Chapitre 19

Par Mimi

 

À la grande déception de Bertille, ils n’avaient pas lancé une expédition le soir même. Jimmy, toujours aussi sceptique, avait mis en avant la probabilité que sa mère ne les laisse pas se balader seuls dans la ville à presque vingt-deux heures. Cela dit, la visite inopinée du fantôme avait eu pour mérite de convaincre en partie Isabeau qu’il se passait quelque chose de louche, et de susciter un début d’intérêt chez Jimmy. Quant à Bertille, elle était à présent persuadée que la silhouette avait tout à voir avec la légende de Jehanne et Gustave.

Les filles avaient dormi plusieurs fois chez Jimmy pendant les vacances. Pour le convaincre, elles avaient imaginé un certain nombre de plans pour coincer le fantôme, mais n’avaient pu les mettre à exécution étant donné que Jehanne ne s’était pas montrée. Les quantités de pluie qui s’étaient abattues sur la ville pendant les deux semaines de congés les avaient également dissuadés, tout comme elles avaient probablement dissuadé le fantôme.

Bertille ne cessait pourtant d’y penser. Il y avait forcément une explication à cette apparition, des centaines d’années après. La réincarnation de Gustave ? La profanation de sa tombe ? Bertille envisageait des tas de possibilités, mais elle était sûre d’une chose : Jehanne était bel et bien de retour.

Et maintenant, elle s’ennuyait ferme en cours d’allemand. Isabeau avait raison : apprendre un texte dans une langue étrangère, ça prenait sacrément longtemps, d’autant que ses camarades n’avaient pas les mêmes facilités qu’elle. Elles avaient passé les vacances à répéter leurs pièces de théâtre respectives, en anglais pour Isabeau et en allemand pour Bertille, lorsqu’elles n’étaient pas en surveillance de fantôme chez Jimmy.

Le menton posé sur ses mains jointes, elle observait les autres gesticuler sur l’estrade, tentant tant bien que mal de retranscrire correctement le texte des frères Grimm. Bertille, qui remplissait à la fois le rôle du conteur et de la traductrice, n’intervenait que de temps en temps. Elle se redressait alors et récitait parfaitement son texte du premier coup, s’attirant les louanges de Frau Kamelsberg.

Tante Jo avait travaillé d’arrache-pied pendant les vacances. Elle avait confectionné tous les déguisements pour la pièce de théâtre en trois langues. Bertille trouvait dommage que la répétition en costumes donnait l’impression que ses camarades, empêtrés dans leurs mètres de tissu, revenaient du carnaval tant ils ne prenaient pas la chose au sérieux.

D’après Isabeau, tout se passait de façon exactement similaire en classe d’anglais. C’est en tout cas ce que lui confirma sa mine renfrognée, lorsqu’elle la rejoignit dans la cour de récréation.

-        Ils sont tellement stupides ! s’exclama Isabeau en shootant de dépit dans un caillou.

-        Ils ne veulent pas apprendre leur texte ? s’étonna Bertille. Pourtant, vous êtes beaucoup plus nombreux que nous, s’il y en a qui ne veulent pas participer, ça n’est pas très gênant.

-        Le problème, c’est qu’il y en a trop qui ne veulent pas se mouiller, grogna Isabeau.

-        Ils n’ont pas changé d’avis en voyant les costumes de Tante Jo ?

-        Non ! se lamenta Isabeau. Même ça, ils en sont incapables. Pauvre Tante Jo qui a passé des heures dessus…

-        Attends, on a encore le temps de trouver une solution pour la fête de l’école…

Pour la première fois depuis un bout de temps, Bertille réfléchit à autre chose qu’à un plan concernant l’énigme du fantôme de Jehanne. Son regard tomba sur des filles de la classe d’Isabeau, affairées autour d’un poste de radio par lequel sortait une chanson à la mode. Les filles se déhanchaient en rythme, préparant probablement leur chorégraphie pour la fête de l’école.

-        Et si on transformait ça en comédie musicale ? Tout le monde serait peut-être partant. Enfin, je pense surtout aux filles de ta classe, proposa Bertille en les désignant.

Le sourire éclatant que lui renvoya Isabeau lui donna l’impression d’être un génie.

-        Mais oui ! C’est pile ce qu’il nous faut ! Si on arrive à intercaler des musiques qui leur plaisent…

Isabeau se lança alors dans un monologue des plus enthousiastes. L’idée de Bertille semblait l’avoir complètement guérie de son agacement. Bertille n’osa pas l’interrompre. Elle avait bien envie de lui reparler du fantôme de Jehanne, mais elle sentait bien que ce n’était pas le moment.

 

Cependant, Isabeau n’avait pas non plus oublié l’épisode de la barque glissant sur le lac, transportant à son bord la pâle silhouette spectrale. Quelques jours plus tard, elle exposa à Bertille ses intentions de percer le mystère.

Elle se racla la gorge de façon théâtrale, pour signifier à Bertille de lever le nez de son livre sur les papillons.

-        Tout est prévu, déclara-t-elle. J’ai tout organisé avec Jimmy.

Et tout ça sans me prévenir ni me proposer, songea Bertille, contrariée d’être toujours mise à l’écart.

Isabeau haussa un sourcil en voyant sa moue chagrinée. Elle ajusta sa position assise sur les coussins du cagibi, et glissa ses cheveux derrière ses oreilles pour mieux préparer ce qu’elle avait à dire.

-        Samedi après-midi, on dit à ma tante et à ton père qu’on va chez Jimmy, débita-t-elle sur un ton de confidence, en se penchant légèrement vers Bertille.  

-        Jusque là, rien de nouveau…, commença Bertille, déçue.

-        Attends ! ronchonna Isabeau en levant les yeux au ciel. En fait, on ne sera pas chez Jimmy. On sera dans le parc de la mairie. Pour repérer.

Bertille ouvrit de grands yeux ronds.

-        Sérieusement ? s’exclama-t-elle.

-        Oui.

-        On va rester dans le parc la nuit ? s’étrangla Bertille.

-        Chut ! tempéra Isabeau en lui faisant signe de baisser la voix.

Elle regarda frénétiquement autour d’elle, comme si elle craignait de voir Tante Jo ou le père de Bertille renverser une cloison du cagibi et contrecarrer leur plan.

-        Pas question d’y rester la nuit ! Juste voir s’il y a des traces, si les douves sont toujours là et si le fantôme ne s’y cache pas pendant la journée.

Perplexe, Bertille cligna des paupières plusieurs fois de suite.

-        Continue, l’encouragea-t-elle avec méfiance.

-        On va se planquer chez Jimmy jusqu’à la tombée de la nuit. Et on attend.

Bertille la fixa, interdite. Elle ne voyait pas trop où Isabeau voulait en venir.

-        Pourquoi faire ? On a déjà vu le fantôme. Ça nous servirait à quoi de le voir une deuxième fois ?

Isabeau se tordit les mains. Elle semblait hésiter à poursuivre, comme si elle avait honte.

-        On s’est dit que…peut-être…on irait voir d’un peu plus près si le fantôme se montrait…

-        Tu es malade ! s’écria Bertille, mi horrifiée, mi fascinée. Je connais la mère de Jimmy, elle ne nous laissera jamais sortir la nuit !

Isabeau baissa les yeux. Bertille ne crut pas un instant qu’elle renonçait déjà à son idée. Elle-même avait très envie de voir le fantôme de plus près, mais elle devait aussi s’avouer avoir franchement la trouille.

 

 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Fannie
Posté le 23/02/2020
Une comédie musicale à la place de la pièce de théâtre ? Quelle bonne idée ! Mais ça va être difficile de trouver des chansons qui correspondent ou quelqu’un qui en écrira, même s’il ne s’agit que de détourner les paroles.
Enfin, notre trio commence à élaborer des plans pour enquêter sur le fantôme. Pour le moment, ce ne sont que des balbutiements. D’ailleurs, je me demande pourquoi ils doivent y aller la nuit.
Coquilles et remarques :
Dans ce chapitre, j’ai l’impression que tu as distribué les verbes d’incise dans le seul but d’éviter les répétitions, mais je trouve que la plupart ne sont pas adéquats. Les plus simples ne figurent pas une seule fois. Je vais te proposer des solutions de rechange dans mon relevé.
— ils n’avaient pas lancé une expédition le soir même [pas lancé d’expédition]
— pendant les deux semaines de congés [de congé]
— tentant tant bien que mal de retranscrire [essayant, s’efforçant ; « tentant tant » sonne particulièrement mal]
— Bertille trouvait dommage que la répétition en costumes donnait l’impression [donne ou donnât ; il faut un subjonctif]
— s’exclama Isabeau en shootant de dépit dans un caillou [Comme il y a déjà « s’exclama » plus loin, je propose « fulmina Isabeau », « pesta Isabeau » ou « proféra Isabeau ». / On peut éviter l’anglicisme : « en donnant un coup de pied de dépit dans un caillou » ou « en bottant un caillou de dépit ».]
— Ils ne veulent pas apprendre leur texte ? s’étonna Bertille. [S’étonner est un peu limite comme verbe d’incise ; « demanda Bertille, surprise ».]
— Non ! se lamenta Isabeau. Même ça, ils en sont incapables. [Je propose « déplora Isabeau ».]
— Et tout ça sans me prévenir ni me proposer, songea Bertille [« ni me proposer » me laisse dubitative ; je propose « ni me demander mon avis »]
— Elle ajusta sa position assise sur les coussins du cagibi, et glissa ses cheveux derrière ses oreilles [pas de virgule avant « et »]
— débita-t-elle sur un ton de confidence [Pour que le verbe « débiter » ait vraiment un sens, il faudrait une réplique plus longue ; je propose « commença-t-elle ».]
— Jusque là, rien de nouveau…, commença Bertille, déçue [Jusque-là / Elle ne commence pas, puisqu’elle ne dit rien de plus ; je propose simplement « fit Bertille, déçue ».]
— Attends ! ronchonna Isabeau en levant les yeux au ciel. [Elle ne ronchonne pas ; je propose « répliqua Isabeau ».]
— On va rester dans le parc la nuit ? s’étrangla Bertille. [Quelle émotion est censé exprimer le verbe « s’étrangla » ? Ce n’est pas un verbe de parole, ni un verbe qui suggère l’idée de parole : je propose « insista Bertille » (avec un adjectif ou un adverbe pour qualifier son expression, le ton de sa voix) ; on peut dire qu’elle insiste parce qu’elle a déjà demandé si c’était sérieux.]
— Chut ! tempéra Isabeau en lui faisant signe de baisser la voix. [Je propose « ordonna Isabeau » ou « souffla Isabeau ».]
— Continue, l’encouragea-t-elle avec méfiance [Encourager avec méfiance, c’est plutôt contradictoire, non ? Je propose « fit-elle avec méfiance ».]
— Pourquoi faire ? On a déjà vu le fantôme. [Pour quoi ; en deux mots]
— s’écria Bertille, mi horrifiée, mi fascinée [mi-horrifiée, mi-fascinée]
— mais elle devait aussi s’avouer avoir franchement la trouille [Je dirais « s’avouer qu’elle avait franchement (ou vraiment) peur » pour ne pas basculer subitement dans le registre familier.]
Mimi
Posté le 05/03/2020
La nuit ça fait plus peur !!! Sans doute est-ce aussi un jeu pour eux.
Merci !
Vous lisez