Chapitre 11 : Le poids de la liberté
La nuit s’étirait au-dessus des montagnes, déployant un manteau de ténèbres parsemé d’étoiles pâles. Un vent froid soufflait à travers les couloirs des anciennes mines, soulevant des volutes de poussière argentée. Dans ce dédale oublié du temps, Thalixia et Azaria s’étaient installées dans un campement rudimentaire.
Les restes de l'ancienne exploitation minière leur offraient un abri. De vieux piliers de bois, à moitié vermoulus, soutenaient le plafond bas, et les parois rocheuses suintaient une humidité glaciale. Pourtant, un foyer de fortune projetait une lueur vacillante sur leurs visages fatigués, rendant ce lieu un peu moins hostile.
Thalixia veillait, assise en tailleur près du feu. Ses yeux fixaient les flammes, leurs reflets dansant sur son visage marqué par la fatigue et la tension. Azaria, enroulée dans une cape trop grande pour elle, observait son aînée en silence. Son regard oscillait entre admiration et prudence, comme si elle ne savait pas encore si elle pouvait véritablement faire confiance à cette fille qui l’avait sauvée.
Un silence pesant s’était installé. Azaria semblait hésiter à parler, comme si chaque mot risquait de réveiller des souvenirs douloureux. Finalement, sa voix s’éleva, timide et tremblante.
— Est-ce qu’on est en sécurité ici ?
Thalixia tourna lentement la tête vers elle, son regard s’adoucissant légèrement.
— Pour l’instant, oui. Mais ils nous traqueront.
Azaria baissa les yeux, ses doigts jouant nerveusement avec un petit caillou qu’elle faisait rouler entre ses paumes.
— Ils ne me laisseront jamais partir, n’est-ce pas ?
Thalixia soupira. Elle aurait voulu lui mentir, lui dire que tout irait bien, mais elle connaissait la vérité.
— Non. Pas tant qu’ils penseront pouvoir t’utiliser.
Un frisson parcourut Azaria, et elle se recroquevilla un peu plus sous sa cape. Son visage juvénile, malgré la crasse et les cernes, portait encore les traces de l’innocence qu’on lui avait arrachée trop tôt.
Thalixia observa la fillette en silence. Elle se rappelait la sensation de la cage autour d’elle, l’oppression de ces murs trop étroits, l’ombre des Anciens planant au-dessus de sa tête. Elle connaissait cette peur.
Elle tendit la main et posa doucement ses doigts sur ceux de Azaria, stoppant le mouvement nerveux du caillou entre ses paumes.
— Je ne les laisserai pas t’attraper.
Un instant passa avant que Azaria ne relève les yeux. Une lueur vacillante, un espoir fragile, naquit dans son regard doré.
— Tu me promets ?
Thalixia esquissa un faible sourire.
— Je te le promets.
Le silence retomba, mais cette fois, il était plus léger.
Après quelques instants, Thalixia brisa le silence.
— Tu veux me parler de toi ? De ce qu’ils t’ont fait ?
Azaria hésita, puis acquiesça lentement. Sa voix était faible, presque cassée.
— Je me souviens juste des murs blancs. Des chaînes. Des perceuses… Et des tests… Ils voulaient savoir ce que je pouvais faire.
Azaria se mis dos à Thalixia et découvris son épaule, dévoilant une série d'une dizaine de cicatrice rondes et blanche de la taille d'une cigarette. Thalixia serra les poings, une chaleur diffuse s’accumulant déjà dans sa paume.
— Et qu’est-ce que tu peux faire ?
Azaria la regarda un instant, incertaine. Puis elle tendit une main vers le sol. Une fine couche de poussière recouvrait la roche sous elle.
D’un mouvement lent, presque hésitant, elle effleura le sol du bout des doigts.
Au départ, il ne se passa rien. Puis la poussière se souleva légèrement, formant de minuscules volutes, comme si le vent les agitait. Peu à peu, elle s’agrégea, s’élevant lentement en une spirale fragile.
Thalixia observa, fascinée, alors que la poussière prenait forme, se solidifiait. Bientôt, une sculpture miniature apparut entre les doigts de Azaria : un petit dragon aux ailes déployées, taillé dans une pierre fine et scintillante.
Azaria soupira et laissa retomber sa main. La sculpture perdit sa cohésion et s’effondra en une simple poignée de sable.
— Je peux modeler la terre, la roche… Mais pas longtemps. Ça me demande trop d’énergie.
Thalixia hocha lentement la tête.
— C’est incroyable.
Azaria détourna le regard.
— Pour eux, c’est juste une arme de plus.
Thalixia sentit une rage froide monter en elle.
— Tu n’es pas une arme.
Azaria haussa les épaules.
— C’est pourtant comme ça qu’ils nous voient, non ?
Thalixia ne trouva rien à répondre. Parce que Azaria avait raison.
Elle se leva, étira légèrement ses muscles endoloris, puis attrapa sa cape.
— Il faut dormir. Demain, on devra partir plus loin.
Azaria hocha doucement la tête et s’allongea près du feu, retenant un frisson.
Thalixia la regarda encore un instant. Il y avait quelque chose en elle, une fragilité qui lui rappelait l’enfant qu’elle avait été.
Elle s’approcha doucement et, sans un mot, elle tira sa propre cape sur les épaules de Azaria, l’enveloppant un peu plus dans la chaleur du tissu.
Azaria ouvrit les yeux, surprise, mais ne dit rien.
Juste avant de sombrer dans le sommeil, elle murmura :
— Merci, Thalixia.
Un sourire doux passa sur les lèvres de l’adolescente.
— Dors bien, petite sœur.