Chapitre 11

Par Mimi

Bertille et Isabeau traversèrent la rue jusqu’à atteindre la grande façade de briques rouges qui faisait face à l’école. Bertille leva le nez vers les hautes fenêtres pendant qu’Isabeau déverrouillait la porte.

-       Elle est riche, ta tante ? demanda Bertille, impressionnée, alors qu’Isabeau l’invitait à passer dans le couloir.

-       Elle est costumière, expliqua Isabeau. Elle fait les costumes des spectacles de Maman, mais elle en fait aussi un peu pour le cinéma.

Isabeau avait dit cela avec une pointe de fierté dans la voix. Bertille pensa au joli sac à main verni, du plus beau des violets.

-       Et comme elle s’appelle, ta tante ?

-       Je l’appelle Tante Jo, donc je suppose que tu peux toi aussi.

-       Elle s’appelle vraiment comme ça ? Comme l’héroïne des Quatre Filles du Docteur March ? s’exclama Bertille avec admiration.

Elle adorait le roman, et des quatre sœurs, c’était Jo qu’elle préférait, surtout parce qu’elle passait son temps à écrire des histoires.

-       Dis donc, tu en as de la chance, entre ta mère qui fait des spectacles et ta tante qui fait des costumes !

Isabeau secoua la tête.

-       Ça n’est pas mieux que d’habiter dans une école ! Tu n’aimerais pas avoir ton père en prof, l’année prochaine ?

-       Non ! s’écria Bertille ? Avant, j’aurais bien aimé, parce que je me disait que les autres arrêteraient de m’embêter, mais en fait, je pense que ça risque d’être pire…au moins, mon père ne pourrait plus faire semblant de ne rien voir.

Isabeau lui adressa un sourire qui disait qu’elle comprenait. Elle prit le manteau et les chaussures de son invitée et les rangea dans le placard sous l’escalier.

-       C’est à l’étage, indiqua-t-elle.

Elle s’engagea dans la cage d’escalier. Bertille, sur ses talons, observait les tentures colorées aux motifs rigolos qui couvraient les murs, donnant à l’ensemble des allures d’arc-en-ciel.

Isabeau ouvrit la première porte à droite en haut des marches.

-       Et voilà, on va dormir là ! dit-elle joyeusement.

Bertille entra à son tour. Il n’y avait pas grand chose qui montrait qu’une fille de neuf ans y vivait. La pièce était claire et lumineuse, simplement meublée d’un lit, d’une armoire et d’un petit bureau sous la fenêtre. Un matelas et un oreiller étaient installés à même le sol. Bertille y posa ses sacs et Isabeau l’aida à déplier son duvet.

-       Tante Jo n’arrivera pas avant une bonne heure, l’informa Isabeau. Ça te dit que je te montre le grenier ?

Bertille accepta avec enthousiasme.

Le plancher craquait et l’air sentait l’humidité. Bertille, qui avait toujours rêvé d’un grenier - mais elle se contentait très bien de son cagibi - s’y sentit aussitôt très bien, au milieu des coffres, des armoires vitrées remplies de belles choses et des tables couvertes de vieilleries.

-       Ça, c’est mon coffre aux trésors préféré, déclara Isabeau en soulevant le couvercle d’une malle.

Les innombrables étoffes qui la remplissaient débordaient du rebord et coulaient sur le parquet.

-       Ce sont des costumes ? voulut savoir Bertille, bien qu’elle sût sa question inutile. Faits par ta tante ?

Isabeau acquiesça, souriante.

-       Beaucoup datent de ses études, des costumes qu’elle fabriquait pour les pièces du club de théâtre.

Visiblement, elle brûlait de dire quelque chose.

-       Pourquoi tu voulais me montrer ça ? demanda Bertille, même si cette petite visite au grenier lui plaisait déjà beaucoup.

Isabeau fit un petit pas en avant, se mordillant la lèvre.

-       Je me disais que ça serait chouette de monter une pièce de théâtre pour la fête de l’école, suggéra-t-elle, gardant les yeux baissés sur le coffre de déguisements.

Bertille fit glisser un tissu brillant entre ses doigts, pensive.

-       On a bien une kermesse vers le mois de juin, dit-elle en refermant la malle. Mais qui est-ce que tu vas demander de jouer dedans ? Et quelle histoire tu veux faire ?

-       Je ne sais pas, c’est juste une proposition, marmonna Isabeau en dansant d’un pied sur l’autre, embarrassée.

Jamais encore Bertille ne l’avait vue dans cet état-là. On aurait dit qu’elle s’excusait d’avance d’avoir eu cette idée. Pourtant, ce n’en était pas une mauvaise. Bertille songea au cours d’allemand, en comité réduit, et à leur dernier cours avec Frau Kamelsberg.

-       C’est une bonne idée, la contredit-elle. On a étudié Hansel et Gretel en allemand, une adaptation en pièce de théâtre. Ça serait chouette de faire ça.

Isabeau fronça les sourcils.

-       Tu fais de l’allemand ? s’étonna-t-elle. Je ne savais pas que ça existait en primaire.

-       Oui oui, confirma Bertille. C’est la vieille folle du collège qui vient nous faire cours.

-       Pas si folle que ça, remarqua Isabeau, puisqu’elle a réussi à vous apprendre une pièce de théâtre en allemand.

Elles sortirent du grenier : il commençait à y faire froid.

-       Tu sais quoi ? On devrait faire ça. Des pièces de théâtre en allemand et en anglais.

Bertille doutait que ses camarades soient emballés par l’idée. Mais parce qu’elle aimait bien Isabeau, elle ne dit rien.

 

Alors qu’Isabeau et Bertille s’étaient lancées dans un défilé de mode et avaient transformé le parquet usé du grenier en piste de danse, un grand bruit au rez-de-chaussée les stoppa net.

Bertille jeta un regard alarmé à la porte, puis dévia sur Isabeau qui, le plus naturellement du monde, se mit à ranger les affaires dans le grand coffre.

-       Qu’est-ce que c’était ? lui demanda Bertille avec inquiétude.

-       Tante Jo. Il est huit heures et demi, expliqua Isabeau en consultant sa montre. Elle rentre du travail.

Bertille soupira de soulagement et entreprit de retirer son déguisement, une très belle robe à crinoline confectionnée par la tante Jo pour un spectacle du club de théâtre qu’Isabeau fréquentait avant de déménager.

Les deux filles descendirent l’escalier à toute vitesse. Elles trouvèrent Tante Jo dans la cuisine. La maîtresse de maison n’avait même pas pris le temps d’enlever ses chaussures et son manteau : elle avait rempli une casserole d’eau et allumé la gazinière.

-       Ah, vous êtes là ! dit-elle en les voyant arriver. Ç’a été la journée ? Ça vous irait des spaghettis ?

Les deux filles acquiescèrent et Isabeau se lança dans la description complète de sa journée de classe. Impressionnée par son débit de parole, Bertille se demanda si elle faisait vraiment ça tous les jours.

Quand Isabeau eut fini son discours, Tante Jo posa la passoire de spaghettis sur la table et servit les trois assiettes, tout en poursuivant la conversation :

-       Et toi Bertille, ça s’est bien passé ?

-       Oh…comme d’habitude, éluda Bertille en faisant mine de trouver son tas de spaghettis incroyablement intéressant.

-       Bertille n’a pas les mêmes centres d’intérêt que les gens de sa classe, précisa Isabeau.

-       Je vois…acquiesça Tante Jo.

-       Disons qu’ils sont vraiment stupides et le montrent à tout le monde comme si ça nous intéressait, poursuivit Isabeau.

Bertille éclata de rire. Tante Jo sourit à son tour.

-       Et qu’en dit ton père ? Que pense-t-il de sa nouvelle élève ? demanda-t-elle, son regard navigant entre Bertille et sa nièce.

Bertille haussa les épaules. Elle n’avait pas cherché à savoir ce que son père pensait de sa nouvelle amie, mais elle ne voulait pas reconnaître qu’elle et M. Fauripré ne se parlaient que très peu.

-       Il aime bien les bons élèves, et franchement, je ne connais personne qui n’aimerait pas Isabeau…

-       Quand même, j’espère que tu ne le tracasses pas trop avec toutes tes connaissances Isabeau. Les élèves trop bavards ne sont pas toujours très bien vus…

Bertille croisa le regard de son amie. Elle non plus ne semblait pas très bien comprendre où Tante Jo voulait en venir.

-       Je pense que je vais aller le voir, pour parler un peu de ton intégration à l’école, si tout se passe bien.

-       Mais TOUT se passe bien, ronchonna Isabeau.

-       Tout de même, ta maman est loin et tu arrives en cours d’année… C’est quelque chose qui se fait d’habitude, non ? questionna Tante Jo à l’intention de Bertille. Avec les nouveaux élèves.

Bertille acquiesça. Elle n’aimait pas trop ces entretiens qui duraient longtemps et retardaient l’heure du souper, et en même temps, cela lui permettait de rester un peu dans son cagibi.

Elle profita de ces instants de silence pour observer Tante Jo. Sa première impression lui avait fait remarqué que c’était une femme très élégante. Il était difficile de la quitter des yeux tant elle suscitait l’admiration. Elle ne ressemblait à personne à sa connaissance, avec ses boucles d’oreille colorées et ses grands yeux verts.

- J’irai le voir, alors, déclara Tante Jo d’un ton décidé. Tu n’auras qu’à faire tes devoirs avec Bertille, si tu ne veux pas m’attendre ici toute seule, ajouta-t-elle en jetant un œil vers Isabeau.

 

 

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Fannie
Posté le 19/02/2020
Ah, un grenier avec une malle remplie de costumes ! J’aurais adoré ça à leur âge. C’est surprenant qu’Isabeau soit si embarrassée après avoir proposé de monter une pièce de théâtre. C’est vrai qu’en voyant le comportement des autres élèves, on peut se demander s’ils se laisseraient embarquer dans une telle entreprise. Mais il suffit d’en trouver quelques-uns.
Tante Jo a l’air sympa. On dirait qu’elles ne mangent que des spaghettis ; ça donne un peu l’impression que la tante Jo ne les nourrit pas correctement. Tu pourrais mentionner au passage du légume ou de la salade et du fromage ; par exemple quand elle demande si le menu leur convient ou quand elle apporte la nourriture sur la table.
Coquilles et remarques :
— Et comme elle s’appelle, ta tante ? [comment]
— Non ! s’écria Bertille ? Avant, j’aurais bien aimé, parce que je me disait que les autres [Il faut un point après « s’écria Bertille » / je me disais]
— Il n’y avait pas grand chose qui montrait [pas grand-chose]
— Ce sont des costumes ? voulut savoir Bertille / Pourquoi tu voulais me montrer ça ? demanda Bertille [Comme « voulut savoir » n’est pas un verbe de parole, je propose : « Ce sont des costumes ? demanda Bertille / Pourquoi tu voulais me montrer ça ? s’enquit Bertille ».]
— Mais qui est-ce que tu vas demander de jouer dedans [à qui]
— C’est une bonne idée, la contredit-elle. On a étudié Hansel et Gretel [Je ne trouve pas qu’elle la contredit : au contraire, elle approuve son idée ; je propose « approuva-t-elle » ou « conclut-elle ».]
— Il est huit heures et demi, expliqua Isabeau [et demie]
— j’espère que tu ne le tracasses pas trop avec toutes tes connaissances Isabeau [virgule avant « Isabeau »]
— Sa première impression lui avait fait remarqué que c’était une femme très élégante [fait remarquer / cette formulation est un peu bancale ; je propose quelque chose comme : « Conformément à sa première impression, c’était une femme très élégante » ou « Elle avait tout de suite remarqué que c’était une femme très élégante »]
— avec ses boucles d’oreille colorées et ses grands yeux verts [d’oreilles (selon le Robert et le Larousse)]
— ajouta-t-elle en jetant un œil vers Isabeau [un coup d’œil]
Mimi
Posté le 05/03/2020
Je sens la maman qui s'inquiète hihi ! L'idée c'est que justement ce n'est pas la mère d'Isabeau et qu'elle n'a pas l'habitude. L'autre raison c'est que quand un enfant vient dîner les pâtes sont une valeur sûre ;-)
Moi aussi j'ai passé mon enfance à me déguiser. Je crois que c'est comme ça que j'ai développé mon goût pour les histoires !
Merci mille fois :-)
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