Mélusine et Ephrem avaient quitté leur village tôt ce matin-là. Après une longue marche, ils atteignirent enfin la frontière séparant Yggdol du royaume de Lognis. Leur destination, Luctès, un petit village où vivaient les parents d’Ephrem, se trouvait, d’après l’Elfe, un peu plus à l’est.
— Le village le plus proche sera visible dès qu’on aura quitté la forêt, lui apprit-elle également.
La journée s’écoula au rythme des remarques et des commentaires incessants de la jeune Elfe. Alors qu’elle lançait une plaisanterie qu’il ne comprit qu’à moitié, Ephrem, esquissant un rire forcé, lui fit remarquer que la nuit commençait à tomber.
— Tu as raison ! s’exclama l’Elfe en regardant le ciel. Trouvons-nous un bon petit coin, suggéra-t-elle en pointant du doigt une petite zone où l’herbe était un peu plus épaisse.
Mélusine retira de son sac de voyage un long ruban vert qu’elle jeta à côté d’un arbrisseau aux feuillages blancs comme la neige. Dès qu’il toucha le sol, celui-ci se déploya jusqu’à former un long tube juste assez grand pour contenir une personne d’un bon gabarit.
— Tu ne sors pas tes affaires pour te coucher ? voulut savoir l’Elfe.
Penaud, Ephrem retira de son sac deux simples couvertures, et en étala une sur le sol. Sa sœur le regarda faire, avec, dans les yeux, l’air de vouloir dire : « il est fou ».
— Quoi ? souffla-t-il.
— Je n’ai rien dit ! se défendit Mélusine, en détournant le regard. Quand tu auras fini, tu pourrais allumer un feu ? Il commence à faire froid, ajouta-t-elle en se frottant les bras. De mon côté, je vais aller nous cueillir des fruits. Tant qu’on est encore dans la forêt, autant préserver nos provisions.
Les tâches distribuaient, Mélusine s’éloignait de son frère, quand elle s’aperçut que celui-ci n’avait pas bougé. Il regardait ses mains, qu’il frottait et tordait dans tous les sens.
— Que se passe-t-il ? voulut savoir l’Elfe en revenant sur ses pas.
— Je ne veux pas allumer de feu en utilisant mes pouvoirs, avoua le jeune Humain, mais je ne sais pas en faire autrement. Puis ça fait si longtemps, que je ne me rappelle de toute façon pas comment faire.
Exaspérée, Mélusine s’approcha, ses pas lourds martelant le sol. Lorsqu’elle arriva à la hauteur de son frère, elle discerna sur son visage une appréhension, sans doute liée à l’idée d’utiliser un pouvoir qui était la cause de son abandon.
— Il tremble ! releva l’Elfe avec peine.
Compréhensive, Mélusine décida de lui épargner cette besogne.
— Échangeons, lui suggéra-t-elle. Je m’occupe du feu, et toi, de la nourriture.
Le jeune homme se détendit, et laissa échapper un profond soupir.
— Oui ! s’écria-t-il. Faisons comme ça. Tu as raison, compléta-t-il en s’éloignant rapidement.
— Ephrem, murmura Mélusine en le regardant s’éloigner.
Le jeune Humain revint quelques minutes plus tard, les bras chargés de fruits. Il les laissa tomber sur un long tissu crème disposé par Mélusine sur le sol, et s’assit en face d’elle.
— Je vois que la cueillette a été bonne ! le félicita-t-elle en tapant dans ses mains.
— Merci, répondit Ephrem en rougissant et en prenant une pomme bien rouge.
Ils commencèrent leur repas, parfois ponctué de monologue de Mélusine. Ephrem ne l’écoutait pas. Il mangeait machinalement, tandis que ses pensées étaient tournées vers ses parents. À tort, la jeune Elfe prit l’absence de réaction de son frère pour de la fatigue. En bâillant, elle l’invita ainsi à aller dormir.
— Demain, nous serons sur la terre des Humains ! s’exclama-t-elle l’air réjoui tout en s’étirant. Je veux être au meilleur de ma forme.
Plus pour l’imiter que par fatigue réelle, Ephrem bâilla également. Malgré la longue marche de la journée, il se sentait, lui, en pleine forme, mais décida quand même d’aller se coucher.
Enfoui dans ses draps, Ephrem écoutait les respirations lentes et profondes de Mélusine, tandis que lui-même peinait à trouver le sommeil. Après un moment, il se résolut à aller marcher. Mais à peine avait-il fait quelques pas qu’il se retrouva face à une obscurité oppressante. Résigné, il fit demi-tour et alla s’asseoir près du feu magique allumé par sa sœur un peu plus tôt. Il le fixait sans réellement le voir, perdu dans ses pensées.
Ressentant des fourmis dans ses jambes, Ephrem se releva et commença à tourner en rond autour du feu. Lorsqu’il atteignit ce qui devait être son treizième tour, quelque chose capta son attention. Un objet, à peine discernable, se trouvait à la limite entre la lumière vacillante du feu et la pénombre environnante. Le jeu d’ombres et de lumière avait fait apparaître ce qui semblait être une épée. Intrigué, il s’approcha lentement. Lorsqu’il arriva à proximité, il constata avec stupeur qu’il ne s’était pas trompé. C’était bel et bien une épée.
— Qu’est-ce que cette arme fait ici ? voulut-il comprendre. Ça appartenait à mes parents ?
Il savait en effet qu’elle ne pouvait pas appartenir à un Elfe, car cette race pacifique avait depuis très longtemps abandonné ces objets maléfiques dont le seul but était de prendre des vies. Par conséquent, cette épée ne pouvait qu’appartenir à un Humain. Et à sa connaissance, seul trois d’entre eux avaient pénétré la forêt d’Yggdol.
Ephrem se pencha, et tendit la main vers le pommeau de l’arme, sertie de pierres précieuses ! Il ressentit une drôle de sensation, indéfinissable, mais inspirante. Il resserra son emprise sur la garde de l’épée et se mit à tracer de larges arcs de cercle, balançant la lame à gauche, à droite, la tenant ensuite face à lui comme pour transpercer un adversaire invisible. Il pivotait sur lui-même, parant un coup imaginaire, se retournant pour contrer un autre ennemi qui aurait tenté de le trancher en deux. Il enchaînait les mouvements dans une chorégraphie improvisée, mais étrangement familière.
Ephrem dansait toujours dans la nuit, quand il sentit le poids de l’arme changer.
— Serait-elle magique ? se demanda-t-il en se massant l’avant-bras.
Il ne comprenait pas ces nouvelles sensations qui le traversaient, mais qu’importe, cela le plaisait. Il continua à se battre ainsi toute la nuit, contre un millier d’ennemis imaginaires.
Le soleil commençait à se lever quand Ephrem arriva à la limite de son endurance. Exténué, il décida qu’un petit somme lui ferait le plus grand bien. Il posa son épée près de sa couche avant de s’y glisser, et ferma les yeux.
Alors que son frère s’endormait à peine, Mélusine, elle, se réveillait. Elle secoua Ephrem et l’informa qu’il était l’heure de se préparer à partir. Tournant son visage vers lui, Mélusine aperçut celui de son frère. Il était en sueur, et marqué par la fatigue. Elle en conclut donc logiquement qu’il n’avait pas réussi à fermer l’œil de la nuit. Compatissante, elle se pencha sur lui en s’apprêtant à lui dire des mots destinés à l’apaiser, mais la sensation de métal qu’elle sentit sous ses doigts la détourna de cette intention bienveillante. Elle regarda l’objet à la lame brillante allongé près d’Ephrem et poussa un cri de surprise en se rendant compte qu’il s’agissait d’une épée.
— Que fait cette arme près de toi ? s’étouffa Mélusine.
— Je l’ai trouvée, bâilla Ephrem en se frottant les yeux.
— Trouvée ! répéta-t-elle interloquée. Ici ? Dans notre forêt ?
— Oui, baragouina le jeune en se massant les bras.
— Ne dis pas juste oui, s’impatienta-t-elle. Explique-toi !
— Je n’arrivais pas à dormir, balbutia-t-il, alors j’ai tourné en rond et j’ai trouvé cette épée cachée sous des feuilles mortes.
— Donc tu l’as trouvé dans la forêt, murmura-t-elle.
— Oui, acquiesça Ephrem en bâillant.
— Laisse-la ici, et prépare-toi ! exigea-t-elle.
— Non, rétorqua-t-il en bâillant de nouveau.
— Les Elfes ne possèdent pas d’arme. Tu dois t’en débarrasser Ephrem ! ordonna sa grande sœur.
— Ça tombe bien, protesta Ephrem, je suis un Humain.
Ils restèrent se fixer en chien de faïence, chacun ne voulant abandonner.
— Les Humains sont peut-être tous attirés et fascinés par les armes ! finit-elle par penser. Que dois-je faire ?
Elle se leva brusquement sans même regarder son frère, et lui demanda de se préparer à partir. Ce dernier, étonné, se leva également et essaya d’expliquer pourquoi il tenait à garder cette épée :
— Je suis désolé de m’être emporté, s’excusa-t-il, mais je me suis senti différent hier soir avec cette arme à la main.
— Différent ! répéta l’Elfe en fronçant les sourcils. Différents comment ?
— Je ne sais, rétorqua le jeune Humain. Juste, différent, dit-il encore une fois en haussant les épaules.
Mélusine fixa ses yeux dans ceux de son frère, cherchant au fond de lui ce qu’il voulait dire par là. Mais elle se résolut à abandonner.
— Je ne comprends pas ce que tu veux dire par là, lâcha-t-elle. Prépare-toi, on y va.
Ephrem rangea vite fait mal fait ses affaires, sans oublier de prendre avec lui son nouveau compagnon de voyage. Et ensemble, il si dirigeait vers le monde des Humains.