12. Affrontement et vision.

Par JFC

— Qui êtes-vous ? aboya le plus costaud des nouveaux venus.

            — Cela n’est aucunement vos affaires, s’offusqua Mélusine en se tournant vers l’homme.

            — L’hélis est la monnaie des Humains, quel que soit le continent. Pour ne pas savoir ça, vous n’êtes donc pas des Humains, même si vous y ressemblez, compris un homme plus petit que ses compagnons.

            — Excellente déduction ! ironisa la jeune femme en tapant dans ses mains.

            — Mélusine ! souffla discrètement Ephrem, qui sentait que les choses allaient dégénérer.

            — Vous admettez donc que vous n’êtes pas des Humains alors, vociféra un autre homme à qui il manquait presque toutes ses dents.

            — Il ne me semble pas avoir acquiescé, souligna Mélusine.

            — Mais vous ne dîtes pas le contraire non plus, remarqua un troisième homme qui s’appuyait sur une longue canne.

            — Disons-leur que nous sommes Humains, murmura Ephrem à l’oreille de Mélusine.

            — Je n’ai pas pour habitude de mentir, même à moitié, souffla-t-elle.

            — Ils vont nous massacrer ! supplia Ephrem désespéré.

En examinant la situation, Mélusine se rendait compte qu’Ephrem avait sans doute raison. Elle comprit trop tardivement que c’était une faute grave que de ne pas avoir pris connaissance des us et coutumes des Humains avant de visiter leur monde. Elle n’aurait jamais deviné qu’un peuple monnayait ses services. Les livres d’histoire qu’elle passait son temps à lire n’y faisaient pas mention !

Alors qu’elle savait pertinemment que les Elfes ne tenaient pas une bonne place dans le cœur des Humains, elle décida tout de même de retirer l’étoffe qui cachait ses oreilles. Elle était une Elfe, et fière d’en être une. Elle n’était pas responsable de la stupide rancœur des Humains. Elle ne se cacherait pas !

Tous les hommes présents, ainsi que Cherdrude, exprimèrent leur surprise par un bond presque comique.

— C’était donc un coup des Elfes ! hurla le plus fort des hommes de la bande. C’était évident.

            — T’avais raison Marve, ces deux-là étaient vraiment pas des Humains, dit celui qui s’appuyait sur sa canne en s’adressant à l’autre.

            — Je suis la seule Elfe présente dans cette pièce, corrigea Mélusine. Regardez mon frère, il n’a pas d’oreilles pointues. Et de quel coup parlez-vous ?

            — Ne fais pas l’innocente, Elfe, cracha le dénommé Marve. Les responsables de l’attaque de Luctès c’est vous, j’en suis sûr maintenant !

            — Quoi ! s’exclama Ephrem. Luctès a été attaqué ?

            — Vous en êtes responsable, j’en mettrais ma main à couper, dit Marve.

            — Alors qu’est-ce qu’on attend, attrapons-les ! fulmina le plus petit d’entre eux.

Tous les hommes crièrent leur approbation, mais ils furent interrompus par la vieille aubergiste, qui s’interposa.

— Allons, Marve, tenta Cherdrude, ce ne sont que des enfants !

            — Pousse-toi vielle bique ! vociféra l’homme qui écumait de rage.

            — Vous parlez de monstre, ils n’en sont pas, regarde-les ! supplia Cherdrude. Et puis comment auraient-ils pu attaquer un village ? Ils ne sont que deux !

            — Tu as raison vieille folle, aboya Marve en poussant la vieille aubergiste sur le côté. Où sont vos compagnons, sale Elfe ?

            — Attention à toi, Marve, dit l’homme à la canne. J’ai entendu dire que les Elfes avaient des pouvoirs magiques incroyables qui leur permettaient de vaincre n’importe qui.

            — Je sais Lok, beugla-t-il. Alors ? Où sont vos compagnons et qu’avez-vous fait des villageois de Luctès ?

Ephrem ne savait pas de quoi parlait ce Marve, mais s’il disait vrai, il était arrivé un malheur à Luctès. Il commençait à se sentir angoisser à l’idée qu’il soit arrivé quelque chose à ses parents au moment où il allait enfin les revoir. Cependant, il s’efforça à rediriger ses pensées sur ce qui se déroulait en face de lui, sur cette histoire dont il sentait depuis le début qu’elle allait mal finir. Ce que fit Mélusine ne laissa plus de doute sur la direction qu’allaient prendre les évènements. Elle leva une paume en direction du dénommé Marve, se concentra, et murmura des paroles incompréhensibles pour les Humains.

— Attention ! crièrent les hommes à l’unisson.

Marve ferma les yeux et mit ses mains en protections devant son visage, attendant que le sort vienne… Mais rien ne se passa ! Il rouvrit ses yeux quand il entendit les ricanements de ses hommes. Ceux qui avaient eu le courage de garder les yeux ouverts purent assister à un spectacle des plus médiocres. Une petite étincelle était en effet sortie de la paume de Mélusine, à peine visible dans cette pièce largement éclairée.

— Alors c’est ça la toute puissante magie des Elfes ! ricana Lok, suivis de ses comparses.

            — Mélusine, siffla Ephrem, à quoi tu joues ?

            — J’ai essayé un sort de foudre, mais ça n’a pas marché. Je suis trop stressée, je pense, supposa-t-elle.

            — Tu as déjà essayé de lancer ce genre de sort pour attaquer auparavant ?

            — Bien sûr que non, mais je pensais quand même y arriver ! s’étonna-t-elle.

            — Attrapons-les, cria Marve en se jetant en avant.

Mélusine et Ephrem reculèrent précipitamment jusqu’à se cogner contre le comptoir qui se trouvait dans leur dos. La jeune Elfe ne voyait pas comment se sortir de cette situation et voyait déjà son père pleurer leur longue absence, comprenant que ses deux enfants ne reviendraient plus. Elle tourna la tête vers Ephrem pour lui dire qu’elle était désolée, mais ces mots, Ephrem ne les entendit jamais, car toute sa concentration était focalisée sur une seule chose. Il savait qu’il y avait un moyen de s’en sortir. Sans regarder sa sœur aux oreilles pointues, il saisit l’épée attachée à sa ceinture et la pointa vers le cœur de Marve, qui était maintenant à sa portée. Celle-ci était solidement enroulée dans un tissu noir.

— Une épée ? ricana Marve. Où peut-être juste un bout de bois taillé pour faire croire que tu en possèdes une ?

Pour toute réponse, Ephrem s’avança d’un pas extrêmement rapide, et frappa le torse musclé de Marve de sa paume libre. Le coup envoya valdinguer le colosse vers ses amis qui avaient formé un demi-cercle derrière lui. Il ne se releva pas tout de suite. Surpris, les yeux exorbités, les hommes regardaient leur chef allongé par terre. De son côté, Mélusine affichait la même expression hébétée devant l’exploit accompli par Ephrem.

Les hommes cessèrent d’observer leur chef et se ruèrent sur le jeune garçon en même temps. Le jeune homme fit tournoyer son épée au-dessus de sa tête, et avec le plat de celle-ci, assena un coup puissant qui fit perdre l’équilibre à plusieurs hommes. Ceux qui n’étaient pas tombés s’étaient dispersés autour de lui, de sorte qu’à présent, Ephrem se retrouvait au centre d’un cercle. À cet instant, il n’éprouvait ni peur ni doute. Il ne réfléchissait pas, ne pensait pas. Il ne savait pas lequel de ses adversaires allait agir en premier, mais il s’en fichait. Quelque chose à l’intérieur de lui lui dicterait le mouvement à exécuter au bon moment. Il n’avait qu’à laisser cette force le guider.

Un homme se trouvant dans son dos se jeta sur lui, mais il l’évita d’un simple pas de côté, et lui asséna un coup sec sur la nuque.

Tandis que le nombre des assaillants diminuait, l’assurance des hommes restants, elle, faisait de même. Mélusine, ainsi que la vieille aubergiste, assistait à cette scène irréelle sans oser bouger un seul doigt. Muette pour la première fois de sa vie, aucun son ne sortait de la bouche de la jeune Elfe, même quand celle-ci vit que l’un des hommes qui se trouvaient derrière son petit frère s’était emparé de la canne de son ami, et s’apprêtait à l’utiliser pour lui fendre le crâne. Ephrem régit en un quart de seconde, et sans se retourner, leva son épée dans son dos pour couper en deux la canne qui s’était dangereusement rapprochée de lui. Lentement, il ramena son arme devant lui. Le tissu qui la cachait avait commençait à se déchirer et fini par tomber sur le sol, exposant la magnifique épée aux yeux de tout le monde. On aurait dit que le temps s’était figé ! Plus un mouvement, plus un bruit. Tous, sans exception, avaient les yeux rivés sur l’arme richement décorée du jeune garçon, qui se battait comme un Dieu.

D’une voix ferme que Mélusine reconnue à peine, Ephrem ordonna à sa sœur de sortir. Elle lui obéit, courant presque vers l’extérieur. Les deux hommes qui se trouvaient sur son passage s’écartèrent, mais le corps de Marve gisait toujours en travers de la porte. Mélusine l’enjamba. Elle était presque dehors, quand elle sentit qu’une personne lui tenait fermement la cheville. Marve ne semblait pas avoir dit son dernier mot ! Face contre terre, il tourna la tête et fixa Mélusine d’un œil mauvais. Elle le regarda également dans les yeux, craintive, et à cet instant, avant même qu’Ephrem ait eu le temps d’agir, quelque chose se produisit :

 

Mélusine observait tout autour d’elle ralentir progressivement, jusqu’à se figer complètement. Un silence oppressant s’installa, faisant battre son cœur si fort qu’elle pouvait entendre son propre sang affluer dans ses veines. Soudain, elle ressentit une force l’aspirer à une vitesse vertigineuse, la propulsant tête la première. Des fragments d’images défilaient autour d’elle, flous, rendus indistincts par la vitesse. Elle avait l’impression que chaque image tentait de l’attirer, de la capturer. Elle avait l’impression qu’on s’accrochait à elle de toutes parts, tirant sur chaque centimètre de sa peau. La sensation était telle qu’elle redoutait de se voir déchirer comme une simple feuille de papier.

Ce voyage désagréable se poursuivit, semblant durer une éternité, emportant Mélusine à travers des torrents d’images et de sons incompréhensibles, jusqu’à ce que ses pieds heurtent brutalement le sol, sans lui causer cependant la moindre douleur. Désorientée, Mélusine n’avait pas vécu une telle expérience depuis très, très longtemps.

Debout et tremblante, la jeune Elfe regarda autour d’elle. Elle n’était plus à l’intérieur de l’auberge. Elle ne savait d’ailleurs pas où elle se trouvait à cet instant. Elle continua à tourner sur elle-même, et vit qu’elle se trouvait au beau milieu d’une zone désertique. Il n’y avait pas une seule plante à l’horizon. Pas un seul arbre sous lequel s’abriter ! Enfin, elle aperçut des personnes qui marchaient et discutaient non loin de là. D’un pas mal assuré, elle s’avança vers eux. Elle observa chaque visage, jusqu’à tomber sur celui qu’elle recherchait : Marve ! Toujours aussi grand et aussi fort, il riait de bon cœur avec ses amis. Sans l’expression de haine qu’il avait montrait à Mélusine et Ephrem, il avait l’air d’être quelqu’un de plutôt sympathique. Mélusine continua de l’observer et remarqua que ses vêtements étaient les mêmes ici, que ceux qu’il portait dans l’auberge. Elle en conclut qu’elle était témoin d’un passé plutôt proche. Ce Marve là était sur le point de terminer une autre de ses excellentes blagues, quand il fût interrompu par les cris d’un homme qui arrivait vers eux en courant.

— Que se passe-t-il mon ami ? demanda-t-il au nouvel arrivant.

            — Je…, balbutia le nouveau venu, tout essoufflé, je viens...

            — Calme-toi, et bois un peu d’eau, dit Marve en lui tendant une gourde en peaux de bêtes.

L’homme saisit vivement la gourde, et en but le contenu comme si sa vie en dépendait. Il toussa et cracha, et se remit à boire, versant une quantité importante d’eau sur le sol sec et aride.

— Doucement mon ami. Je suis Marve, se présenta-t-il. Et toi, comment t’appelles-tu et d’où viens-tu ? demanda-t-il en le fixant. On dirait qu’un monstre est à tes trousses.

            — Je m’appelle Saf, répondit l’homme essoufflé. Et je viens de Luctès.

            — Ha ! Ça nous fait donc un point en commun. Je suis également née à Luctès, confia Marve en bombant le torse. Nous avons quitté Cemen pour Eluse hier, pour affaire. Mais je compte bien faire un tour à Luctès voir mes parents ensuite…, continua-t-il avant d’être interrompu.

            — Non, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Je viens à l’instant de Luctès. Mais il était en feu, avec des cadavres partout !

Mélusine eut juste le temps de voir le visage de Marve se décomposer, devenir livide, avant de sentir qu’elle était de nouveau tirée par une force vers le ciel. Encore une fois, elle fut cernée par des images et des sons indéfinissables, mais elle n’y prêta aucune attention. Elle réintégra son corps brutalement, comme si on l’y avait jetée avec rage.

 

            Mélusine reprit pied dans le présent. Tout était exactement comme avant : le lieu, les gens figés dans les mêmes positions, comme si rien d’anormal ne s’était produit. Pourtant, elle savait que ce qu’elle venait de vivre avait duré plusieurs minutes, tandis que dans cette réalité, à peine un instant s’était écoulé. Un détail, cependant, avait changé. En effet, la poigne de Marve sur sa cheville avait disparu, et lui, désormais inconscient, gisait au sol. Sans laisser transparaître la moindre émotion, Mélusine se redressa, poussa la porte et quitta l’auberge d’un pas rapide, comme si tout était parfaitement normal.

Resté à l’intérieur, Ephrem suivit son départ du regard. Après un court instant, il se baissa lentement pour ramasser le tissu noir qui servait à dissimuler son épée, puis le noua de nouveau autour de l’arme. Mais soudain, il se figea. Ses épaules se crispèrent, il marmonna quelques excuses indistinctes, puis, sans demander son reste, il s’élança vers la sortie le dos vouté.

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