Chapitre 25

Par Mimi

 

Bertille avait la tête vide. Elle était incapable de dire ce qui lui passait par la tête à ce moment précis, pourquoi elle courait dans la rue en direction du pont. Toute son attention était dirigée vers le fantôme, qui se rapprochait et dont les contours se précisaient. Tout ce qu’elle aurait pu dire se résumait à deux mots : elle voulait savoir.

Il y avait quelque chose d’étrange dans toute cette histoire. Depuis que sa mère lui avait conté la légende de Jehanne et Gustave, son père n’avait eu cesse de lui répéter que ce n’était pas possible dans la réalité, parce que les fantômes n’existaient pas. Si ce fantôme-là n’existait pas, que pouvait-ce être ? Bertille avait besoin d’une réponse.

Lorsque sa mère était morte, beaucoup de grandes personnes avaient cru bon de lui parler de la vie après la mort. Si les fantômes existaient vraiment et s’il y avait vraiment une vie après la mort, alors elle devait être bien ennuyeuse pour que les morts reviennent hanter les lieux de leur vie.

Bertille ralentit à l’approche du pont, hors d’haleine. La barque flottait tranquillement autour de l’île. Le spectre de Jehanne se tenait étrangement courbé. À la lumière des réverbères, il avait pris une teinte jaunâtre, bizarre, pas du tout fantomatique. Il n’avait même pas l’air transparent. Finalement, ce n’était peut-être pas si effrayant que ça, un fantôme…

La barque passa sous le pont. Bertille se pencha par-dessus le parapet tout en se tenant à la rampe pour ne pas tomber. Les lampadaires oscillaient entre leur position éteinte et allumée dans la semi-obscurité. Lorsqu’ils s’éteignirent au passage du bateau, Bertille frappa rageusement la pierre du parapet et traversa le pont en courant pour trouver un autre point de vue d’où elle pourrait mieux voir l’apparition.

Lorsqu’elle arriva sur la berge, l’embarcation disparaissait déjà derrière la muraille du château qui abritait la mairie. Bertille regarda nerveusement tout autour d’elle, à la recherche d’un endroit qui pouvait à la fois la dissimuler suffisamment et lui permettre de mieux voir.

De l’autre côté du bâtiment, la voix de la revenante, étrangement rauque, résonnait contre les parois de pierre, glissant un frisson le long de la colonne vertébrale de Bertille.

-        Eeeeeeee…uuuuuuuuuuusssssssssssstaaaaaaaaaaaaaaaaaa…eeeeeeeeeeeeee !

Elle avisa les arbustes nus qui couraient le long de la rive, non loin du chêne au pied duquel ils avaient creusé tout l’après-midi. Sans réfléchir, Bertille s’engouffra entre les branches rendues cassantes par le froid de l’hiver. Un sifflement jaillit à son oreille et quelque chose bougea tout près, la faisant sursauter. Les mains tremblantes, elle alluma sa lampe de poche. Elle scruta le sol tapissé de feuilles mortes tout autour d’elle. Rien. La chose était partie.

Bertille éteignit précipitamment la lampe torche alors que le supposé esprit de Jehanne revenait dans sa direction. Elle se concentra longuement sur la pâle silhouette blanche. Ses traits n’avaient rien de féminin. Elle semblait très âgée, mais pas au point d’avoir trois cents ans…

Bertille fronça les sourcils. Quelque chose clochait, c’était certain. Le fantôme appela de nouveau, et alors, elle n’eut plus aucun doute :

-        Euuuuuuuuuuuuuustaaaaaaaaaaaaaacheeeeeeeeeeeeee !

Le fantôme n’avait rien d’un spectre. Il ne venait pas de l’au-delà pour venger l’amour de sa vie. C’était seulement Vermoncourt, concierge de son état, vêtu d’un vieux ciré jaune délavé et debout dans sa barque, qui cherchait son chat.

 

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Fannie
Posté le 26/02/2020
Ah, je me suis bien fait avoir ! La chute est excellente ! J’ai pensé à un imposteur, mais pas à ça. Il ne va pas bien, l’ancien concierge. Si la police était venue, il aurait peut-être fini à l’hôpital psychiatrique. Quelle idée d’aller chercher son chat en bateau ! Mais je confirme : Bertille a du cran. Elle n’arrive peut-être pas vraiment à se défendre contre ses camarades, mais elle a une autre forme de courage, qui fait défaut aux autres.
Coquilles et remarques :
— son père n’avait eu cesse de lui répéter que [n’avait eu de cesse ; N.B. l’expression « n’avoir de cesse de » + infinitif est absente des dictionnaires et critiquée par certains grammairiens ; normalement, c’est « n’avoir de cesse que » + subjonctif]
— Si ce fantôme-là n’existait pas, que pouvait-ce être ? [L’expression « que pouvait-ce être ? » me laisse dubitative ; dans le doute, je propose : « de quoi pouvait-il s’agir ? » ou « que pouvait être cette silhouette ? ».]
— Si les fantômes existaient vraiment et s’il y avait vraiment une vie après la mort [Pour éviter la répétition, je propose « s’il y avait réellement une vie après la mort ».]
Mimi
Posté le 05/03/2020
Haha, super, je suis bien contente que tu ne sois pas déçue ;-)
Merci pour tes petites remarques tout au long de l'histoire…quelle patience !
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