Lorsque la sonnerie retentit dans la cour, Bertille fut la première à se ruer dehors. Elle vit Isabeau sortir de sa classe exactement au même moment, et cela la fit éclater de rire. Elle courut à sa rencontre, bousculant au passage les autres élèves qui quittaient les classes pour rejoindre la sortie de l’école.
- Il prend tout son temps, je suppose ? demanda-t-elle, le souffle court.
- Il n’avait pas l’air pressé, confirma Isabeau avec un petit soupir.
Bertille leva les yeux au ciel en bougonnant. Elle piétina le sol de petits pas pressés, trépignant d’impatience. Enfin, la tête blonde échevelée de Jimmy flotta derrière la porte vitrée et sa silhouette dégingandée s’extirpa de la salle de classe, comme à contrecœur. Il se déplaça vers les deux filles en tenant négligemment la bretelle de son cartable sur son épaule.
- Qu’est-ce qui t’arrives ? T’as pété les plombs ou quoi ? demanda-t-il à Bertille qui lui avait sauté au bras.
- Alors ? Raconte !
Jimmy leva les sourcils comme s’il doutait de sa santé mentale :
- Tu serais pas un peu dingo ? Ma sœur est tarée, elle passe ses week-ends à regarder des films d’horreur avec ses copines.
Bertille regarda autour d’eux et baissa la voix :
- Oui, mais pense un peu ! Elle voit ça tous les soirs, elle supplie ta mère de rentrer plus tôt… et si c’était elle qu’elle voyait, Jimmy, et si le fantôme de Jehanne se baladait vraiment sur le lac ?
- Elle ne l’avait qu’une fois, que je sache.
- Tu ne lui as pas posé la question.
- Non, reconnut Jimmy. Mais apparemment, ça s’est calmé, puisqu’on reste avec Maman.
- Ah ? s’enquit Isabeau.
Jimmy tourna brusquement la tête vers elle, les sourcils froncés. Puis, comprenant que les deux filles étaient venues ensemble, il se détendit et reporta son attention sur Bertille.
- Ça me fait plaisir de voir que tu n’es plus toute seule, chuchota-t-il alors que Bertille relâchait son bras en lui souriant. Ça veut dire que tu ne veux plus que je reste après l’école ?
Il semblait sincèrement inquiet. Bertille éclata de rire :
- Mais non, idiot ! Ce qu’on veut savoir, c’est si tu restes ici ou pas ce soir.
- Rien ne m’en empêche, cette fois, fit-il d’un ton très sérieux. Ma sœur a l’air de s’être calmée. On est peut-être tranquille pour un petit moment. Vous avez prévu de faire des trucs ?
Autour d’eux, le flot d’élèves qui sortait des classes s’était dispersé. Seuls quelques retardataires, contraints d’effacer le tableau, zigzaguaient encore entre les platanes.
Le regard de Bertille croisa celui d’Isabeau. Elle aussi semblait un peu déçue du manque d’intérêt de Jimmy pour cette histoire passionnante.
- Rien de spécial, mentit donc Bertille en haussant les épaules. On se disait qu’on travaillerait peut-être un peu à la bibliothèque. J’ai des évaluations à la fin de la semaine.
- Et nous aussi, rappela Isabeau en fixant Jimmy, dans une troublante imitation de M. Fauripré quand l’ambiance de la classe devenait beaucoup trop turbulente.
Jimmy grogna. Ce n’était visiblement pas le type d’activités auquel il envisageait de s’adonner en attendant sa mère.
- Bah, au moins, ce sera fait, lâcha-t-il, les bras ballants.
Et tous trois se dirigèrent vers la bibliothèque de l’école, qui tenait aussi lieu de salon à Bertille et son père.
Tante Jo arriva bien après le départ de Jimmy, dont la mère terminait le ménage à sept heures. Bertille courut répondre à son coup de sonnette, délaissant les aires et les périmètres des champs, avant même que son père eût le temps de se lever.
- Bonsoir Bertille, dit gentiment Tante Jo en s’essuyant les pieds. Ton papa est-il là ? demanda-t-elle, le regard perdu au-dessus de sa tête.
Monsieur Fauripré s’était littéralement précipité dans le couloir.
- Bonjour madame, vous venez chercher Isabeau, je suppose ?
- Oui, mais j’aimerais aussi prendre rendez-vous avec vous pour discuter de l’arrivée d’Isabeau dans votre école…
Bertille s’éloigna. Elle referma la porte du couloir derrière elle. Elle eut le temps d’entendre son père dire qu’ils pouvaient en discuter immédiatement, puisqu’ils avaient déjà tous trois mangé.
- Prépare-toi à déménager, ils viennent dans la cuisine.
Isabeau reçut le message cinq sur cinq et ni une ni deux, plia bagage pour suivre Bertille en direction de cagibi.
- Ils se seraient rendu compte de quelque chose si on était restée ? demanda Isabeau, son sac à dos se balançant dangereusement sur son épaule.
- Ils seraient venus vérifier et nous auraient fiché dehors. Autant y aller tout de suite. De toute façon, ils ne disent jamais rien d’intéressant, et crois-moi, j’en sais quelque chose…
- Tu veux dire que tu fais ça souvent, espionner les réunions depuis la cuisine ? s’exclama Isabeau, à la fois impressionnée et réprobatrice.
- Oui, quelquefois, quand ce sont les garçons de ma classe qui viennent se faire remonter les bretelles parce qu’ils mettent le bazar en classe.
- Oh… Ça doit arriver souvent alors…
- Ça arrive, éluda Bertille.
Elle ne voulait pas avouer qu’elle préférait largement rester lire avec elle dans le cagibi.
- Qu’est-ce que tu veux lire ? demanda-t-elle pour changer de sujet.
Isabeau eut un sourire énigmatique, presque gêné.
- J’aimerais bien que tu me montres tes livres préférés, marmonna-t-elle en fixant le bout de ses chaussures.
Bertille la considéra un instant, ébranlée par sa demande. Ça voulait dire qu’elle devait lui montrer les livres qu’elle lisait contre l’approbation de son père, ceux qui étaient écornés, jaunis, vieillis et n’étaient plus de son âge depuis longtemps ? Bertille adorait Isabeau, mais elle n’était pas sûre d’être prête à lui montrer tant.
Elle se racla la gorge :
- Hum…oui, bien sûr.
Elle lui montra Alice au Pays des Merveilles, ce à quoi Isabeau s’exclama que c’était son livre préféré, puis les Quatre Filles du Dr March :
- Tu m’en as déjà parlé, il y a un personnage qui s’appelle Jo, non ?
Bertille acquiesça. Elle accepta qu’Isabeau l’emmène chez elle pour le lire. Isabeau se désintéressa pourtant bien vite de la quatrième de couverture. Son regard s’aimanta sur la boîte en fer blanc de la mère de Bertille.
- Tu as demandé à ton père au sujet de cette boîte ? demanda-t-elle en désignant l’objet.
Pour une raison qu’elle-même ignorait, Bertille n’avait pas envie qu’Isabeau sache qu’elle ne parlait pas tant que ça avec son père. Elle se tordit les mains, cherchant tout autour d’elle une diversion parmi tous les souvenirs que contenait le cagibi.
- Non… mais regarde !
Elle saisit un cadre contenant une photo du dernier carnaval avec sa mère. Elle et Bertille étaient déguisées en cosmonautes, à grands renforts de film aluminium et de papier machine.
Pas dupe pour un sou, Isabeau sourit triomphalement.
- Pourquoi tu me montres ça ? Qu’est-ce que tu ne veux pas que je sache ?
Bertille serra le cadre entre ses doigts et prit une inspiration, sans la moindre idée de ce qu’elle pouvait répondre. La vérité, c’est qu’elle ne savait pas pourquoi cette boîte était toujours fermée à clé depuis la mort de sa mère, ni pourquoi elle était toujours là, d’ailleurs, puisqu’elle ne servait plus.
Ce fut à ce moment précis que pour la première fois depuis longtemps, son père intervint exactement au bon moment. Il frappa deux fois à la porte et l’entrouvrit pour glisser la tête à l’intérieur du cagibi.
- C’est toujours aussi bien rangé ici, commenta-t-il. Isabeau, nous avons terminé notre petite réunion. Tu vas pouvoir rentrer avec ta tante…
Il ouvrit le vantail un peu plus grand. Tante Jo se tenait sous le préau derrière lui, affublée de son éternel sac violet. Isabeau ramassa le livre que Bertille lui avait prêté.
- Merci Bertille, lui dit-elle avec un regard insistant. J’espère que tu m’en diras plus la prochaine fois.
Elle quitta la pièce sous le froncement de sourcils étonné de M.Fauripré.
Coquilles et remarques :
— Qu’est-ce qui t’arrives ? T’as pété les plombs ou quoi ? [qui t’arrive]
— Elle ne l’avait qu’une fois, que je sache. [« Elle ne l’a vu qu’une fois », je suppose.]
— Ah ? s’enquit Isabeau. [« s’enquit » n’est pas adéquat pour un simple « Ah ? » ; en plus, tu grilles un synonyme de « demander ». Je propose « fit Isabeau, incrédule (ou dubitative) ».]
— Ils seraient venus vérifier et nous auraient fiché dehors [nous auraient fichues dehors]
— mais elle n’était pas sûre d’être prête à lui montrer tant [à lui en montrer tant]
— sur la boîte en fer blanc [en fer-blanc]
— à grands renforts de film aluminium [à grand renfort de]
— Tante Jo se tenait sous le préau derrière lui, affublée de son éternel sac violet [« affublée » est péjoratif, tout le contraire de l’élégance ; je propose « arborant son éternel sac violet » ou « accompagnée de son éternel sac violet » ou encore « parée de son éternel sac violet »]
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Dans ce chapitre, tu emploies trop souvent le verbe « demander » dans les incises.
— Il prend tout son temps, je suppose ? demanda-t-elle, le souffle court.
[Je te propose d’enlever l’incise et d’ajouter, pour introduire les paroles de Bertille : « bousculant au passage les autres élèves qui quittaient les classes pour rejoindre la sortie de l’école. Elle engagea la conversation, le souffle court. »]
— Bonsoir Bertille, dit gentiment Tante Jo en s’essuyant les pieds. Ton papa est-il là ? demanda-t-elle, le regard perdu au-dessus de sa tête.
[Je propose : « Ton papa est-il là ? poursuivit-elle, le regard perdu au-dessus de sa tête. »]
— Qu’est-ce que tu veux lire ? demanda-t-elle pour changer de sujet. [Je propose : « reprit-elle pour changer de sujet ».]
— Tu as demandé à ton père au sujet de cette boîte ? demanda-t-elle en désignant l’objet. [Je propose « s’enquit-elle en désignant l’objet ».]
Ça en fait déjà quatre de moins. :-) Ce sont des pistes ; tu auras peut-être de meilleures idées.
Merci pour les commentaires ! Ça va beaucoup m'aider