Sam et Roxanne n’habitaient pas dans le même quartier, et cette dernière partit donc seule de son côté. La nuit était douce. La grosse chaleur de la journée avait été chassée par un vent frais, au plus grand bonheur de Roxanne. Cette dernière décida de rentrer à pied et de profiter d’un petit moment seule à marcher en ville. Elle n’en avait pas pour très longtemps. En à peine quinze minutes, et elle arriverait chez elle. Elle en profita pour flâner un peu dans le centre-ville, et regarder les vitrines éteintes des magasins. Elle ne croisa pas beaucoup de monde dans les rues, et c’était d’autant plus agréable.
La jeune femme fut néanmoins soudainement ramenée à la réalité quand quelqu’un l’accosta en lui tirant le bras. C’était un homme de grande taille, assez trapu, et à en croire son haleine, plutôt éméché. Roxanne fit quelques pas en arrière, de manière à essayer de se dégager de son étreinte, mais l’homme lui tenait le bas fermement. Il la regarda droit dans les yeux avant de lui donner un prospectus et de lui crier des phrases incompréhensibles. Enfin, il finit par la lâcher et s’en alla comme si de rien n’était. Roxanne souffla un grand coup de soulagement, et continua d’avancer pour s’éloigner de l’homme. Elle jeta un coup d’œil au feuillet qu’elle tenait en main.
« Votez Freeman pour une société viable et en sécurité ».
Elle leva un sourcil. C’était le slogan de campagne d’un des deux derniers candidats aux présentielles. Sous la phrase d’accroche, la photo d’un homme blanc aux traits carrés, aux cheveux bruns et à l’air digne. Il croisait les bras pour se donner une contenance, et affichait un sourire poli. Cette photo inspirait la confiance. Elle tourna le prospectus pour voir ce qu’il était écrit derrière. C’était la liste de ses projets s’il était élu. Roxanne n’eut pas besoin de les lire. Elle les connaissait déjà par cœur. Cela faisait des mois que Freeman rabâchait les mêmes discours, et faisait des apparitions multiples partout où on pouvait s’attendre à le voir. Du fait de son grand nombre de partisans, c’était le candidat favori des élections, au grand dam de Roxanne, qui ne voyait en lui qu’un extrémiste. L’homme qui lui avait donné le papier devait être un de ceux qui voyait en lui celui qui allait sauver leur société. Roxanne roula le papier en boule, et le jeta dans la poubelle la plus proche. Pour elle c’était sûr, cet homme n’apporterait rien de bon au pays.
Elle arriva enfin devant la maison qu’elle occupait avec ses parents. Elle sortit la clé de sa poche et rentra à l’intérieur. La lumière du salon était encore allumée, signe que ses parents n’étaient pas encore couchés. C’était plutôt rare qu’ils soient encore debout à cette heure. Ils avaient dû l’attendre. Après s’être déchaussée, Roxanne alla leur dire bonsoir. Sa mère regardait une émission à la télé, et son père était confortablement assis dans un fauteuil pour lire un livre, comme à son habitude.
« Tu rentres tard ce soir ma chérie, constata sa mère. Tu étais chez Iris ? Tu lui as souhaité un bon anniversaire de notre part j’espère ?
-Tu sais bien que oui maman. Elle est contente, elle a été prise à l’hôpital ici.
-C’est bien pour elle, affirma son père. Ses parents doivent être fiers d’elle. »
Les parents de Roxanne avaient énormément d’affection pour Iris, qu’ils avaient vu grandir en même temps que leur fille. Avec un seul enfant, comme tous les couples du pays, ils la considéraient presque comme leur deuxième fille. Depuis petite, elle passait tellement de temps à la maison avec eux. Le fait de ne pouvoir avoir qu’un enfant n’avait cependant jamais semblé peiner les parents de Roxanne. Son père, Ed, qui travaillait aux services du Contrôle, n’aurait de toutes façons jamais osé remettre en question les décisions du Gouvernement. Alors, s’ils avaient jugé bon de mettre en place un contrôle des natalités pour pallier la grandissante surpopulation, c’était la bonne décision. Et quand plus tard, la politique de l’enfant unique avait été imposée aux familles, Ed avait défendu cette décision à tous ses détracteurs. Quant à la mère de Roxanne, Sarah, elle n’avait jamais semblé en souffrir non plus. Comme elle le disait elle-même, c’est déjà assez compliqué de s’occuper correctement d’un enfant, alors pourquoi se compliquer les choses en en ayant deux ! Et puis du fait de son métier d’institutrice, elle était entourée d’enfants au quotidien, cela lui suffisait amplement. Sa mère adorait son métier plus que tout. Elle ramenait constamment des dessins que ses élèves lui avaient offert, et elle les accrochait un peu partout dans la maison. Quand elle était enfant, Roxanne avait été un peu jalouse de l’attention que donnait sa mère à d’autres enfants, mais cela lui était rapidement passé.
Elle s’assit sur le canapé à côté de sa mère, et jeta un coup d’œil à la télévision. C’était un débat entre plusieurs journalistes. Ils abordaient le sujet des élections à venir encore et encore. Roxanne détourna la tête, et souhaita bonne nuit à ses parents, avant de monter dans sa chambre. Elle s’y débarrassa vivement de ses affaires avant de jeter sur un lit, éreintée par sa journée.
La jeune femme fut réveillée par le soleil qui traversait ses rideaux, et par le bruit de ses parents qui s’affairaient au rez-de-chaussée. Roxanne se leva, et descendit prendre son petit-déjeuner. Son père était attablé, en train de regarder les infos et en mangeant une tartine de confiture.
« Bien dormi ? lui demanda-t-il. »
Elle lui répondit d’un signe de tête, avant de se préparer un bol de céréales. Le bruit de la télé dès le matin l’agaçait plus qu’autre chose. Elle avait besoin de calme quand elle se réveillait. Et certainement pas du bruit des pubs.
« Je dois aller travailler ce matin, je rentrerais ce soir.
-Un samedi ? Comment ça se fait ?
-Il y a eu du grabuge cette nuit dans le centre-ville. Des partisans de Freeman ont tagué des murs entiers des immeubles du quartier. Evidemment, les habitants ont appelé la police, et les tagueurs ont pris la fuite.
-Vous les avez retrouvés ?
-Non, pas encore, c’est pour ça que je dois y aller. On me demande d’assister le chef de la police à préparer son discours. Il doit s’exprimer à la télé ce soir. Je dois vérifier qu’il ne dise rien à l’encontre de Freeman. On ne veut pas de discours biaisé avant demain, tu vois ce que je veux dire.
- De toutes façons, les gens qui soutiennent Freeman sont des dégénérés, déclara Roxanne. C’est pas la première fois qu’un truc comme ça se passe. Déjà la semaine dernière ils avaient essayé d’empêcher de discours de Wellard, quand elle était venue en ville.
- Tu fais des généralités, la repris son père. Ils ne sont pas tous comme ça. Et certaines de ses idées ne sont pas si mal que ça.
- J’aimerais bien savoir lesquelles. »
Roxanne détestait le candidat depuis qu’elle avait vu son discours télévisé il y a quelques semaines. Son sourire qui ne le quittait jamais lui semblait faux. L’homme savait qu’il était charismatique, et il utilisait son aura pour gagner les voix de ses électeurs. Cela avait l’air si facile pour lui. C’était comme si son magnétisme rare effaçait le caractère extrême de ses discours, comme si son auditoire ne faisait même pas attention à ce qu’il pouvait bien raconter. On voulait croire à tout ce qu’il disait sans vraiment écouter. Pourtant, Roxanne ne croyait pas à son cinéma de candidat modèle. Elle voyait bien qu’il essayait de tromper tout le monde derrière son apparence d’homme de confiance. Elle priait pour que les gens ouvrent les yeux, et rapidement.
Son père soupira bruyamment avant de mettre son couteau sale dans l’évier.
« Je te vois ce soir »
Il quitta la pièce, et laissa Roxanne seule face à la télé. Les élections avaient lieu demain, et elle espérait de tout cœur que Wellard gagne. La candidate n’était peut-être pas la plus captivante et envoûtante du monde, mais au moins, elle n’avait pas l’air de cacher quelque chose. Enfin, de ce que Roxanne en savait.
***
Roxanne marchait dans la rue, se rendant dans un petit resto-bar du coin, où elle devait rejoindre Iris et Sam pour déjeuner. Le temps était clair, il faisait toujours aussi chaud, mais une brise légère venait soulever les pans de la robe de la jeune femme. L’ambiance en ville était électrique, et Roxanne pouvait sentir une excitation dans l’air. Elle-même était plutôt fébrile. Enfin, le jour des élections étaient arrivées. Sa mère était partie voter dès la première heure, et son père était parti tôt ce matin pour endosser ses responsabilités au sein du service du Contrôle. La veille, il avait mené une équipe en coopération avec le chef de la police, et avec succès. Les fauteurs de troubles avaient été arrêtés, et l’ordre semblait revenu.
Roxanne avait suivi tout ça de loin, plongée dans ses livres de cours et se préparant pour les derniers partiels de sa vie qui arrivaient rapidement. Mais aujourd’hui, elle s’octroyait une soirée de détente avec ses amis. Avant cela, elle était rapidement passée voter pour Wellard comme elle le prévoyait. Quand elle poussa la lourde porte du bar, ces deux amis étaient déjà arrivés.
« Coucou ! Tu t’es enfin décidée à sortir un peu de ta chambre ? La taquina gentiment Iris.
-Pas le choix, ma tête allait exploser si je ne prenais pas un peu l’air. »
Ils commandèrent tous les trois une assiette de tapas à se partager, accompagnée d’un brownie chacun. Sam, qui pour une fois, avait revêtu une tenue convenable, jouait avec la mousse de sa bière. Il regardait au loin la télé, posée derrière le comptoir, et dont le son se perdait dans la pièce bruyante. La pièce était remplie de clients de tous âges. Certains debout au bar à parler politique, bien que l’alcool ne favorisait pas les discours censés, et d’autres en famille ou entre amis, dégustant leur repas. Bien que petit, Le Coin De La Rue avait su se former une clientèle fidèle. La gérante, Anna, savait créer une ambiance conviviable qui plaisait à tous. Et comme en plus la nourriture y était délicieuse, le trio en avait rapidement fait son quartier général, quand ils ne pouvaient pas traîner chez l’un ou chez l’autre. Si Roxanne et Iris vivaient encore chez leurs parents, Sam avait pu prendre un petit appartement un peu excentré depuis qu’il travaillait. Ils ne s’y rendaient pas souvent, car l’unique pièce du studio était très encombrée par les affaires du jeune homme, ne laissant pas beaucoup d’espace pour trois personnes.
« Alors Iris, qu’est-ce qu’ils ont dit tes parents quand ils sont rentrés ce matin ? demanda Roxanne en se débarrassant de son sac.
-Qu’ils seraient bien restés à Rochedale. Apparemment, c’est plus calme là-bas qu’ici.
-Tu veux parler de ce qu’il s’est passé vendredi soir ? Intervint Sam, qui semblait d’un coup intéressé par la conversation. J’ai entendu que le centre-ville avait été saccagé par un groupe de quatre gars.
-Saccagés ouais, enfin, ils ont tagué les slogans de Freeman quoi. Mon père m’a dit qu’ils ont réussi à les choper avec la police. Ils doivent regretter leur coup maintenant.
-Tu parles, marmonna Sam, ça fait de la pub à Freeman gratos.
-Je ne suis pas sûre que ce soit de la bonne pub Sam, rajouta Iris. Ça fait plutôt passer ses électeurs pour des gros bourrins. Et lui aussi par la même occasion. »
Roxanne piqua un tapas de l’assiette, et regarda par la fenêtre, intriguée par un gros bruit. Dehors, un attroupement commençait à se former sur la place du Marché. Elle apercevait un homme, un peu à l’écart du groupe, que tout le monde regardait. Comme il était de dos, elle de profil, elle comprenait qu’il était en train de parler à la foule, mais elle n’entendait pas à un traitre mot de ce qu’il disait. Elle donna un coup de coude à Iris, qui regardait son téléphone à côté d’elle.
« Qu’est-ce qu’il y a ?
-Regarde, qu’est-ce qu’ils font dehors ?
-J’en sais rien, peu importe. Elle haussa les sourcils et roula des yeux en regardant Sam. »
L’homme commençait à s’agiter, faisant de grand signes et bras. Quand il leva le point en l’air, toute la foule le suivit dans un grand cri incompréhensible. Cette fois, Sam et Iris tournèrent la tête pour voir ce qu’il s’y passait, comme la plupart des clients de bar. Roxanne entendit la patronne marmonner au comptoir qu’elle ne voulait pas qu’on saccage sa devanture. A croire qu’elle savait parfaitement ce qui se tramait. La jeune femme se leva, suivie par ses deux amis, et se pencha vers la vitre pour essayer de voir ce qu’il se passait.
« Venez, on va voir, proposa le garçon de la bande, qui était excité par tout ce qui sortait de l’ordinaire. »
Ils ouvrirent la porte, quand Anna les interpella de vive voix, les arrêtant brusquement.
« Attendez, il est 20h, je vais mettre la chaîne nationale pour voir le résultat des élections. »
Les trois jeunes échangèrent un regard, et se rassirent finalement, tout en gardant un œil sur l’attroupement qui ne faisait que grandir sur la place d’à côté. La gérante leur tourna le dos pour attraper la télécommande, et changea de chaine avant de monter le son. Tout le bar se tût, et la musique caractéristique des annonces officielles résonna dans toute la pièce. Seuls quelques chuchotements se faisaient entendre quand le compte à rebours démarra, surprenant tout le monde. Le nom du ou de la nouvelle présidente allait apparaître d’une seconde à l’autre.
Trois.
Deux.
Un
La photo de Freeman apparu sur l’écran, suivie d’un gros 52%. Et c’est là que la première explosion retentit.
Mais maintenant, j'ai peur des conséquences de cette élection...Enfin j'ai peur de plein de chose...J'ai peur, mais je suis excitée à l'idée d'en découvrir plus ^^ C'est vraiment bizarre