.
Fatiguée, mais motivée par la curiosité, Mélusine accéléra le pas. Derrière elle rêvassait Ephrem, qui n’avait pas réussi à trouver le sommeil la veille. Il trainait ses pieds sur la terre sèche qui allait jusqu’au petit village, où ils décidèrent de faire une halte le temps de se reposer. Ils furent accueillis par un homme d’aspect misérable, qui portait une tunique rudimentaire sale et rapiécée, ainsi qu’un bonnet de toile rouge. Celui-ci, les mains abimées par le travail de la terre, s’épongeait le front à l’aide d’un chiffon qui laissait un peu plus de boue sur le pauvre homme à chaque passage. Il s’appuyait sur un énorme cheval aux taches noires et blanches pour souffler un peu, quand il remarqua l’arrivée des étrangers. D’abord à cause de la poussière que soulevait Ephrem sur son passage, mais aussi parce que les nouveaux arrivants semblaient sortir tout droit de la forêt des Elfes ! L’homme les avait suivis du regard jusqu’à ce qu’ils arrivent à sa hauteur. Le paysan ne leur adressa pas la parole dans un premier temps, trop occupé à dévisager Mélusine. Il lui semblait que quelque chose en elle, clochait. Sa peau blanche comme neige, son visage délicat aux formes finement dessiné, ses cheveux blonds et soyeux, ses yeux verts…
— Des yeux verts ! s’écria le vieil homme en s’épongeant le front à s’en détacher la peau.
Il n’avait jamais entendu dire qu’il était possible d’avoir des yeux verts ! De plus, il n’avait jamais vu une femme d’une telle beauté.
— C’est pas une Humaine pour être si belle ! pensa-t-il malgré lui.
Tout à coup, il fit un bon en arrière et lâcha son torchon. En apercevant les oreilles pointues de Mélusine qui dépassaient de ses beaux cheveux, il comprit :
— T’es une Elfe, non ? demanda-t-il sans préambule. Tes oreilles, rajouta-t-il en pointant Mélusine du doigt.
— Oui ! bredouilla Mélusine, prise de court par la question et choquée par les manières rustres de cet homme. Zut ! J’ai oublié mon chapeau de paille dans la forêt, comprit-elle en mettant ses mains sur ses oreilles.
Mélusine se tourna vers Ephrem qui semblait tout aussi ahuri qu’elle devant ce comportement. Il semblait également un peu déçu.
— C’est ça un Humain ?! pensa-t-il, interloqué.
Le vieux paysan entreprit d’examiner Ephrem de la tête aux pieds, tout comme il l’avait fait pour Mélusine. Ses yeux scrutèrent attentivement ses oreilles, cherchant des pointes caractéristiques, mais il constata qu’elles étaient « normales », semblables aux siennes. La couleur grise de ses yeux lui parut également parfaitement ordinaire. Il en conclut alors que celui-ci devait être un Humain, malgré le fait qu’il voyageait en compagnie d’une Elfe.
— Qu’est-ce qu’il faisait dans cette forêt avec elle ? se demandait-il en se grattant le menton de ses longs ongles couverts de crasse.
Il remarqua que le jeune homme ne cessait de se masser l’avant-bras. Surpris une fois de plus, le vieux paysan fit un bon en apercevant l’épée attachée à sa ceinture. Ephrem et Mélusine le remarquèrent, et cette dernière lui demanda s’il l’avait déjà vu auparavant.
— Bien sûr que non ! répondit-il sèchement.
Il leur expliqua que seul un roi pouvait s’offrir une arme comme celle-ci, incrustée d’autant de pierres précieuses.
— T’es de la famille du roi ? voulut savoir le paysan en tournant autour d’Ephrem.
— Non, rétorqua le jeune homme mal à l’aise. Je ne connais aucun roi.
Ephrem raconta au paysan comment il était entré en possession de cette fabuleuse arme. À la fin de l’histoire, le vieil homme siffla, impressionné. Tomber ainsi sur un objet de grande valeur, dans une forêt en plus, il fallait vraiment être chanceux.
Les yeux fixés sur le pommeau de l’épée, le vieil homme conseilla à Ephrem de mieux la dissimuler, car elle attirerait sans aucun doute la convoitise de tous les passants qu’ils croiseraient sur leur chemin. Lui-même avait du mal à détourner le regard de cet objet, imaginant comment il pourrait l’arracher à sa vie de dur labeur. Sans même lever les yeux, il s’adressa à Mélusine, lui suggérant de cacher ses oreilles pour éviter d’attirer l’attention elle aussi. Tout en couvrant ses oreilles de ses mains, Mélusine le remercia pour ses conseils, puis lui demanda le nom du village dans lequel ils se trouvaient.
— Vous êtes dans le village de Cemen, leur apprit le vieux paysan. Sur les terres de notre bon roi ; Mellas, le roi immortel.