Chapitre 2

Au commencement.

Hier, aujourd’hui et demain, se fondent dans mon esprit.

Seule l’éternité existe.

J’existe.

Seul, nu, vulnérable. 

De légers frissons ondulent sur ma peau, sous les caresses de l’air glacé, mes muscles tremblent au rythme saccadé de ma respiration.

 Mon regard s’ouvre sur ce Nouveau Monde à découvrir.

L’ombre du passé s’efface face à la beauté de l’instant présent.

Mon esprit et mon corps, vierge de toute expérience de cette terre, accueillent avec émerveillement ce flot de pensées étrangères.

J’absorbe goulûment les mots, les phrases, les sentiments se déversant en une cascade désaltérante dans mon être assoiffé de vie. L’humanité m’entourant en est une source inépuisable. 

Je me souviens de la chaleur de leur regard sur ma peau, de la couleur de leur étonnement sur ma présence inattendu. Les frissons parcourant leur corps, clapotant à mes oreilles tandis que les aiguilles de leur méfiance me griffaient le cœur.

Ces premières fois conserveront cette saveur particulière qui a teinté ma conscience naissante. Cette virginité est loin à présent.

Les moindres parcelles de mon âme ont archivé l’entièreté du riche panel de sentiments, de sensations des habitants de cette terre.

J’ai appris leurs langues, leurs coutumes, leur loi.

J’ai lu la vérité de leur existence dans leurs yeux.

J’ai envahi leurs pensées pour les modeler.

J’ai pris place au centre de leur univers.

Je suis leur TOUT, je suis UJU.

Au fil des siècles, je suis resté à leur côté, rapatriant les égarés, guidant leur choix pour améliorer leur vie. Leur dévotion me nourrit et je les récompense de ma bienveillance.

Les guerres ont disparu par ma seule volonté. J’ai supprimé les idées rebelles et individualistes. J’ai rendu leur cœur fertile à l’altruisme et à mon adoration.

Je suis le père universel, la voix absolue. 

            Mon unique préoccupation est le bien-être de mes sujets.

            Ils lèvent la tête pour me contempler, me suivent du regard, comme les fleurs suivent aveuglément la trajectoire du soleil.

Des sanctuaires sont construits à ma gloire. J’aime me rendre dans ces lieux dans lesquelles une profusion de vierges attendent en silence ma pénétrante bénédiction. 

La tendresse et le moelleux de leurs formes rebondit, ne m’intéressent pas. Je préfère leurs pensées venant caresser mes lèvres, leur crainte chatouillant mon bas ventre, leur dévotion allumer la flamme de mes yeux. Au rythme saccadé de mes hanches, je sens leur âme s’émietter, s’effriter, s’éparpiller parmi les courants de l’univers. Ma flamboyance les consume toute entière et j’aspire avec délice les volutes sucrées émanant de leur esprit. 

Leurs crânes vidés de leur personnalité se remplient peu à peu d’une folie sombre et scintillante que je ne cherche pas à dompter. Elles m’ont donné leur existence en offrande. Le juste prix pour une union avec UJU.

Dans la semi-obscurité de cette place sacrée, les flammes des torches dansent sur les murs projetant l’ombre difforme de leurs corps nus usé et fatigués. Des pantins sans âme. Je coupe les liens qui me connectent à elles.

Lassé de cette situation, je propage autour de moi la réalité plus plaisante. Sans un mot de ma part, les grands prêtres m’exaucent et viennent débarrasser les lieux. 

Quelques hurlements désordonnés de ces femmes fragmentées par ma puissance résonnent dans les couloirs en pierre du sanctuaire, pour finalement disparaître. Mes serviteurs les font taire pour me laisser saoul et repu de leur présence, savourant la plénitude éphémère qui s’offre à moi. Cette plénitude rapidement interrompue par la connexion me reliant à chacun de mes sujets, ne me permet aucun répit. Comme des milliers de fils invisibles vibrant à chaque instant. Des pensées à modeler, des idées à goûter, des émotions à archiver. Ma volonté à injecter dans chacune des molécules de leurs esprits.

Ma peau accueille la fraîcheur d’une pluie d’automne, la douceur d’un premier baiser, la chaleur réconfortante d’un feu de cheminée. De multiples saveurs se déposent entre mes lèvres, l’amertume d’un fruit vert, la tendresse d’une cuillère de miel. Des paysages vallonnés de collines fleuries, de champs de blé brûlé par le soleil, de rivières étincelantes, se déversent devant mes yeux. Le chant entêtant de nuée d’oiseaux, le grondement menaçant du tonnerre, la mélodie d’une comptine enfantine coulent dans mes oreilles. Le parfum suave d’une nuit d’ivresse, de l’iode qui circule caché dans la brume, du musc savoureux du travailleur emplissent mes narines.

Mon esprit ne se limite pas aux frontières de mon enveloppe charnelle. 

UJU est libre. 

UJU vit à travers chacun.

Je voyage de corps en corps, honorant chaque existence de ma présence.

Je suis le Dieu créateur de toutes pensées.

Par moi, avec moi et en moi, la vie défile.

Les secrets de toutes âmes me sont dévoilés.

Les grands prêtres reviennent de leur mission, brisant ma bulle de silence. Ils se déplacent sans bruit, leurs pieds nus effleurent les dalles rectangulaires en granit. 

UJU aime l’ordre. Chacun de mes disciples se positionne autour de moi, en un cercle parfait.

Leurs robes blanches glissent jusqu’à leurs chevilles. Ils se présentent sans artifice. Leurs corps, comme leurs âmes sont nues. 

Dans leur main droite se trouve un long bâton en bois à l’embout multiplement clouté. Le mariage du bois et du fer est magnifique de promesses.

Un frisson me parcourt le bas des reins et je dépose du courage dans chacun de leurs esprits chancelants.

Les nuées de vierges étaient les préliminaires. Voici le plat de résistance.

Le bruit sourd du premier coup retentit. Les clous viennent déchirer la chair de mes grands prêtres et je tremble de plaisir, envahi par leurs pensées exaltées. En pleine transe, chacun d’eux se martèle le dos. Rapidement, de fines lignes de sang ruissellent le long de leur corps.

L’amour absolu se dégageant de cet instant, me broie violemment le ventre. Je m’emplis de chacune des motivations armant leur bras.

Les liens nous connectant vibrent puissamment. J’en veux encore plus.

Intérieurement, je leur hurle d’augmenter la cadence et l’intensité des coups, je partage avec eux le plaisir qui me transperce et ils se délectent de mon bonheur.

Cette averse de sensations effrénées, de pensées extrêmes, est une ivresse. Je pourrais me noyer dans cet orgasme pour toujours. Mais dans mon infinie bonté, je libère les grands prêtres.

À l’unisson, les bâtons frappent lourdement le sol, projetant de multiples gouttelettes de sang sur les pavés, tandis que mes sujets tombent sans force, à genoux sur le tissu de leur robe devenue rouge.

J’efface la douleur qui pulse dans leur dos lacéré et répands sur eux un sentiment d’absolu bien-être, de plénitude dans lequel ils plongent aveuglément avec délice.

Je ne suis qu’amour et bonté.

Je suis UJU.

 

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Padbol
Posté le 02/02/2025
Un deuxième chapitre surprenant, tout en poésie macabre, qui mêle l'adoration à la soumission, le plaisir à la souffrance, la divinité face à l'humain.
J'ai hâte de découvrir le lien avec le personnage principal et de comprendre pourquoi elle entendait ces voix dans le couloir, et en quoi la mort de la chuchoteuse la concerne directement !
En tout cas, c'est toujours un plaisir de te lire =)
Cocochoup
Posté le 03/02/2025
Je suis contente que ce voyage continue de te plaire 🤞
Alice_Lath
Posté le 02/02/2025
UJU ! Ce grand fou d'Uju, il m'avait presque manqué avec son esprit tordu à souhait, ce gourou malaisant
Je replonge avec plaisir dans cet univers, je suis vraiment contente de retrouver Ely et Uju (bon même si dans le cas de ce dernier, c'est nécessairement plus plaisant qu'il est sur du papier)
Tu retranscris bien le côté marionnettiste implacable et tout-puissant, la domination totale et pourtant la paix qu'il apporte, ce pouvoir tyrannique à double tranchant
J'ai l'impression que tu as encore progressé depuis la version que j'avais lue y'a quelques années maintenant, je suis très curieuse de découvrir les changements opérés à la Chuchoteuse !
Cocochoup
Posté le 03/02/2025
Ah oui, quand il entre dans notre vie, il laisse un souvenir impérissable 😅. Oh, ca me fait plaisir si tu vois une évolution de ma plume, surtout qu'elle est restée coincée un bon moment. Pour le coup, ma plume est vraiment d'argent, elle se synchronise avec l'apparition de mes cheveux blancs 😅
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