Le souffle court, Nina vacilla. L’espace autour d’elle semblait figé, normal. Comme si tout cela n’avait été qu’une illusion. Mais elle savait ce qu’elle avait vu. Elle en était sûre. Julien avait disparu. Pourtant, une fraction de seconde, un doute insidieux s’infiltra en elle. Un poison lent, un murmure venu du fond de son esprit. Et si elle avait rêvé ? Si tout ça n’était qu’un délire fiévreux ?
Non. Impossible. Elle l’avait vu. L’angoisse monta en elle, écrasant cette pensée parasite.
Le cœur battant, Nina dévala l’escalier quatre à quatre, ignorant les tremblements de ses mains. Chaque marche résonnait sous ses pas précipités, amplifiant la panique qui enflait en elle. Elle fonça chez la concierge et tambourina à sa porte. L’ancienne femme mit un moment à ouvrir, ses yeux fatigués se posant sur elle avec un agacement à peine dissimulé.
— Un problème, mademoiselle ?
— Le cinquième étage ! Il était là, l’ascenseur s’est arrêté et… Julien est entré, et maintenant il a disparu !
La concierge la fixa un instant, avant de secouer la tête.
— Vous devez être fatiguée. Il n’y a jamais eu de cinquième étage, mademoiselle. Rentrez chez vous.
— Quoi ? Non, je l’ai vu !
— Rentrez chez vous.
Nina secoua la tête, la gorge nouée.
— Julien… Mon compagnon. Il a disparu !
Un silence pesant. La concierge plissa les yeux, son expression se durcit.
— Votre ami ? Quel ami ?
— Julien… On vient d’emménager ! Il était avec moi !
La vieille femme soupira, l’air las.
— Vous vivez seule, mademoiselle. Rentrez. Oubliez ça.
La porte se referma brusquement devant elle.
Elle resta plantée là, sidérée, l’écho du verrou tournant résonnant comme une condamnation. Elle avait le souffle coupé. Son esprit refusait d’accepter ce qu’elle venait d’entendre. La concierge mentait. Elle devait mentir.
Un nœud d’angoisse lui tordit l’estomac. Elle serra les poings, recula d’un pas, puis tourna les talons et se précipita vers l’ascenseur. Son index tremblant appuya sur le bouton d’appel. Un frisson la traversa. Elle ne voulait pas y remonter. Pas maintenant. Pas seule. Sa main retomba.
Les escaliers.
Elle grimpa trop vite, manqua de trébucher. Chaque pas résonnait dans la cage d’escalier vide. Trop vide. L’air lui semblait plus lourd, chaque marche un peu plus haute, un peu plus raide. Comme si l’espace autour d’elle se déformait imperceptiblement.
Elle arriva devant sa porte, l’ouvrit précipitamment. Tout lui semblait normal. Trop normal. Comme si rien n’avait changé. Comme si Julien n’avait jamais existé.
Elle attrapa son téléphone, ouvrit sa galerie. Les photos avaient disparu. Ses doigts tremblaient. Elle déglutit, appuya une nouvelle fois sur l’icône de la galerie, comme si, par miracle, les photos allaient réapparaître. Rien. Elle ouvrit les paramètres du téléphone, vérifia la mémoire, fouilla dans les fichiers supprimés. Toujours rien. Elle recommença. Encore. Encore. Ses gestes devinrent frénétiques, presque compulsifs.
Ce n’était pas possible. Ça ne pouvait pas être réel.
Toutes. Pas seulement celles de Julien. Toutes celles où ils apparaissaient ensemble. Comme si chaque instant partagé avec lui avait été effacé.
Elle composa son numéro.
— Ce correspondant n’existe pas.
Son souffle se bloqua dans sa gorge. Ses yeux balayèrent l’appartement. Sa veste n’était plus là. Ses chaussures avaient disparu. Sa brosse à dents n’était plus dans la salle de bain.
— Ce n’est pas possible…
Elle chancela légèrement, s’agrippa au bord du meuble le plus proche. L’air lui semblait plus dense, plus épais, comme si quelque chose de froid et invisible pesait sur elle. Son regard dériva vers le salon. Le canapé. Elle se souvenait encore de Julien assis là, quelques heures plus tôt. Son sourire. Son rire étouffé en regardant un film trop mauvais pour être vrai. Il était là.
Mais maintenant, il ne restait rien.
Tout était à sa place. Aucun espace vide. Aucun objet manquant qui trahirait son absence. Comme s’il n’avait jamais existé.
Un vertige la prit. Elle passa une main tremblante sur son visage. Elle devait sortir.
Un filet d’air glacial s’engouffra dans l’appartement lorsqu’elle ouvrit la porte. Elle s’élança dans l’escalier, ses pas résonnant dans la cage vide. Lorsqu’elle déboucha sur le trottoir, elle ne réfléchit pas.
Le commissariat.
Quelqu’un devait pouvoir l’aider.
Elle marcha d’abord vite, puis plus vite encore, jusqu’à courir presque malgré elle, fuyant l’appartement comme s’il était devenu un piège invisible. L’air de la nuit était mordant, mais elle ne ralentit pas. Il fallait qu’elle trouve une preuve. Il fallait qu’elle prouve que Julien avait existé.
Lorsqu’elle poussa enfin la porte du commissariat, elle sentit son ventre se tordre. L’angoisse ne s’arrêtait pas. Parce qu’au fond d’elle, une peur insidieuse grandissait.
Et si eux non plus ne s’en souvenaient pas ?
L’agent de police lui adressa un regard prudent, pesant chacun de ses mots.
— Mademoiselle, vous êtes certaine de ne pas vous tromper ? Vous dites qu’il vivait avec vous, mais nous n’avons aucune trace d’un Julien…
Le nom mourut sur ses lèvres, comme s’il n’avait jamais existé.
Nina secoua la tête violemment.
— Non… Non, c’est une erreur. Vérifiez encore !
Elle s’agrippa au comptoir, les jointures de ses doigts blanchies par la pression. L’agent échangea un regard avec son collègue, avant de tapoter à nouveau sur son clavier.
— Je viens de relancer la recherche. Il n’y a rien. Aucun enregistrement, aucun acte de naissance, aucune mention légale d’un homme correspondant à votre description.
Son cœur cogna dans sa poitrine.
— Ce n’est pas possible. Vous devez vous tromper…
— Avez-vous une photo de lui ? Une copie de sa carte d’identité ?
Le souffle de Nina se bloqua. Les photos. Elles avaient disparu.
Sa main tremblante serra son téléphone. Elle l’ouvrit frénétiquement, fouilla dans sa galerie, puis dans ses fichiers. Rien. Chaque image où Julien apparaissait, chaque instant partagé… effacés. Elle tenta d’accéder aux sauvegardes en ligne. Vide.
Elle se tourna vers l’agent, sa voix étranglée :
— Je… Elles étaient là. Je les avais encore ce matin !
L’agent soupira, croisa les bras.
— Mademoiselle… Vous êtes certaine que cet homme existe ?
La question la frappa comme une gifle.
Sa vision vacilla.
Sa propre mémoire lui semblait irréelle.
Elle recula d’un pas, titubante.
Ils ne la croiraient jamais.
Parce que Julien n’existait plus.
Du moins… plus dans leur réalité.
Un vertige la prit. Elle pivota sans un mot, repoussa la porte du commissariat et se précipita dans la nuit froide.
Quelque chose avait effacé Julien.
Quelque chose était en train de réécrire sa vie.
Et si elle ne faisait rien… elle pourrait être la prochaine victime.
Une sensation étrange s’insinua en elle. Le bruit de la ville sembla s’étouffer, comme assourdi derrière une paroi invisible. Comme si elle marchait sous une cloche de verre. Nina s’arrêta net sur le trottoir. Son regard balaya la rue. De l’autre côté, un homme en manteau sombre. Immobilité parfaite. Trop parfaite. Il semblait l’observer. Elle détourna les yeux, juste une fraction de seconde. Quand elle releva la tête… Il n’était plus là. La foule continuait à vaquer à ses occupations. Des voitures passaient, des silhouettes pressées se fondaient dans la nuit. Mais lui ? Il s’était volatilisé. Quelque chose clochait. Quelque chose de bien pire qu’elle ne voulait l’admettre. Elle serra les poings et reprit sa marche, le pas plus vif, plus tendu. Elle devait comprendre.
De retour chez elle, déstabilisée mais déterminée, Nina se raccrocha à son instinct. Son instinct de professionnelle. Elle ouvrit son ordinateur, les mains crispées sur le clavier. Elle allait chercher des faits. Des preuves. Elle fouilla dans les archives cadastrales de l’immeuble. Le cinquième étage était bien mentionné dans les plans d’origine. Mais un détail la frappa. Dans les documents récents… il avait disparu. Effacé. Comme s’il n’avait jamais existé. Ses doigts tremblèrent légèrement alors qu’elle agrandissait les schémas, les superposait, analysait chaque détail. Les premiers plans de l’immeuble montraient cinq niveaux distincts. Les plus récents ? Quatre. Sans explication. Sans trace d’une modification. Juste… le vide. Quelqu’un l’avait effacé. Délibérément. Et Nina était bien décidée à comprendre pourquoi.
Elle s’adossa à sa chaise, le souffle court. Un mauvais pressentiment s’insinua en elle. Quelque chose lui échappait encore.
Hâte d’avoir ton ressenti sur la suite !
Le désarroi de Nina est bien décrit, on comprend sans peine ce qu'elle ressent !