- En fait, peut-être que rien de tout ça n’est arrivé, suggéra Isabeau lorsque Bertille eut fini de lui lire tout ce qui concernait l’histoire d’Isabeau et d’Harold. Peut-être qu’il n’y a rien au pied du chêne.
Bertille la fixa, terriblement déçue.
- Je pensais que tu croyais au fantôme de Jehanne et que tu voulais enquêter avec moi ?
- Mais oui j’y croyais ! se défendit Isabeau. Seulement… Ça fait deux légendes qui se ressemblent beaucoup pour la même ville. Du coup, je pense que ce sont plutôt des histoires inventées.
Isabeau avait l’air sincèrement désolée. Bertille referma son livre d’un coup sec et croisa les bras avec une expression boudeuse. Isabeau se sentit obligée de réagir.
- Bon, comme vendredi soir, ce sont les vacances, Jimmy propose qu’on aille dormir chez lui, annonça-t-elle d’un ton solennel comme si cette invitation était un honneur suprême.
- Je suis déjà allée dormir chez lui, marmonna Bertille, toute son attention portée sur la bosse mouvante que formaient ses doigts de pied sous la couverture.
- Ben rien ne t’empêche de recommencer !
- Non. Rien.
Isabeau se leva, agacée par le manque de réactivité de Bertille.
- Je sais bien que cette histoire te chagrine, mais il faut grandir un peu ! Tu ne vas pas rester tout le temps dans tes histoires !
Bertille ne répondit pas. Elle avait très envie d’aller chez Jimmy, même si elle risquait de se sentir de trop, vu comment Isabeau avait l’air de bien l’aimer…
- Quand est-ce qu’il t’a dit ça ? voulut savoir Bertille, elle qui pensait n’avoir pas quitté son amie pendant toutes les récréations de la journée.
Isabeau s’immobilisa sur le pas de la porte.
- Avant de partir. Il est venu me voir à ma place, pendant que je rangeais mes affaires.
- Ses copains n’ont rien dit ?
- Ses copains sont bêtes, répliqua Isabeau. Je me fiche qu’ils disent quoi que ce soit.
Bertille se leva et rejoignit rapidement Isabeau.
- J’aimerais bien savoir faire comme toi, reconnut-elle, avec en tête les images de la journée sans Isabeau, Adélaïde Bontempi et ses trois horribles copines l’encerclant sous le regard indifférent des instituteurs.
- Quoi comme moi ?
- S’en ficher de ceux qui ricanent. C’est pas toujours facile.
- C’est sûr, dit Isabeau avec un sourire. Mais c’est beaucoup mieux comme ça. Tu ne te fais plus de mal pour rien.
Les deux filles rentrèrent à l’intérieur de la maison. Bertille fit un crochet par la cuisine pour y suspendre la clé du cagibi à son clou. Elles s’installèrent au beau milieu de la bibliothèque, sur la table qui servait de bureau à Valérie, la bibliothécaire de l’école.
- Il faut qu’on discute de la fête de l’école, dit soudain Isabeau en poussant sur le côté son cahier d’exercices.
- C’est dans deux mois, et on a toutes les vacances pour y penser, ronchonna Bertille en plaquant ses paumes sur ses oreilles pour tenter de se concentrer sur sa lecture pour le lendemain.
- Oui, mais apprendre son texte dans une langue étrangère, ce n’est pas si facile.
- Au fait, c’était comment la visite du collège ? demanda soudain Bertille.
Isabeau eut l’air un peu triste, tout à coup. Bertille regretta presque d’avoir posé cette question.
- Rien de spécial. Il est pas mal, ce collège. J’ai assisté à quelques cours, certains profs sont très intéressants. Tu vas aller là-bas ?
- Normalement oui, répondit Bertille. Je n’ai pas vraiment d’autre raison d’aller ailleurs. En général, tous ceux qui passent ici vont là-bas.
- Oh, je vois, dit simplement Isabeau, qui souhaitait visiblement que la conversation s’arrête là.
- L’eau, qu’est-ce que c’est ?
Bertille s’avachit sur sa table et leva ses paupières fatiguées vers Mademoiselle Hélène. Elle perçut dans son champ de vision quelques bras se lever et entendit les personnes interrogées répondre des banalités :
- C’est liquide ?
- Ça mouille ?
- On en a besoin pour vivre ?
Mademoiselle Hélène remonta sur l’estrade et saisit deux craies. Elle dessina une sorte de tête de Mickey rouge aux oreilles blanches sur la surface du tableau. Bertille fronça les sourcils.
- Tout ce que vous voyez, tout ce dont vous êtes constitués, se compose d’atomes.
Elle désigna les boules rouge et blanches qu’elle venait de représenter.
- L’eau est un ensemble d’atomes - un atome d’oxygène, en rouge, et deux atomes d’hydrogène, en blanc - que l’on appelle molécule, et ces molécules, lorsqu’elles forment un gros tas, ont l’aspect de l’eau telle qu’on la connaît. Bien sûr, tout cela est infiniment petit, et les atomes n’ont pas vraiment de couleur. D’ailleurs, vous saviez que vous étiez composé d’eau en très grande partie ?
Bertille suivit du regard Mademoiselle Hélène se déplacer dans la classe en parlant de l’eau, comment elle aide à avoir moins chaud par la transpiration, à éliminer ce dont le corps n’a pas besoin… C’était une leçon très intéressante, mais comme d’habitude, les garçons autour d’elle n’écoutaient pas grand chose.
Elle suivit attentivement, la tête calée entre ses coudes. Mademoiselle Hélène leur passa un extrait de documentaire et termina par une expérience :
- Pour que quelque chose flotte à la surface de l’eau, il doit avoir ce qu’on appelle une densité moins grande que l’eau. La densité, c’est ce qui fait qu’un objet est lourd ou léger… le plomb par exemple est plus dense que l’eau, mais l’air est moins dense que l’eau, sinon, l’eau serait au-dessus de l’air !
Elle installa sur l’estrade le tabouret qu’elle utilisait pour ses expériences. Elle y empila le saladier qui provenait de la cuisine de Bertille et son père et qui d’ordinaire servait de récipient aux pâtes à gâteau. Mademoiselle Hélène déposa un bouchon de liège à la surface de l’eau.
- Voyez, le bouchon flotte ! C’est parce qu’il est fait de bois, et le bois est moins dense que l’eau. C’est aussi pour ça que les bateaux flottent à la surface.
Bertille se redressa d’un bond. Non loin d’elle, deux garçons se retournèrent et ricanèrent.
- Tu as vu un fantôme ou tu viens de te réveiller ? lui chuchota le plus proche. Ah, quelle rêveuse, cette Bertille…toujours dans la lune !
Les deux compères rirent dans leur barbe, en veillant à ne pas être remarqués par Mademoiselle Hélène.
Bertille tourna résolument la tête dans la direction opposée. Un fantôme… Est-ce que le fantôme de la sœur de Jimmy se déplaçait vraiment sur un bateau ? Les fantômes pouvaient-ils flotter, s’ils avaient une densité moins grande que celle de l’eau ?
Elle n’hésita même pas à poser la question à Mademoiselle Hélène : elle n’avait pas besoin de se ridiculiser devant ses camarades. La maîtresse poursuivit ses explications :
- Lorsqu’on pose quelque chose sur l’eau, l’eau le repousse un peu vers la surface - encore une fois, tout dépend de sa densité. On appelle ça la poussée d’Archimède, parce que c’est le scientifique grec Archimède qui l’a découverte. Vous savez comment il l’a découverte ? Dans sa baignoire ! Et c’est là qu’il a dit son fameux « Eurêka ! », qui veut dire « j’ai trouvé ! » en grec ancien !
Bertille sentait son cerveau, en grande partie constitué d’eau, flotter dans sa boîte crânienne. Et si ce n’était pas Jehanne qui flottait sur le lac à la recherche de son amour perdu, mais quelqu’un ? Dans ce cas, quoi ? Qui ? Qui faisait une farce en se faisant passer pour une châtelaine morte depuis des lustres ?
Elle décida qu’elle allait s’inviter chez Jimmy et attendre le fantôme, pour se faire sa propre idée et décider si oui ou non elle croyait au retour du fantôme.
Le détachement dont elle fait preuve vis-à-vis des enquiquineurs est étonnant aussi. Comment a-t-elle appris à être aussi philosophe à un aussi jeune âge ?
C’est amusant comme le cours de Mademoiselle Hélène ramène Bertille à ses réflexions sur le fantôme.
Coquilles et remarques :
— Mais oui j’y croyais ! se défendit Isabeau. [Virgule après « Mais oui ».]
— vu comment Isabeau avait l’air de bien l’aimer…[« vu qu’Isabeau » ou « vu à quel point Isabeau »]
— Quand est-ce qu’il t’a dit ça ? voulut savoir Bertille [s’enquit Bertille]
— reconnut-elle, avec en tête les images de la journée sans Isabeau, Adélaïde Bontempi et ses trois horribles copines l’encerclant sous le regard indifférent des instituteurs. [Ça ne me semble pas judicieux de mettre tout ça dans l’incise. Je te propose de mettre un point après « reconnut-elle » et de passer à la ligne en arrangeant un peu la phrase : « Elle avait en tête les images (...) » ou « Elle se repassait dans sa tête les images (...) ».]
— Les deux filles rentrèrent à l’intérieur de la maison [« rentrèrent à l’intérieur » est redondant]
— C’est dans deux mois, et on a toutes les vacances pour y penser [pas de virgule avant « et »]
— Je n’ai pas vraiment d’autre raison d’aller ailleurs. [« Je n’ai pas vraiment de raison » ; « autre » est de trop.]
— D’ailleurs, vous saviez que vous étiez composé d’eau [composés]
— les garçons autour d’elle n’écoutaient pas grand chose [pas grand-chose]
— Elle y empila le saladier qui provenait de la cuisine [On dit « empiler » quand il y a plusieurs objets ; je propose « posa » ou « plaça ».]
— Elle décida qu’elle allait s’inviter chez Jimmy et attendre le fantôme, pour se faire sa propre idée et décider si oui ou non elle croyait au retour du fantôme. [Il y a deux fois « fantôme » et deux fois le verbe « décider » ; je propose « et déterminer si oui ou non elle croyait à son retour » ou « et déterminer si oui ou non elle croyait à son existence ».]
Merci pour les coquilles !