Chapitre 23

Par Mimi

 

-        Alors, ce match de foot ? demanda Bertille sans conviction.

Jimmy, qui marchait devant, se retourna vers elle, étonné.

-        Tu t’intéresses au foot maintenant ?

Bertille fit signe que non. Elle voulait juste lancer la conversation. Isabeau enchaîna :

-        Tu joues à quel poste ?

-        Milieu, répondit Jimmy, trop heureux de parler de son sport favori. Mon poste consiste à récupérer le ballon et à faire la passe aux attaquants pour…

Bertille ne les écouta pas bavarder. Elle traîna un peu derrière eux, ses yeux se perdant dans l’eau noire clapotant sous le pont qu’ils étaient en train de traverser. Sa main glissait sur la rambarde. Elle voyait sans cesse le visage de Jehanne apparaître dans les nuages d’écumes qui apparaissaient au sommet des vaguelettes.

Elle était sûre qu’il y avait un problème. Elle se sentait trop petite pour le prouver. Personne ne la prenait au sérieux, pas même Isabeau ou Jimmy qui n’était pourtant pas beaucoup plus grand qu’elle…

Elle se cogna à Jimmy en arrivant au bas du pont. Lui et Isabeau s’étaient arrêtés pour l’attendre, sans pour autant renoncer à leur conversation. Bertille les contourna et se dirigea directement vers l’objet de leurs convoitises : l’arbre.

Elle en fit le tour plusieurs fois, scrutant les racines à la recherche d’un endroit plus facile à creuser. Les feuilles mortes de l’automne avaient disparu, soigneusement nettoyées par les employés municipaux.

Elle s’accroupit. La terre était fraîche et meuble, la pluie ininterrompue pendant les vacances avait joué en leur faveur. Satisfaite, Bertille se leva, ôta le sac à dos de son épaule et en sortit ses outils de jardinage.

Il n’y avait rien de très efficace, ces outils lui avaient été offerts pour ses cinq ans. Elle les avait conservés dans son cagibi, attendant le jour où son père lui aménagerait de petites jardinières aux fenêtres pour qu’elle puisse y faire pousser un mini-potager. Cependant, le matériel en plastique coloré n’avait jamais servi. Il y avait eu le déménagement, la nouvelle école…et la mort de la maman de Bertille, ce qui avait réduit à néant les espoirs de jardinet.

Ignorant la boue qui recouvrait le sol, Bertille y planta les genoux pour avoir un meilleur accès à la terre qui entourait les racines du vieux chêne. Elle eut vaguement conscience de l’arrivée de ses amis en entamant le travail, enfonçant son transplantoir dans la terre froide, bien décidée à ne pas leur rendre l’attention qu’ils n’avaient pas voulu lui accorder.

Sans rien dire de plus, Isabeau fouilla dans le sac et en sortit un petit râteau, qu’elle tendit à Jimmy. Elle se contenta du tamis avec lequel elle filtra la terre contenue dans le seau, que les deux autres remplissaient au fur et à mesure de leur recherche.

C’était un travail long et laborieux. Ils avaient de la terre plein les doigts et le froid et l’humidité perçaient à travers leurs vêtements. Malgré tout, aucun d’eux ne mentionna l’option de rentrer tant ils étaient concentrés sur leur tâche.

Au bout d’un moment, Isabeau rompit le silence :

-        Vous croyez qu’elle a enterré quoi ? Une bague ? Un testament ?

-        Qui ? Isabeau ?

-        Non, toi, idiot ! s’esclaffa Isabeau en balançant une poignée de terre sur Jimmy.

-        Ah non ! Si tu commences avec ça, ça va mal finir… menaça-t-il en saisissant à son tour une motte de terre.

Isabeau gloussa et se pencha en arrière en se protégeant le visage de ses mains. Bertille replongea la tête vers les racines, secouant la tête.

-        Je ne sais pas ce qu’elle a enterré, mais quoi que ce soit, j’espère que ce sera en bon état… répondit-elle, plus pour elle que pour les deux autres.

Elle fronçait les sourcils, n’y voyant plus grand chose. La nuit tombait lentement.

-        Je m’amuse bien avec vous, reprit Jimmy qui avait sagement reposé sa poignée de boue, mais je vous rappelle que je ne crois pas du tout à cette histoire, pas plus qu’à celle de Jehanne. Comme dit ma mère, ces légendes ont été inventées à un temps où les gens ne savaient pas expliquer les choses qui se passaient autour d’eux, et…

Une plainte longue et étouffée déchira le silence qui les enveloppait. Jimmy s’interrompit, laissant passer la lamentation, l’air inquiet.

-        Vous avez entendu… ?

Bertille se leva d’un bond, suivie de près par Isabeau.

Les deux filles scrutèrent les abords de l’île, aux aguets. La nuit ne faisait que commencer à tomber : la lumière se faisait plus bleutée, on voyait encore suffisamment les détails. Bertille se fit la réflexion stupide qu’il était peut-être temps de rentrer à la maison.

-        C’était elle, hein ? chuchota Isabeau à son oreille d’une voix tremblante.

Bertille détailla chaque parcelle de la surface du lac qui était dans son champ de vision. Elle ne voyait rien, elle n’entendait plus rien non plus, la plainte ne s’était pas renouvelée. Isabeau répéta ses mots, agrippant au passage la manche de la parka crotté de Bertille :

-        C’était le fantôme de Jehanne…

 

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Fannie
Posté le 25/02/2020
Est-ce que quelqu’un irait jusqu’à créer de faux indices et jouer le rôle du fantôme pour faire marcher les enfants ? Dans quel but et quel en serait l’intérêt ? Je ne pense pas que les enfants aient des hallucinations. Les fantômes existeraient-ils dans ton histoire ?
Ce que je craignais se confirme : dans le trio, Bertille est un peu à part. C’est elle qui a permis à Isabeau et Jimmy de se connaître et c’est elle qui est mise de côté. Ça me rappelle des expériences vécues…
Coquilles et remarques :
— Bertille ne les écouta pas bavarder. Elle traîna un peu derrière eux [Je mettrais les deux verbes à l’imparfait : « ne les écoutait pas » et « Elle traînait ».]
— elle filtra la terre contenue dans le seau, que les deux autres remplissaient [Je ne mettrais pas la virgule.]
— Ils avaient de la terre plein les doigts et le froid et l’humidité perçaient à travers leurs vêtements. [Pour éviter d’avoir deux fois « et », je propose de remplacer le premier (après « doigts ») par une virgule.]
— Non, toi, idiot ! s’esclaffa Isabeau en balançant une poignée [s’esclaffer n’est pas un verbe de parole, ni un verbe qui suggère la parole : je propose « s’écria Isabeau en s’esclaffant et en lançant ; « balancer » est familier]
— Bertille replongea la tête vers les racines, secouant la tête. [Pour éviter la répétition de « la tête », je propose « Bertille replongea les yeux (ou le regard) dans les racines ».]
— Elle fronçait les sourcils, n’y voyant plus grand chose [plus grand-chose]
— la manche de la parka crotté de Bertille [crottée]
Mimi
Posté le 05/03/2020
Il faut se rappeler que Bertille est plus jeune, ce sont des choses qui arrivent malheureusement…
Merci beaucoup !
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