Chapitre 16 -- Un basson tâtonnant

Par Capella

L’on aurait pu lui annoncer que Stèlebrune prenait son envol pour atterrir sur un continent verdoyant d’ici à l’heure que Mélinoé n’aurait pas été plus surprise.

Ambre Feudiver était ici, à Point-du-Soir, entre les murs du château, pour s’entretenir avec le seigneur des lieux. Elle considéra sa domestique un long moment sans piper mot, main à hauteur de poitrine, visage changé d’aucune émotion tant il y en eut dans sa boîte crânienne.

« Je ne comprends pas… Il est… en vie ? C’est Ambre ? Celui que je connais ?

— Oui, c’est certain. Il est devenu propriétaire d’Amaryllis, poursuivit la servante en posant des draps sur le lit de Mélinoé. Et il a toute son église de retour avec lui !

— Que… Non, ça ce n’est pas possible… Je… ne comprends rien. Ils sont tous morts, non ? Ils sont morts.

— Bah, j’ai entendu ça aussi, c’vrai, mais… F’croire qu’non ? En tout cas, votre père a accepté de l’traiter en invité car il parlait d’alliance et de l’aider. C’est bien qu’on ait votre ami avec nous, non ? Vous pourrez vous voir sans peine, maintenant. »

L’intéressée ne répondit pas, fixant son bureau, l’iris tremblant. Rien n’avait de sens. La nouvelle de la fin de l’Église était encore si fraiche qu’elle n’avait pas eu le temps de s’en rendre compte vraiment, et on lui annonçait que tout ceci n’avait été qu’une mascarade. La tête lui tournait, mais elle se leva tout de même.

« Vous allez le voir ? »

Elle quitta sa chambre et traversa les couloirs. Elle héla tous ceux qui passèrent à sa portée pour lui demander où logeait l’invité. Elle aurait couru, si tant d’émotions n’étaient pas occupées à s’entrechoquer les unes contre les autres. Sa marche se fit au moins vive, quoique haletante, comme si un pas en valait plusieurs milliers d’un coup.

Elle frappa à la porte, se demandant après coup seulement si elle ne s’était pas trompée dans sa précipitation tant elle s’était machinalement jetée là où on lui avait grossièrement indiqué l’endroit. Puisqu’un homme en robe rouge lui apparut, elle sut avoir visé juste, mais ce ne fut pas pour autant qu’elle ne se montrât pas surprise…

Elle recula d’abord à cause de la bedaine de cette apparition, puis à cause des fentes écarlates qui faisaient offices d’yeux pour le masque blanc posé au-dessus de tout ça.

« En quoi puis-je vous aider, mademoiselle Corail ?

— Heum… Ambre… Est là ?

— Monsieur Ambre est occupé, demoiselle. Il me fait cependant part de son envie de vous voir dans l’heure, lors de son entrevu avec votre père.

— Heum… Oui. Je serai là. Je ne peux pas le voir ? » Elle marqua une petite pause, le temps de retenir ses rougeurs d’angoisse. « Il est mon ami, et je le croyais mort jusqu’à il y a une minute…

— Navré, demoiselle. Il m’a interdit de faire rentrer quiconque, en précisant votre nom dans la liste. Il viendra probablement s’entretenir avec vous après l’entrevue, mais la question qu’il traite en ce moment est d’une importance capitale. Passez une bonne journée, et à tout à l’heure, mademoiselle. »

Le ton était d’une politesse succulente, un bassin de miel qui s’écoulait sur les lèvres d’un affamé. Le fond était néanmoins un refus sans appel, et la porte se ferma sous son nez. Le courant d’air qui en résultat s’infiltra dans ses poumons pour lui griffer l’estomac.

Il est vivant… C’est tout ce qu’il me faut pour être heureuse aujourd’hui… Il va parler avec père, je ne dois pas le déranger alors qu’il pourrait être considéré ennemi… S’il cède à l’émotion de me voir, finies les réflexions. La moindre des choses, c’est de lui respecter cela. Il est en vie… je veux que cela puisse durer longtemps.

Forte de cette pensée, elle gagna la salle principale où se tiendrait la réunion. Dans l’heure, qu’avait dit l’homme de main de son ami, mais attendre ici ne ferait-il pas passer le temps plus vite ? Ou bien serait-ce l’inverse ? Les étoiles filantes n’avaient-elle pas tendance à se faire absente lorsqu’on cherchait à les voir ? Soit, il lui fallait donc faire semblant de ne pas y penser.

« Pourriez-vous aller me chercher mon livre de géographie, s’il vous plaît ? » demanda-t-elle à un domestique.

Elle étudia, se forçant à penser à autre chose, mais quand son père arriva au bout de longues minutes à se retenir de se ronger les ongles et à ne penser à rien qui fut un tant soit peu géographique, elle en souffla audiblement de soulagement.

Elle ferma son livre et suivit du regard son père qui s’installait aux côtés d’un Plume à la marche tranquille, un pouce coincé dans sa ceinture en sifflotant. Puis Eris, Seren, et Mère.

« Tout le monde est là ? s’étonna-t-elle.

— Une demande de ton ami que j’ai tenu à respecter, répondit Héronn en venant s’installer à son siège.

— Il s’est laissé aller dans le suspens, ton copain, renchérit Plume avec un clin d’œil. Il nous convoque tous avec des mots sérieux et mystiques, et il ne vient même pas à l’heure.

— En effet, il perd de ma sympathie dans les négociations à venir, au vu du respect qu’il nous témoigne.

— Il était très occupé, voulut le défendre Mélinoé.

— Sauf que si nous sommes là maintenant, c’est car il nous a dit être prêt. »

À cette réponse, rien à rétorquer ne se fit sentir. Elle se fit petite en considérant son précis de géographie, espérant ne pas le rendre plus coupable en essayant de prononcer quelques paroles en sa faveur.

Quand elle entendit le son d’une flûte, elle leva la tête, aussi surprise que le fut sa famille. Les portes s’ouvrirent et une jeune femme avança. L’embouchure de l’instrument glissé sous son masque blanc, elle jouait, lentement, se reprenait parfois tandis qu’à chaque fausse note, elle marquait une pause, mais entre tout ça, Mélinoé fut abasourdie de reconnaître Pétale de camélia. Des vingt trous de l’instrument, quinze crachaient la fumée caractéristique de la flûte, pour que ce fut au tour d’autre de prendre la relève tandis que certains prenaient repos en fonction des notes qui quittaient l’instrument.

Derrière elle, escorté par l’homme à la bedaine, son immense sceptre de cuivre et de bois, Ambre avança, son œil unique observant la pièce avec la malice de quatre. En découvrant le bandeau qui ceignait son globe droit, Mélinoé porta une inconsciente main à son cœur grimaçant.

Il a survécu… Je dois en être heureuse. Trois quarts de lune valent mieux que l’abîme.

Ambre s’arrêta à distance raisonnable de la table et conserva le silence tandis que la femme poursuivait son morceau.

« Feudiver, que me vaut… »

Héronn se tut lorsqu’Ambre leva sa main d’un geste impérieux. « Attendez, seigneur, elle a presque fini.

— Comme si cela était…

— Héronn. Un mot de plus et ces négociations se finissent en jeu de chasse pour Amaryllis. Laissez-la finir, vous voulez bien ? »

Soufflé par la menace, le seigneur n’osa répondre pour se contenter d’ouvrir de grands yeux à son adresse. Mélinoé osa un regard en coin pour la tablée. Plume avait un large sourire, Eris grimaçait de dégoût envers l’insolent, Héronn et Seren étaient au bord de la crise de nerf, et mère plissait les yeux comme pour sonder son âme.

« Insolent, tiens ta langue en présence du seigneur », fit l’un des gardes en s’avançant.

Ambre agita une main désinvolte. « Soit, soit ! Je vais parler, alors, si ça vous tient tant à cœur de m’entendre susurrer des paroles. Continue de t’entraîner, Kahina, sauf si on te dérange trop. » Il se tourna vers le seigneur, lui dardant un sourire mutin. « Bien, je ne vais pas tourner autour du pot, puisque qu’il sied à sa seigneurie que je parle vite. Encore que l’obligation m’oblige à une chose : merci de m’avoir accueilli malgré notre antagonisme.

— Qui, espérons-le, ne durera pas, commenta la dame de Point-du-Soir.

— Lady Ellina, je l’espère autant que vous. Cela ne dépendra, à dire vrai, que de votre sagacité. »

N’ayant l’envie de se tourner vers ses parents chaque fois qu’Ambre prononçait un mot inconscient, Mélinoé se contenta d’observer ce dernier, une lueur d’expectative dans le regard. Il n’était pas le plus doué pour négocier avec autrui, et celle-ci jouerait leur amitié à tous les deux. Elle avait plus d’une raison d’agiter sa jambe sous la table, en somme.

« Cette guerre civile est une idiotie, lâcha Ambre avec dédain. Les rebelles tuent des sans-corps, des sans-corps tuent des rebelles, et j’ai le devoir de tuer quiconque tue autrui. Autant vous dire qu’on finira exterminé, et notre peuple ne sera plus que poussière dans l’air, fit-il d’un joli geste de main. Est-ce une conclusion envieuse ? »

L’on ne répondit pas tout de suite. Sans doute son père soupesait ces propos moins pour en comprendre leur forme que pour déceler ce qu’ils cachaient par leur fond. Ne pouvait-il pas juste répondre à l’affirmatif ? À moins que son orgueil valut moins que leur vie à tous ? Mélinoé posa sa tête dans sa paume, grinçant des dents.

« Nous comptons gagner, à dire vrai, renvoya alors Plume, son éternel sourire dans la voix. Et ce, avant l’extinction. Désolé, mais nous sommes des habitants des Terres Inespérées, cette guerre est notre seul moyen de nous donner un peu de valeur. Loin de nous l’idée de ramener l’arc-en-ciel sur Stèlebrune tandis que cet endroit précis reprend sa boue.

— C’est vrai, mais… disons les choses simplement, Plume. J’en ai strictement rien à foutre. »

Il avait prononcé ces mots en se grattant la joue et en riant avec candeur. Cette fois, l’aînée se tourna vers sa famille avec horreur, et leurs expressions révoltées attestait qu’Ambre venait de mettre déjà un pied dans la tombe. Elle entrouvrit la bouche, prise de sueurs froides, mais les mots ne vinrent pas d’elle.

« Je ne suis pas là pour jouer le rôle du charitable qui veut plaire à tout le monde. Ou vous continuez cette guerre du côté des rebelles, et je prends une décision immédiatement, ou vous oubliez votre justice de merde et vous m’aidez à mettre un terme à ce bordel. Bien sûr, seigneur Héronn, toute aide méritera salaire. Votre honneur qui touche plus bas que terre, je m’arrangerai avec les sans-corps pour le rehausser. Ces menaces, je pourrais les réitérer envers eux, s’ils refusaient de vous rendre la monnaie de votre pièce. Arrêtez d’être idiot deux minutes, c’est tout ce que je demande. »

La forme était catastrophique, mais en grattant légèrement la surface, la proposition était plus qu’acceptable. Tous contre les rebelles, ces derniers ne feraient pas long feu, et avec une récompense à la clé, leur avenir était tout tracé. Il ne fallait plus que leur père le comprenne ; à en juger son visage, la chose serait ardue.

« Au grand jamais nous ne pourrions collaborer avec un jeune garçon faisant preuve d’aussi peu de…

— Père ! s’écria Plume en dressant sa main devant Héronn. Père ! Père, père, père ! Je… heum… Non… » Il se tourna vers Ambre avec un sourire qui, pour la première fois, paraissait tordu. « Ambre, nos vassaux ne vont pas accepter. Je suis désolé. Ou tu acceptes une négociation au long cours avec eux, ou tu vas devoir nous considérer nos ennemis.

— Plume ! Pourquoi te plies-tu auprès de son insolence ?

— Héronn, s’immisça mère, s’il te plaît. C’est très important, là. »

De son côté, la flûtiste s’était arrêtée, et elle regardait maintenant le spectacle d’un air curieux.

« Hmm… Je n’ai pas de temps à perdre, répondit Ambre. Chaque seconde donne de la force aux rebelles et laisse les germes de rébellion bourgeonner et fleurir dans le crâne de vos vassaux », fit-il en se penchant de côté pour poser son index contre sa tempe. Il reprit les gestes exagérés en poursuivant. « Il y a des moyens simples et rapides d’en finir. Mariez Mélinoé à un vassal, Eris à un autre, Seren à une troisième. Croyez-moi que vous allez régler le problème plus vite qu’un… pouf !

— Comment ? lâcha inconsciemment Mélinoé. Je… Hein ?

— Hah !? réagit Eris en se levant. On va pas me marier juste pour une alliance, tu avais promis que je pourrais marier Elianor !

— C’est pas loin d’être une solution efficace, argua Plume à contrecœur. Il vaut mieux ça…

— Hors de question, trancha Héronn. Nous n’allons pas nous faire passer pour des victimes auprès de l’église qui n’a jamais rien fait pour nous. Convaincre notre peuple, c’est une chose, mais si c’est pour ployer le genou devant ceux qui n’ont rien fait pour nous, à quoi bon.

— Votre dernier mot ? »

Héronn fronça les sourcils de colère et le soldat qui s’était irrité de son comportement frappa le sol de sa lance. « Tu as dépassé les bornes », prononça-t-il.

Ambre tordit ses lèvres en coin. Mélinoé fulminait autant qu’elle voulait fondre en larme. Pourquoi prenait-il la chose avec un tel manque de considération ? Avec un tel sens de l’amusement ? Il finirait en prison, exécuté. Elle allait perdre son ami simplement car il jouait les imbéciles ?

Plume se leva brusquement. Mains sur la table, son regard était rivé sur celui qu’Ambre lui renvoyait, tout curieux qu’il était.

« Hé… Ambre… Je… Heu… Peu importe ce que tu vas faire, je peux être en dehors de tout ça ? »

Son ami poussa un petit rire amusé, et le sourire qui demeura ensuite fut d’une tendresse absolument magnifique. Le sourire d’une étoile.

« Je n’ai prévu que de tuer ton père, Plume, ne t’en fais pas. »

Une vague traversa l’air. Une vague métaphorique, celle qui coupa les poumons et poussa les visages à se reculer de terreur. Même le garde ne comprit pas tout de suite en quoi Ambre venait de menacer le seigneur tant ce fut doucereux et léger comme une brise.

« Kahina, voyons voir si tu as bien révisé ton signal, je te prie. »

Elle acquiesça et porta la flûte à sa bouche. Elle offrit une mélodie de quelques notes, un rien lugubre, un rien annonciatrice. Une petite mélodie qui aurait pu précéder l’arrivée d’une troupe de cirque…

Sauf qu’eux n’avaient rien d’un cirque.

La dernière note de cette petite envolée musicale se laissa partir dans l’air sous l’immobilité générale.

La porte fut fracassée.

Un membre masqué aux longs cheveux noirs se jeta en avant, deux lames en forme de “S” rappelant des buugeng dans chacune de ses mains. Avec un rire hystérique, il l’abattit sur le garde qui s’en défendit. Ambre à son tour, eut un gloussement.

« Vous n’êtes pas encore assez rodé aux combats, Gabriel. Attends les autres.

— Hah ! Ah ! Bah… Ouais, pas faux ! Alex, viens m’aider !

— Tu es trop empressé, Gabriel », ajouta l’homme à la bedaine en fouillant dans sa robe.

Avec un bruit de cliquetis, il se saisit d’un fléau d’arme, et d’un mouvement leste, l’envoya sur le soldat. Devant se protéger de la boule épineuse qui lui fila dessus, il fut à la merci des buugeng de combat de Gabriel, et le sang partit avec le fil de sa vie.

Les autres soldats de la garde Corail foncèrent sur eux, mais une nuée de robes s’introduisirent dans le palais, tous une arme plus ahurissante les unes des autres pour retenir les soldats.

« Gab, va t’occuper du seigneur, je t’offre cet honneur si tu me promets d’être moins fougueux à l’avenir, fit Ambre d’un ton de père qui offrait un compromis à son enfant.

— Reçu, m’sieur Ambre !

— Bien. Vous autres, je vais avoir l’air d’enfoncer une porte ouverte, mais je ne veux aucun mort nous concernant. Restez sur le gain de temps, et Gabriel viendra vous porter assistance avec les gardes que vous retenez une fois sa tâche terminée. Et toi, Lys, aide-les au moindre problème, compris ?

— À tes désirs, mon cher ami », répondit le sans-corps au bout d’un sceptre à ramures de cerf avec un sourire torve.

Le dénommé Gabriel se lança en avant, évitant tous les gardes déjà en prise avec les autres membres de l’église. Il fit tourner ses armes vers le seigneur qui s’était levé en gestes précipités. Eris se jeta devant lui pour le protéger, coupant la respiration de Mélinoé qui n’eut pas la force de crier.

« Pas toucher à la petite ? Gah, ouais, pas toucher à la petite ! s’intima néanmoins l’assassin avec colère. Bouge de là ! »

Il n’eut pas trop de mal à la pousser d’un coup de pied. Il envoya alors sa lame incurvée contre Héronn qui l’esquiva en tombant sur les fesses. Ce fut de fait l’autre qui se planta dans son ventre. Le seigneur poussa un gémissement de douleur en tenant la lame, avant de réitérer quand il fut hissé au-dessus du sol par la lame.

« Bah ah ah ah ! Il est tout léger ! Mais il est pas mort !! M’sieur Ambre, désolé, je m’en occupe tout de suite !!

— Nous ne sommes pas à une seconde près », le rassura celui-ci.

Gabriel retira sa lame et dans une frénésie, secoua ses mains contre Héronn. Il le coupa de part en part à une vitesse phénoménale en riant ; si vite que ses deux mains se confondaient dans l’air en un joli mirage. Le sang céruléen du seigneur recouvrit sa robe, son masque, ses lames, et ce fut rien de moins qu’un morceau de viande lardé de coup de couteau aléatoire qui s’effondra sur le sol.

« J’ai fini !! »

Il bondit sur la table, et d’un autre saut, revint auprès d’Ambre.

« Très bon travail, Gabriel. Maintenant, je vais en profiter pour poursuivre un peu votre entraînement. Je considère qu’on ne progresse jamais mieux qu’en conditions réelles. Sans Amaryllis, vous allez devoir m’éliminer tous ces gardes.

— Entendu !! »

Ce Gabriel était assurément le plus doué dans son domaine. Tous usaient de leur arme avec gaucherie, mouvements lents et positions hasardeuses ; aucun ne faisait exception à cela. À dire vrai, celui aux longs cheveux ne lui donnait pas l’impression d’être un guerrier professionnel, mais sa folie suppléait son talent.

Se détournant du massacre qui s’opérait dans la salle, Mélinoé retourna lentement à la contemplation de celui qui gisait au sol sans forme distincte. Complètement défiguré, c’était son père, qui était censé se trouver là.

Elle se rendit compte que la bataille était finie quand le silence commença à se faire si pesant que les bruits de pas d’Ambre se firent entendre. Tournant doucement le visage, elle fixa le garçon qui approchait tranquillement. Il ne chercha pas à lui rendre son regard.

« Eh bien, Plume, je vais devoir dire quelque chose d’un peu… décevant. J’avais compté te garder en vie, mais pendant le combat, j’ai cogité. “Plume n’est pas des plus manipulables ! Il serait dangereux, comme allié.”, donc je devrais…

— Non ! coupa-t-il en levant mains en l’air. Je laisse ma place à Seren.

— Pardon !? » s’écria ce dernier. Il alla jusqu’à reculer d’un pas, se frottant les mains avec une grimace d’intense effroi ; plus encore qu’en voyant père. Peut-être était-ce l’addition des deux…

« Ouais, confirma le grand frère en penchant la tête sur le côté et en fermant les yeux. J’veux pas être mêlé à ce bourbier. Seren, tu seras seigneur de Point-du-Soir, et moi, simplement ton stratège de guerre comme j’aime le faire avec le père.

— Non… », fit l’enfant.

Il n’avait visiblement rien de plus pertinent à dire, contrairement à sa grande sœur qui se pencha légèrement en avant. Sa tête lui tournait tant qu’elle serait tombée, sans la table pour la rattraper. Mais elle ne pouvait garder le silence. Pas une seule seconde de plus.

« C’est moi qui suis derrière toi, Plume. Pourquoi choisir Seren ? Même mère peut s’occuper du royaume !

— C’est juste, mais si Seren veut ne pas se mettre Ambre à dos… Il va falloir trouver un autre rôle aux femmes de la famille que dirigeantes, tu vois », lâcha-t-il d’un rire cynique.

Elle se tourna vers Ambre, dans l’espoir de peut-être obtenir de lui un dernier éclair de sa bonté habituelle. Juste un mot de circonstance pour la rassurer et lui promettre que jamais il ne laisserait sa famille abuser de sa position de femme pour fomenter alliances et ronds de jambe.

Il secoua la tête, dressant son index.

« Peu importe. Tu restes dangereux, peu importe où tu te trouves…

— Je… rachète ma vie ! avança Plume en dressant lui index et majeur collés ensemble. Ana m’a filé un échantillon de ce qu’elle a volé aux sans-corps. Un quartz empreint d’une maladie.

— Celui de la fontaine qu’on a découvert, Mélinoé et moi, inféra-t-il en plissant les yeux. Le fameux “courant de pensée”. »

Quelques secondes de battements tombèrent dans la pièce, et soudain, Ambre claqua des doigts pour pointer le plafond avec une pause extravagante. « Voilà qui est sage ! s’exclama-t-il avec un fier sérieux sur le visage. Plume, utilité reconnue, je te garde en vie, ne me déçois pas. D’autnat que tu seras utile, pour parler à Anastasia. Seren, je te fais confiance pour bien assurer ton nouveau rôle. Je veux pouvoir te compter parmi mes amis, compris ? »

En dépit de la douceur du ton, l’adolescent n’eut pas la force de répondre, pas même par un hochement de tête. Ambre ne s’en formalisa que nullement.

« Bien, petite troupe, vous avez été parfaits, aujourd’hui ! Nous rentrons ! Qui a faim ? Je peux vous faire découvrir les spécialités de Point-du-Soir ! Certaines valent amplement le détour.

— Hooo… Y a même des spécialités à base de cadavre pour Kris ou quoi ? Bah ha ha ha !!

— Ferme ta gueule, toi !

— Kris, je te prierai de tenir ton langage.

— Laisse jeunesse se faire, Alex. »

Lorsque chaque robe s’en fut allée, l’un des membres eut l’élégance de leur offrir une révérence avant de clore les deux battants de la grande salle. Les portes claquèrent, et la troupe d’Ambre abaissait son chapeau à la fin de sa représentation.

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