Chapitre 16

Par Mimi

-        Tiens, tiens. Berthe traîne ses grands pieds toute seule aujourd’hui.

Une paire de bottines violettes surmontée d’un caleçon noir avait envahi le champ de vision de Bertille, juste devant ses genoux. Elle était prostrée dans son coin du préau, les bras entourant ses jambes, à observer le macadam de la cour de récréation. Trois autres paires de bottines dernier cri vinrent se placer autour de la première, comme dans une chorégraphie bien répétée. Bertille leva à contrecœur les yeux vers Adélaïde Bontempi qui venait une fois de plus lui chercher des noises.

-       En même temps, on pouvait se demander ce qu’elle te trouvait…

Les trois copines d’Adélaïde ricanèrent de concert, comme si ce qu’elle venait de dire était d’un humour particulièrement fin.

-       Elle est malade, rétorqua Bertille. Ça doit être de ta faute, ça doit être toi qui la rends malade.

En réalité, Isabeau était en sortie scolaire avec le reste de la classe de CM2, pour visiter le collège qu’ils fréquenteraient tous l’année suivante, mais elle avait envie qu’Adélaïde lui fiche la paix et espérait que cette réplique ne lui donnerait pas envie de continuer de l’agacer.

Malheureusement, elle connaissait bien sa pire ennemie et elle regretta de ne pas l’avoir laissée parler.

Adelaïde plissa les yeux et planta ses bottines encore un peu plus près.

-       Alors ça y est ? Tu as une copine pour la première fois de ta vie et tu fais la fière ? siffla-t-elle en se penchant vers Bertille.

Elle jeta un œil rapide en direction des maîtres de service dans la cour de récréation, appuyés contre le mur du bâtiment qui servait de maison à Bertille et son père, riant et ne prêtant pas du tout d’attention dans leur direction.

Le regard d’Adélaïde revint vers Bertille. Ses lèvres s’étirèrent en un sourire étrange. Bertille l’ignora, tâchant de se rappeler ce que son père lui avait toujours dit à ce sujet-là : ne pas lui faire croire qu’elle était intéressante. Comme elle aurait aimé avoir une réplique bien cinglante à la manière d’Isabeau, qui avait enguirlandé Olivier le lendemain de son arrivée !

Elle vit Adélaïde faire un signe de la tête à ses acolytes, et son ventre se tordit. Deux d’entre elles la saisirent par les bras et la forcèrent à se lever. La troisième vint leur prêter main forte pour pousser la vers les poubelles toutes proches. Tétanisée, Bertille n’essaya pas de se débattre, se disant que ça finirait plus vite si elle se laissait faire. Les filles la jetèrent contre un container et la coincèrent entre plusieurs caissons nauséabonds, l’empêchant de sortir, ricanant à n’en plus finir.

Les larmes aux yeux, Bertille tentait mollement de repousser la barricade autour d’elle. Elle se sentait humiliée. Les quatre chipies resserraient un peu plus les poubelles autour d’elle lorsqu’elle essayait de se dégager. Autour d’elle, dans l’indifférence générale, les autres élèves se couraient après ou se lançaient des ballons, et les maîtres, hors de vue, riaient de bon cœur aux histoires qu’ils se racontaient.

Bertille aurait voulu que sa mère soit là. Elle aurait vu tout ça et ses quatre tortionnaires auraient été punies. Ensuite, elle l’aurait emmenée à l’intérieur de la maison et l’aurait consolée, même après la fin de la récréation.

Son père n’aurait rien remarqué. Il aurait ri avec les autres maîtres de leurs blagues de grandes personnes. Il n’avait jamais remarqué le comportement des autres élèves envers elle de toute manière.

Si Isabeau avait été là, Adélaïde Bontempi et ses copines n’auraient jamais osé venir la déranger sous le préau.

Bertille cessa de lutter, croisa les bras sur sa poitrine et se laissa glisser par terre, appuyée au mur contre lequel elle était faite prisonnière. Elle baissa la tête pour que ses cheveux masquent son visage. Elle entendait les rires et les moqueries autour d’elle, mais elle ne voulait pas que l’on voie ses larmes.

Elle attendit la fin de la récré en essayant de penser à autre chose. Elle s’imagina être dans son cagibi, sous une couverture, à feuilleter un bon roman ou le livre des légendes locales. Elle en avait tellement marre de l’école ! Elle avait déjà demandé à son père de suivre l’école à la maison, mais il n’en était pas question pour Monsieur Fauripré.

-       L’école, c’est aussi pour voir d’autres enfants. Tu es une privilégiée, Bertille. Tu as beaucoup de livres, tu as accès à une grande culture… Tous les enfants n’ont pas ta chance, et ça serait bien que tu t’en rendes compte.

Ce que son père ne semblait pas comprendre, c’est que ces enfants n’en avaient visiblement rien à faire de tout ça. Ce n’était pas eux qui étaient à plaindre, mais il semblait vouloir ignorer tout ça, au nom de la « mixité sociale », ces mots inutilement compliqués qui ne voulaient rien dire.

La sonnerie perçante lui sembla le plus doux son du monde. Bertille attendit quelques minutes, que les quatre filles de sa classe commencent à paniquer d’arriver en retard, et souffla un grand coup. Elle resta au sol quelques instants pour se calmer. Elle ne voulait pas que les autres sachent. Elle décala doucement les poubelles pour avoir juste la place de sortir et d’éclipsa vers la porte de la classe de Mademoiselle Hélène, qui était sur le point de se fermer.

La maîtresse se montra un peu étonnée de voir Bertille repousser la porte qu’elle venait de rabattre, mais ne fit aucun commentaire. Depuis l’autre côté de la classe, Adélaïde jeta un regard narquois à Bertille, qui pinça fortement les lèvres, s’efforçant de ne pas pleurer.

 

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Fannie
Posté le 22/02/2020
Encore un épisode qui démontre la négligence des profs, qui parlent et rient entre eux sans se donner la peine de regarder ce qui se passe dans la cour de récréation. C’est révoltant, mais c’est probablement comme ça que ça se passe souvent dans la réalité aussi. Normalement, tout harcèlement mis à part, ça ne devrait même pas être autorisé de jouer avec les poubelles.
Le résumé nous annonçait des aventures palpitantes, des enquêtes menées par un trio infernal et là, à la moitié de l’histoire, on a toujours l’impression de ne pas encore être entré dans le vif du sujet. Je ne m’ennuie pas du tout en lisant ces chapitres, mais il y a probablement un souci d’équilibre entre l’introduction et les fameuses aventures.
Coquilles et remarques :
— Adelaïde plissa les yeux et planta ses bottines [Adélaïde]
— Elle jeta un œil rapide en direction des maîtres [un coup d’œil rapide]
— riant et ne prêtant pas du tout d’attention dans leur direction [Cette formulation me semble étrange et il y a déjà le mot « direction » dans la phrase précédente ; je propose « riant et n’accordant aucune attention à ce qui se passait de leur côté]
— La troisième vint leur prêter main forte pour pousser la vers les poubelles [prêter main-forte / la pousser]
— Les filles la jetèrent contre un container et la coincèrent [Je propose « un conteneur ».]
— Il n’avait jamais remarqué le comportement des autres élèves envers elle de toute manière. [Virgule avant « de toute manière ».]
— pour avoir juste la place de sortir et d’éclipsa vers la porte [et s’éclipsa]
Mimi
Posté le 05/03/2020
En fait c'est terrible mais c'est un souvenir… Les enseignants ne m'ont jamais été d'une grande aide.
Merci beaucoup :-)
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