Chapitre 22

Par Mimi

-        Dimanche, quinze heures. Je passe te chercher.

Bertille se concentra quelques secondes pour se souvenir de quoi Isabeau parlait.

-        Ah ! Oui, bien sûr, l’opération fouilles archéologiques ! répondit-elle d’un air enjoué.

L’arbre d’Isabeau et Harold avait occulté pour un temps le fantôme de Jehanne. Bertille avait hâte de commencer ces recherches. Après tout, les racines cachaient peut-être des secrets, même ceux déposés par celui qui avait récemment restauré la clé gravée dans le bois.

C’était mercredi et les deux filles trimbalaient leur panier vers le supermarché, faire des courses pour Tante Jo.

-        Pourquoi pas samedi ? demanda Bertille. Le dimanche, papa aime bien que je fasse mes devoirs, bougonna-t-elle.

-        C’est la faute de Jimmy, il joue au foot avec ses copains samedi après-midi. Pour tes devoirs, fais en sorte de les avoir fini samedi soir. Ton père va trouver ça bizarre, mais bon.

Bertille se demandait ce que dirait son père si elle lui parlait de ces légendes. Probablement la même chose que lorsqu’elle lisait les abécédaires de sa mère et les autres livres chapardés dans la bibliothèque de l’école : qu’elle avait tort de lire des histoires qui n’étaient plus de son âge et de croire qu’elles étaient vraies. Dire que lui-même les racontait en classe…

Pour penser à autre chose, Bertille demanda à Isabeau si les répétitions pour le spectacle de fin d’année avançaient.

-        Oh oui ! se réjouit Isabeau. Tout le monde trouve ça super. Du coup, on s’est mis aux chorégraphies et ils prennent ça beaucoup plus au sérieux qu’avant. Et vous, en allemand ?

-        Oh, ça se passe bien, éluda Bertille, qui n’avait pas très envie de parler de la mémoire défaillante et de l’accent déplorable de ses camarades.

 

-        Vous savez les filles, c’est une sacrée épine que vous m’enlevez du pied ! s’exclama Tante Jo en récupérant leur panier rempli de victuailles.

-        Oh, c’est bien naturel, répondit Bertille, un peu gênée. Avec tout le mal que vous vous êtes donné pour ces costumes, alors que vous avez tant de travail…

Tante Jo éclata de rire. Bertille se sentit encore plus mal à l’aise. Il y avait décidément quelque chose qui lui échappait avec les adultes. Pourquoi riaient-ils toujours lorsqu’elle essayait de dire des choses gentilles et compréhensives ?

Elle observa Tante Jo s’esclaffer. Elle avait l’impression de redécouvrir son rire à chaque fois tant il était particulier. Il faut dire que la tante d’Isabeau était quelqu’un de singulier, une adulte pas comme les autres, à commencer par ce sac violet verni qui avait attiré son attention, la première fois qu’elle l’avait vue.

Tante Jo était une belle personne. Isabeau la regardait toujours avec une grande admiration, et chaque mot qu’elle prononçait en parlant de sa tante avait un goût de fierté.

-        Venez, je vais nous faire des milkshakes, lança ladite belle personne aux deux jeunes filles.

Elle se s’éloigna vers la cuisine d’une démarche légèrement sautillante. Isabeau fronça les sourcils et se pencha vers Bertille :

-        Elle a les joues un peu roses, tu ne trouves pas ? chuchota-t-elle.

-        Elle a toujours les joues roses…objecta Bertille.

-        Oui, c’est vrai, mais là, on dirait vraiment qu’elle a un truc de changé…

Bertille haussa les épaules et rejoignit Tante Jo, laissant Isabeau plantée au milieu du couloir avec ses drôles de réflexions plein la tête.

Elles finirent par se retrouver toutes les trois attablées dans la cuisine, autour de leurs verres vides, à se raconter des histoires drôles, lorsque la sonnette retentit dans le couloir. Sachant déjà qui se trouvait derrière la porte, Bertille se leva immédiatement après.

-        Ça doit être mon père, s’excusa-t-elle. Merci beaucoup pour le milkshake. Ne vous dérangez pas, je vais retourner à la porte toute seule… ajouta-t-elle en voyant Tante Jo se lever.

-        Je vais venir le saluer ! dit Tante Jo avec un sourire.

Isabeau plissa les yeux, visiblement suspicieuse.

Bertille récupéra son manteau sur la patère tandis que la maîtresse de maison déverrouillait l’entrée.

-        Bonjour madame, salua poliment M. Fauripré. Je crois savoir que ma fille est chez vous ?

Bertille apparut dans l’encadrement de la porte.

-        ‘soir P’pa, grommela-t-elle.

-        Elle ne vous a pas dérangée, j’espère ? Vous qui avez tant de tracas… demanda M. Fauripré en jetant à Bertille un œil sévère.

Bertille leva les yeux au ciel, tandis que Tante Jo expliquait que non, elle n’avait absolument pas été dérangeante, avant d’embrayer sur un autre sujet. Bertille resserra les pans de son manteau et se tourna vers la pénombre du couloir, où se tenait Isabeau. Bertille se recula de quelques pas pour se trouver à portée de ses mots :

-        On est partie pour quelques temps, je pense.

-        Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

-        Les joues roses.

-        Ah.

Bertille ne comprenait pas ce qu’Isabeau entendait par là. Plutôt que de passer pour une idiote, elle décida de changer de sujet. Celui-là la mettait apparemment en rogne.

-        Je ne suis pas sûre qu’on trouve quelque chose dimanche.

Isabeau détourna les yeux de Tante Jo qui leur tournait le dos. Elle avait le regard vide, mais elle répondit néanmoins :

-        Pourquoi ?

-        Quelqu’un est passé avant nous. C’est sûr.

Isabeau soupira.

-        Je suppose que tu as raison.

« Je suppose que tu as raison ». Mais qui parmi les enfants de dix ans disait ça ? Bertille se retint de rire. Après tout, elle était quand même bien contente de compter Isabeau parmi ses amis.

-        …et peut-être que d’autres personnes ont enterré de nouvelles choses ? suggéra Isabeau.

-        Mais peut-être que ces personnes n’ont pas envie que n’importe qui tombe dessus.

-        Si elles le voulaient vraiment, elles n’auraient pas dû enterrer leurs affaires là, répondit Isabeau du tac au tac. Il faut quand même mener l’enquête.

Bertille se détourna, reportant son attention vers les deux adultes sur le pas de la porte. Elle ne voulait pas se fâcher avec Isabeau. Alors elle ne dit rien. Elle ne comprenait vraiment pas d’où venait l’humeur massacrante d’Isabeau pour qu’elle s’énerve sur tous les sujets de conversation. Elle qui était d’habitude si calme et impassible…

Elle remercia intérieurement son père qui l’interpela à ce moment-là. Elle voulut se tourner vers son amie, mais il n’y avait plus personne. Isabeau était tellement en colère qu’elle était montée dans sa chambre sans lui dire au revoir.

 

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Fannie
Posté le 25/02/2020
La tante Jo aurait-elle un faible pour le directeur, par hasard ?  :-) En tout cas lui, s’il ressent quelque chose, il ne laisse rien paraître. Si ça énerve Isabeau et qu’elle dit que c’est parti pour quelque temps, ça signifie probablement que ça arrive plus ou moins régulièrement. Reste à savoir si Tante Jo s’entiche de quelqu’un sans forcément que ça donne quelque chose et qu’elle change de comportement le temps que ça dure ou si elle a des liaisons plus ou moins longues qui chamboulent la vie d’Isabeau.
En ce qui concerne le chêne, si la gravure ne date pas de l’époque de la légende, ça veut forcément dire que quelqu’un a devancé notre trio, ce qui va brouiller les pistes. Ça ressortait déjà du chapitre précédent.
Coquilles et remarques :
— C’était mercredi et les deux filles trimbalaient leur panier vers le supermarché, faire des courses pour Tante Jo [« envoyées faire des courses », ou « afin de faire des courses », peut-être ? En tout cas, il faut ajouter quelque chose.]
— fais en sorte de les avoir fini samedi soir [finis]
— Oh oui ! se réjouit Isabeau. [Comme se réjouir n’est pas un verbe de parole, ni un verbe qui évoque la parole, je propose : « fit Isabeau d’un air réjoui ». Comme il y a déjà « d’un air » un peu plus haut, je propose : « Ah ! Oui, bien sûr, l’opération fouilles archéologiques ! répondit-elle sur un ton enjoué. »]
— Vous savez les filles, c’est une sacrée épine [virgule avant « les filles »]
— Elle se s’éloigna vers la cuisine [Il y a un « se » en trop.]
— On est partie pour quelques temps, je pense [quelque temps ; ici, « quelque » veut dire « un certain » et pas « plusieurs » / j’écrirais « On est parti »]
— Celui-là la mettait apparemment en rogne [Ce mot familier tombe comme un cheveu sur la soupe ; je propose « en colère ».]
— son père qui l’interpela à ce moment-là [qui l’interpella ; on entend souvent « interpeler », mais ce verbe ne se conjugue pas comme « appeler » et il s’écrit « interpeller », sauf si tu appliques les rectifications orthographiques de 1990]
— Isabeau était tellement en colère qu’elle était montée [Comme j’ai proposé « en colère » un peu plus haut, je propose : Isabeau était tellement fâchée, contrariée ou hors d’elle.]
Mimi
Posté le 05/03/2020
J'ai peut-être été un peu gourmande sur l'entremêlement des histoires c'est vrai ;-) J'espère que ça ne te décevra pas par la suite…
Merci beaucoup !
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