— Salgione!
Depuis une heure, Loup et Sinfen s'évertuaient à trouver la tanière de la sorcière. Ils fouillaient la dense végétation.
— Je sais que c'était par ici.
— Dans quelques heures, le breuvage de ton grand-père ne fera plus effet. Je veux pouvoir faire mes adieux à mes amis.
Loup n'écoutait plus les jérémiades de Sinfen. Il se démenait pour celui qu'il avait détesté sans le connaitre.
— Salgione! Saleté de sorcière! Réponds moi!! Je sais que tu te terres par ici. J'ai besoin de ton aide.
Un frémissement se fit entendre dans les sous-bois. Sinfen sursauta et une voix féminine arrogante s'éleva.
— Qui a besoin d'aide? Toi? Ou lui?
— Lui. C'est un ami. Il a un problème.
— Je sais mais crois tu que c'est en me traitant de saleté de sorcière que tu auras mon aide?
— Je suis désolé Salgione. Je suis un peu énervé. Je ne voulais pas être insultant. Maintenant montre toi. J'ai besoin de toi.
Les fourrés s'agitèrent et la sorcière apparut, complètement nue. Elle était comme dans ses souvenirs. Elle n'avait pas vieilli. SInfen était bouche bée. Il admirait cette femme aussi belle que sauvage.
— Tu as changé Loup.
— J'ai pris de l'âge.
— Ton regard est différent.
— Dix ans dans les Geôles de la Putrescence y sont peut-être pour quelque chose.
— Les fameuses Geôles! Je croyais que c'était une légende!
— J'aurais préféré.
Loup serra les poings. Il sentit ses doigts sans ongles appuyer dans la paume de sa main. Des images vinrent l'agresser. La douleur, les rires des bourreaux. La voix de Salgione le sortit de sa torpeur.
— Reviens parmi nous Loup! Que me veux tu?
— Oui je... Je te présente Sinfen.
— Sinfen? Tu ne t'ai pas toujours appelé ainsi n'est ce pas?
Le regard du mage s'assombrit.
— Que veux tu dire?
— Ce que je veux dire est ce que je viens de te dire. Les humains sont si agaçants par moments à poser sans arrêt les mauvaises questions.
Sinfen se mordit la lèvre inférieure.
— Je me suis longtemps fait appeler Kjeld en effet.
— Je préfère Sinfen.
Kjeld resta immobile sans rien dire. La sensation était étrange. Cette femme dégeagait une aura auquel il n'était pas insensible.
Kjeld se reprit, il interrogea Salgione.
— Sais tu ce qu'est une Sombrelle sorcière?
Loup pointa du doigt le mage.
— Elle s'appelle Salgione, ne l'oublie pas.
— Toutes mes excuses.
Kjeld s'inclina.
— Je sais ce qu'est une Sombrelle mais cela fait de nombreuses années que je n'en ai pas vu. Peu d'Orombres peuvent créer cet être maléfique.
— Tourne toi Sinfen.
Salgione sourit pendant qu'il s'exécutait.
La Sombrelle bougeait à peine, elle semblait endormie mais elle était bien là accrochée comme une tique au dos du mage. Ce n'était qu'une ombre mais rien que la voir était malaisant.
— Pourquoi je peux la voir? C'est fascinant.
—Tu la vois parce que je suis là.
Sinfen paniqua.
— Peux tu enlever cette horreur? Cela ressemble à quoi?
— Ca ressemble à une ombre et oui je peux te l'ôter.
— Fais le s'il te plait.
— Pourquoi le ferais-je?
Loup intervint d'une voix ferme.
— Une sorcière n'a qu'une parole. C'est ce que tu m'a dis il y a dix ans. Et là Jjai besoin de toi.
Salgione eut un rire quinteux.
— Ha ha tu as une bonne mémoire. C'est bien. Je vais vous aider.
— Que doit-on faire?
— D'abord je dois retourner dans ma tanière comme vous aimez la nommer, ensuite je vous suivrais dans la votre.
— Nous sommes à court de temps Salgione.
— Ce sera rapide. Je te le promets.
— Salgione! Tu peux me rendre un service?
— Oui?
— Habille toi.
La sorcière disparut dans le feuillage inextricable de la forêt des Larmes. Les branches semblèrent se délier sur son passage mais peut-être n'était ce qu'une illusion.
***
La sorcière avait tenu parole et les avait suivi jusqu'au Mont Noir. Salgione huma l'air de la maison d'Ereim. Elle inspecta l'entrée . Elle portait une robe de bure, rapiécée, fendue sur le devant, qui ne cachait rien de ses jambes musclées.
— Une bien belle tanière. Loup, ton grand-père était un homme de goût.
Arcis la regardait d'un air hébété. Salgione le fixa un instant et s'approcha de son visage au point que son nez frôla la peau du jeune homme. Elle le renifla plusieurs fois.
— C'est ton fils.
— Oui je te présente Arcis.
— Il n'a pas l'air très dégourdi ton fiston.
— Il fait ce qu'il peut.
Loup fit un clin d'oeil au jeune homme qui fronçait les sourcils.
— Je comprends mieux pourquoi tout le monde les déteste, marmonna t-il pensant ne pas être entendu.
— Les gens nous détestent car trop souvent la vérité sort de nos bouches petit morveux.
Arcis allait protester quand Loup lui fit signe de rester à distance. Le jeune homme, contrarié, partit s'asseoir sur une chaise de la grande table. Il croisa les bras en signe de protestation.
Grys était adossé à la bibliothèque et regardait la sorcière avec circonspection.
Salgione le toisa avec un rictus mauvais.
— Tu ne me présentes pas au nain?
L'ancien mercenaire grommela.
— Saleté de sorcière! Tu va voir ce qu'il va te mettre le nain!
— Ferme là Grys.
Salgione regarda Loup avec intensité.
— Grys. Grys Dilur. Tu ne cesseras jamais de me surprendre mon beau. Le tueur de ta famille. Quelle alliance contre nature! Ca me plait!
Loup croisa les bras et baissa les yeux.
— La situation est plus complexe qu'il n'y parait.
— Ne te justifie pas! J'aime l'inattendu et l'ambivalence. Faire le bien en voulant faire le mal et faire le mal en voulant faire le bien.
Loup soupira.
Iria fit quelques pas timides vers Salgione.
— Et voici Iria.
La sorcière se figea.
— La jeune fille qui parle aux esprits.
Enchanté Salgione!
— Quelle douce voix qui glisse dans ma tête. Je comprends pourquoi il t’apprécie.
Iria écarquilla les yeux et regarda Loup en levant les bras. Arcis glissa sur sa chaise vers le sol.
— Je ne vois pas du tout de quoi elle parle.
La sorcière ricana puis elle s'avança félinement dans la grande pièce de vie, absorbant visuellement tout ce qu'elle voyait, puis sans aucune pudeur, Salgione s'assit en tailleur sur le canapé, près de la cheminée, qui ronronnait discrètement.
Iria la regardait, fascinée par ce mélange de sensualité et de bestialité.
— Je sais ce que vous pensez mais cette guerre n'est pas celle des sorcières.
Loup lui répondit avec enthousiasme.
— Vous seriez un atout incroyable dans cette bataille!
— Pourquoi sortirions nous de nos trous, comme vous aimez les appeler? Pour aider des humains qui nous détestent. Dans d'autres temps, nous étions les conseillères des rois mais parce que quelques monarques stupides n'ont pas su interpréter nos prédictions, nous avons été chassé, massacré. J'ai vu les enfants de mes amies se faire brûler vif, en place publique, sous les cris d'excitation et de jouissance de vos semblables. Les mages de l'ombre ont aussi voulu nous supprimer pour la simple et bonne raison que nous sommes totalement insensibles à leurs pouvoirs. Ont-ils conspiré avec les Rois pour nous faire disparaître? Cela est fort probable. Le mal est fait sur plusieurs générations, et si nous revenions, nous serions encore des parias.
Je suis désolé.
— Pourquoi l'es tu?
Ce sont des humains qui ont fait ça.
— As tu déjà tué une sorcière?
Non.
— Alors ne soit pas désolé des fautes que tu n'as pas commises, contente toi d'être désolé de celles que tu as vraiment faites. Maintenant pose ta question.
Iria s'étonna.
Quelle question?
— Celle qui te brûle les lèvres depuis que j'ai pénétré ici.
La jeune femme sourit.
D'où venez vous? Je veux dire les sorcières en général.
— Les premières sorcières naquirent de cocons enterrés par les anciens Dieux, et oui, nous viles créatures naissons de la même façon qu'un beau papillon. L'endroit s'appelle le berceau mais plus aucune de mes soeurs n'y a vu le jour depuis des centaines d'années. C'est un endroit magnifique. La neige y tombe en permanence mais les flocons fondent en touchant le sol car il est brûlant du pouvoir des sorcières et quand, de temps à autre, un petit rayon de soleil traverse le berceau, c'est comme si des milliers d'étoiles étaient descendus du ciel pour saluer la naissance d'une soeur. La légende dit que la dernière née des sorcières nous rendra notre grandeur perdue mais les légendes de créatures de légendes sont elles vraiment sérieuses? Pourtant, en dépit de tout, nous attendons, nous espérons et nous survivons. Pour beaucoup, nous ne sommes déjà plus que des histoires du soir racontées aux enfants pour leur faire avaler leur soupe.
Salgione plongea son regard dans celui d'Iria.
— Et nous étions les conseillères des rois.
Tout le monde s'était tu.
Salgione les observa un à par un et elle se gratta vigoureusement l'entrejambe.
— Je vous aiderai car je vous aime bien surtout toi jeune fille et j'ai une dette envers Loup. Je tenterai d'avertir mes soeurs mais je ne vous fait aucune promesse.
Elle regarda Loup.
— Si. J'ai envie de vous en faire une. Sur le champ de bataille, quand il faudra faire face à la mort. Je serais à vos côtés jusqu'à la fin.
Tous les compagnons se regardèrent sans rien dire.
Salgione toussa bruyamment.
— Bon maintenant, je vais m'occuper de la Sombrelle de Sinfen!