Annecy, domicile d’Héloïse et Pio — 14 h 30
Un petit vent d’automne s’engouffra dans la veste mi-saison de Leila. Devant le portail de la maison aux volets bleus, la lycéenne prenait un selfie.
Une fois la photo envoyée à ses contacts Snapchat, elle se reconnecta au monde réel. Un frisson la parcourut. L’excitation de rencontrer un de ses auteurs préférés laissait progressivement place à l’appréhension. Elle remonta sa fermeture éclair et approcha son doigt de la sonnette. Au dernier moment, elle retint son geste. Et si Noam faisait la sieste ? Elle s’en voudrait de le réveiller. Elle retira son casque et le rangea dans son sac à dos. Un exemplaire de La Lumière d’Ambre – son livre préféré – attisa ses craintes. C’était la quatrième fois qu’elle se rendait au domicile de l’auteur sans oser demander une dédicace. Et pour cause : elle n’avait pas encore croisé Luca, ce serait une grande première. L’idée de se retrouver dans la même pièce que lui l’intimidait.
La lycéenne respira profondément, franchit le portail et toqua à la porte. Pas de réponse. Elle baissa la poignée mais la porte était verrouillée. Légitime dans sa visite, Leila prit l’initiative d’utiliser le double qu’Héloïse lui avait confié et entra dans la maison.
La pièce principale, composée d’un salon-salle à manger-cuisine ouverte, était déserte. L’adolescente avança timidement puis osa un faible :
— Monsieur Luca ? C’est Leila, la baby-sitter. Votre femme n’arrive pas à vous joindre.
Sans réponse, elle fit quelques pas dans le salon et vit, posée sur la table basse, une courte note. L’écriture d’Héloïse.
Amore mio,
Je ne voulais pas qu’on se prenne la tête, je sais bien ce que tu penses des remises de prix. Je ne serai pas très joignable cet après-midi. Je te laisse les numéros de Sofia Castel, l’éducatrice, et de Leila. À ce soir.
Héloïse
Leila retourna le papier et reconnut son numéro. Il n’y avait toujours pas de bruit dans la maison. La lycéenne s’engagea alors dans le couloir et frappa à la porte du bureau de l’écrivain. Son antre, là où il avait passé tout son temps lors des précédents baby-sittings. Pas une fois, il n’en était sorti. Ni pour aller aux toilettes ni pour se servir un verre d’eau. Aucune pause. Quand Pio Luca était plongé dans son univers, rien ne pouvait l’en déloger. Elle insista du poing et finit par ouvrir.
Le bureau était vide, plongé dans une semi-obscurité. Les volets n’étaient que partiellement ouverts et seule la luminosité de l’écran de veille de l’ordinateur lui permettait de distinguer où elle mettait les pieds. L’écrivain travaillait avant qu’elle arrive. Peut-être qu’un simple toucher sur le pavé tactile lui offrirait la lecture d’un manuscrit inédit. Elle en était si proche, ce serait incroyable ! L’adolescente avança, hypnotisée par cet écran interdit, lorsque des pleurs la firent sursauter.
Ils provenaient de la chambre voisine, celle de Noam. Leila mit quelques secondes à calmer l’arythmie de son cœur. À quoi jouait-elle ? Pio Luca était avec son fils, une simple cloison les séparait, et elle s’amusait à fouiner pour un texte qui, sans le contexte, n’aurait aucun sens. Ce n’était pas bien malin. Elle rebroussa chemin et referma le bureau. Au fond à droite, la porte de la chambre était fermée. Leila eut un sentiment étrange, les pleurs de Noam ne cessaient de s’amplifier sans que Pio n’intervienne. S’était-il endormi ? Portait-il des bouchons d’oreille ou un casque antibruit comme elle le faisait quand elle travaillait à la bibliothèque du lycée ?
Lorsqu’elle poussa la porte de la chambre, tout son corps se figea. Sa main resta crispée de longues secondes sur la poignée. Pio n’était pas là et, si ce qu’elle redoutait s’avérait exact, Noam était seul dans la maison.