Chapitre 12

Par Mimi

 

-       Il faut que je te parle, dit fermement Bertille en chopant la manche de Jimmy.

C’était la récréation de dix heures, le lundi suivant. Elle avait passé la fin de semaine chez Isabeau et s’était promis d’asticoter son ami à propos du fantôme. Elle savait qu’il n’y croyait pas, tout comme elle savait qu’il n’aimait pas qu’elle lui parle avant la dernière sonnerie de la journée, mais aujourd’hui, elle s’en fichait pas mal. Elle n’était pas quelqu’un d’infréquentable, quoique puissent en penser les imbéciles comme Adélaïde.

Jimmy repoussa sa mèche qui lui cachait les yeux. Il avait l’air plus surpris par le ton autoritaire de Bertille plutôt qu’agacé par le fait qu’elle lui adresse la parole devant toute la cour de récré.

-       D’accord, dit-il calmement. On se voit ce soir. De quoi tu veux me parler ?

Bertille sourit du coin de la bouche.

-       Du fantôme de ta sœur.

Jimmy leva les yeux au ciel. Il se dégagea de la main de Bertille, qui tenait toujours son bras, et s’éloigna vers ses copains qui les observaient, appuyés contre le mur de la classe de M. Fauripré, l’air narquois.

Bertille leur balança un sourire moqueur, parce qu’elle savait que ce n’était pas elle qu’ils regardaient. Elle tourna les talons, les mains dans les poches, et rejoignit Isabeau qui l’attendait à leur coin favori sous le préau.

-       Alors ? demanda celle-ci en sautant sur ses pieds.

Bertille haussa les épaules avec un sourire en coin.

-       Ce soir, répondit-elle tranquillement. Il a intérêt à ne pas trop traîner. Il n’aime pas trop quand ses copains me voient en train de lui parler…

 

M. Fauripré était un instituteur très énergique. Tout ce qu’il expliquait était très facilement compréhensible. Il avait quelque chose qui faisait qu’on avait envie de l’écouter et de comprendre chaque phrase qu’il prononçait. Seule une note de tristesse venait ternir son discours et durcir le pli de son sourcil gauche. Isabeau savait pour sa femme, la maman de Bertille. Il s’agissait probablement de ça.

Isabeau n’avait jamais eu un aussi bon professeur. Elle ne comprenait cependant pas pourquoi si peu de ses camarades se sentaient concernés par les leçons du maître.

Le chahut dans la classe était permanent. Il venait toujours du coin au fond à gauche, celui d’ailleurs où se trouvait Jimmy et ses copains rigolards qui ne perdaient pas une occasion de se moquer de Bertille.

Jimmy, quant à lui, était tout à fait calme en cet instant. En se retournant légèrement, Isabeau pouvait le voir du coin de l’œil, le dos parfaitement droit et les mains croisées sur son cahier. Jimmy avait une mèche envahissante, aussi blonde que le reste de sa chevelure, qui venait s’échouer devant ses yeux, mais qui ne semblait pas le gêner pour suivre le cours.

Isabeau se demanda comment il pouvait faire semblant de ne pas connaître Bertille, avec tout le temps qu’ils passaient ensemble. Peut-être avait-il peur du regard des autres ? Peur de se retrouver du côté des souffre-douleurs ? Isabeau connaissait bien ça. Toutes les écoles se ressemblaient, mais jamais elle n’avait compris pourquoi certains élèves étaient la risée des autres.

Jimmy avait l’air d’être un garçon intelligent. C’était forcément quelqu’un d’intéressant. Forcément.

 

Comme d’habitude, Bertille finit la première la dernière série d’exercices de grammaire que Mademoiselle Hélène leur donnait à faire en fin de journée. Elle traversa la classe d’une seule traite, sans regarder autour d’elle, jusqu’au bureau de l’institutrice. Elle entendit vaguement les commentaires que faisaient les autres sur son passage. Certains n’avaient visiblement pas commencé à travailler. Tant pis pour eux, ils auraient plus de devoirs à faire le soir même.

En lui tendant son cahier, Bertille adressa un sourire à la maîtresse, qui semblait épuisée par l’ambiance bruyante de la classe. Elle écouta distraitement le grattement du stylo rouge sur le grain du papier, essayant d’ignorer le regard appuyé qu’Adélaïde Bontempi dardait sur elle depuis le premier rang, juste devant le bureau.

-       Zéro fautes pour toi Bertille, comme toujours. Bravo, sourit Mademoiselle Hélène.

Bertille récupéra son cahier, le referma et le serra contre elle pour traverser la classe dans l’autre sens. Elle évita un croche-patte de Maxime, zigzaguant entre les sacs à dos qui jonchaient les rangées. Arrivée à sa place, elle sortit son livre emprunté à la bibliothèque et posa son menton sur le dos de sa main. Ayant l’air occupée, elle avait l’espoir qu’en plus de sa place de choix dans le fond de la classe, cela dissuaderait ses camarades de l’embêter en toute impunité au milieu des bavardages. Peine perdue. Elle oubliait toujours la détermination des garçons de l’équipe de football.

-       Eh, Berthe ! Comment t’as fait pour tomber avec tes grands pieds ?

Elle reconnut la voix d’Aurélien. Bertille tourna une page. Elle sentait le froid envahir sa tête, comme à chaque fois que quelqu’un la prenait à parti.

-       Eho, grosse Bertha ! reprit Maxime. Tu te crois la meilleure du monde parce que tu as tout bon en grammaire ?

Le rouge lui monta aux joues mais elle tourna une autre page. Ils n’auraient jamais osé lui dire ça s’il n’y avait pas le chahut dans la classe. Ce n’étaient pas des garçons courageux, ils étaient juste stupides. Si seulement Mademoiselle Hélène poussait un peu sur sa voix…

Quelqu’un atterrit soudain sur la chaise vide à côté d’elle et lui arracha le livre des mains.

-       Rends-moi ça, articula-t-elle en tentant de maîtriser le tremblement de sa voix.

Ignorant sa remarque, Maxime feuilleta tranquillement l’ouvrage.

-       Ça raconte quoi ?

-       Tu n’as qu’à l’emprunter à la bibliothèque. Rends-le moi avant que ça ne t’attaque le cerveau.

Maxime sourit de sa dernière phrase.

-       Sinon quoi ? Tu appelles ton papa ? Ou ta copine l’intello ? C’est dommage que tu sois toute seule, hein ? Tu sais pas te défendre toute seule, Bertille.

-       Tiens, ça y est, tu te souviens de mon prénom ? maugréa Bertille.

Autour d’eux, la totalité de l’équipe de foot les observait avec fascination. Agacée, Bertille arracha son livre des mains de Maxime en lui recommandant d’aller apprendre à lire ailleurs et fit semblant de se replonger dans l’histoire. En vérité, elle était à l’affût des deux seuls sons qui pouvaient la sortir de cette situation : la voix de Mademoiselle Hélène donnant la liste des devoirs ou, plus radicalement, la sonnerie de fin des cours actionnée par son père de l’autre côté de l’école.

Elle plaqua ses mains sur ses oreilles pour ne pas entendre les idioties de Maxime. Les autres garçons ricanaient à ce qu’il disait, mais au moins elle n’entendait pas, ça ne pouvait l’atteindre.

Soudain, Maxime se figea, puis disparut de son champ de vision. Bertille releva la tête : Mademoiselle Hélène s’était levée et écrivait les devoirs au tableau, il retournait donc à sa place. Vérifiant que les garçons ne lui prêtaient plus attention, Bertille s’autorisa à souffler un bon coup. Elle se pencha sur son cahier de textes pour prendre en notes les devoirs à faire pour le lendemain.
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Fannie
Posté le 19/02/2020
Là, franchement, le harcèlement dépasse les bornes : ces garçons se croient tout permis. Mademoiselle Hélène est incapable de tenir une classe. C’est incroyable que les élèves puissent même se déplacer dans la salle sans qu’elle s’en rende compte. Cet incident démontre que les adultes de cette école encouragent les mauvais comportements par leur mollesse qui assure l’impunité. En arrachant le livre des mains de Maxime et en l’envoyant apprendre à lire, Bertille s’est quand même défendue.
Vu les questions qu’elle se pose à propos de Jimmy, Isabeau a beaucoup de maturité. D’ailleurs, je me pose les mêmes.
Coquilles et remarques :
— en chopant la manche de Jimmy [« choper » est trop familier ; je propose « en attrapant », « en agrippant », « en saisissant » « en empoignant »]
— Il avait l’air plus surpris par le ton autoritaire de Bertille plutôt qu’agacé [«  l’air plus surpris (...) qu’agacé » ou « l’air surpris (...) plutôt qu’agacé »]
— et s’éloigna vers ses copains qui les observaient, appuyés contre le mur de la classe de M. Fauripré, l’air narquois [Pour lever l’ambiguïté, je propose : « ses copains qui les observaient d’un air narquois, appuyés contre le mur de la classe de M. Fauripré ».]
— Bertille leur balança un sourire moqueur [« leur lança », « leur adressa » ; « balancer » est familier]
— Isabeau qui l’attendait à leur coin favori sous le préau [Je dirais « dans leur coin »]
— Il avait quelque chose qui faisait qu’on avait envie de l’écouter [La phrase est un peu lourde ; je propose « Il avait quelque chose qui donnait envie de l’écouter »]
— Isabeau n’avait jamais eu un aussi bon professeur. Elle ne comprenait cependant pas pourquoi [« cependant » est de trop ; il n’y a pas d’opposition entre les deux phrases]
— celui d’ailleurs où se trouvait Jimmy et ses copains [se trouvaient]
— du côté des souffre-douleurs [normalement « souffre-douleur » est invariable]
— Bravo, sourit Mademoiselle Hélène [Sourire n’est pas un verbe de parole, ni un verbe auquel se substitue naturellement l’idée de parole ; je propose « dit (ou fit) Mademoiselle Hélène en souriant ».]
— Eh, Berthe ! Comment t’as fait pour tomber avec tes grands pieds ? [Ce n’est pas plutôt « pour ne pas tomber » ?]
— comme à chaque fois que quelqu’un la prenait à parti [à partie]
Mimi
Posté le 05/03/2020
C'est véridique…
Merci pour les remarques et tes appréciations :-)
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