Le jeune homme semblait s’être assoupi à peine plus d’une heure lorsqu’une sirène retenti dans la pièce. Son cœur battait la chamade quand la porte de son espace s’ouvrit toute seule. Il vit alors défiler de nombreuses personnes dans le couloir, toutes se dirigeants vers le même endroit. Soudain, un homme apparu à l’entrée de sa pièce :
— Dépêche toi, vu ton visage, tu t’es suffisamment fait remarqué, lui dit-il.
Sans un mot, Thomas s’exécuta et suivit le mouvement dans un couloir semi-découvert, des plantes tombantes faisant office de mur extérieur. Tous grimpèrent une vingtaine de marches pour arriver à l’air libre, sur une place ronde.
Thomas leva les yeux et se rendit compte que la place était entourée de grands immeubles, ceux là même qu’il avait vu en tentant de s’enfuir. Comme il l’avait constaté, ils étaient hauts, très hauts, recouverts de végétation en jardins suspendus et faisaient de l’ombre à l’énorme chêne qui trônait au centre. Le ciel quant à lui, sans nuage, était d’un bleu pâle, le soleil ne tarderait pas à se lever.
Ce qui était en train de se produire semblait être bien rodé : les personnes venant du même niveau que lui se disposaient dans la partie la plus éloignée du centre de la place, puis, des gardes armés se postaient entre eux et les autres personnes des niveaux supérieurs, qui se disposaient dans l’espace prévu selon leur rang. Alors que pendant ce temps, tout le monde demeurait silencieux, seul le bruit des pieds ripant sur le sol, légèrement granuleux, se faisait entendre.
Le jour se levait à peine et Thomas dus bien admettre que cette vision était impressionnante.
— Putain, merde Thomas, ils t’en ont mit, lui susurra-t-on à l’oreille.
L’intéressé se retourna et vit l’homme qui l’avait incité à sortir de son espace.
— Tu connais mon prénom ? s’étonna-t-il, comme soulagé.
— Retourne-toi, putain, tu veux pas qu’on nous remarque, si ? lui rétorqua ce dernier.
Thomas avait juste eu le temps de voir cet homme, environ la quarantaine, les traits épais et les cheveux brun bouclés, mais maintenant en bataille. Il avait aussi une carrure impressionnante.
— Déjà que je ne sais pas ce qui se passe ici, se plaint le jeune homme.
— Ils t’ont effacé la mémoire pour te mettre dans leur droit chemin, chuchota-t-il encore.
— On m’a dit que j’avais été condamné à l’illusion pendant un an, rétorqua Thomas tout en continuant de marcher.
— Bullshit. Ca existe pas l’illusion. Ils racontent ça pour t’embobiner, affirma l’autre, tout en marchant derrière lui.
— Tu peux m’expliquer ce qu’il se passe exactement, là ? demanda Thomas, un brin agacé.
— Pour le moment, profile bas, fais comme ils disent. Fais leur croire que tu adhères à leurs conneries. Sors du niveau zéro et je te recontacterai.
— Et c’est quoi exactement leur trip ici ?
— Le sang l’ami, le sang.
— Le…
— On se tait, intima un gardien dans sa direction.
Après plusieurs minutes de silence, le voisin de Thomas reprit doucement :
— Moi c’est Isidore ou Isi. Ne fais confiance à personne et …
Isi marqua un temps d’arrêt.
— Oui, quoi ? interrogea Thomas.
— Bienvenue dans le futur, lâcha Isidore avant de disparaître dans la foule.
— Tu viens de me dire quoi?!... Super… murmura le jeune homme en le voyant s'éloigner.
Soudain, une voix s’éleva dans un micro : « À genoux devant les anciens ! »
Tout le monde s’exécuta. Il y avait sur cette place environ 10 000 personnes, tête baissée, à genoux devant un chêne et une vingtaine de personnes qui semblaient descendre des plus haut étages des bâtiments. Pour Thomas, ces personnes n’étaient pas plus grandes que des fourmis, malgré ses tentatives de se lever, vite refouler par des gardiens qui veillaient au grain.
— Reste dans les rangs si tu ne veux pas d’ennuis, entendit-il à son oreille.
Lorsqu’il tourna la tête, il vit une jeune femme près de lui.
— Rebelle hein ? dit-elle en pointant son visage tuméfié.
Thomas détourna les yeux.
— C’est rien. On l’est tous un peu pour être ici, dit-elle. Moi, c’est Margaret.
— Thom…Tanneguy. On fait quoi ici au juste ?
— On rend hommage aux anciens et à notre Mère Planète. C’est comme ça tous les matins. Tu viens d’où toi pour ne pas savoir cela ? demanda la jeune femme, soudainement méfiante.
— Un coup sur la tête, j’ai des trous. On vénère surtout les anciens, non ?
— Chuttt… Dit pas des choses pareilles, tu vas mal finir, rétorqua-t-elle.
— Ouais, dans une cabine de paix par exemple, intervint quelqu’un derrière eux.
— C’est pas drôle Edgard.
— Qu’est-ce que c’est une cabine de paix ? Interrogea Thomas.
L’homme éclata de rire.
— Oh toi, tu le découvriras bien assez tôt, finit-il.
Les gardiens se rapprochèrent soudainement pour rétablir le silence. Thomas baissa alors la tête et put entendre pour la première fois la voix d’un ancien :
— Bonjour à tous. Remercions notre Mère Planète pour ses bienfaits et comme le chêne, souhaitons que les racines de notre société restent saines et bien ancrées. Joignez-vous à moi pour les remerciements silencieux alors qu’un nouveau soleil se lève sur la cité des vents. L’ancien posa ensuite le micro et joint ses mains. Toute l’assemblée resta dans le silence jusqu’à ce que les premiers rayons du soleil apparaissent. L’intégralité de la place se mit alors à applaudir et à lancer des « merci », créant une euphorie étrange. Puis, dans un ordre impeccable, chacun rejoint son espace particulier, à commencer par les anciens.
Bien que Thomas soit très loin d’eux, il remarqua tout de même que ces derniers étaient anormalement fripés.
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— Je viens vous conduire à votre cours de transmission de mémoire, indiqua L’Hermite pour expliquer sa présence au retour de Thomas dans son espace.
Ses deux sbires ne lui laissaient pas beaucoup le choix de toute façon.
— Par contre, passez-vous un linge sur le visage sinon vous risquez d’effrayer les petits, commanda son pacificateur d’esprit.
— Les petits ?
— Obéissez, vous verrez bien et dépêchez-vous. C’est terrible ce questionnement perpétuel !
Thomas fut conduit sur un quai entièrement blanc. Devant lui se trouvait un long tube transparent dans lequel il y avait des sièges.
« Tiens, c'était ça le tube, un métro transparent, se dit-il, enfin quelque chose d’à peu près familier ! »
Cela le fit presque sourire, jusqu’à ce qu’il remarque sur la gauche du tube un énorme bras mécanique. L’image d’un flipper lui vint en tête, ce qu’il trouva nettement moins drôle.
Devant le regard stupéfait du jeune homme L’Hermite précisa :
— Ceci est un tube de transport. Il va nous amener vers l’espace d’apprentissage.
Thomas entra à l'intérieur du tube et prit place sur un des fauteuils du wagon où une personne l'harnacha.
— Attention, les premières fois peuvent être perturbantes, Tanneguy, le prévint l'Hermitte.
Le jeune homme remarqua tout de suite le sourire en coin des deux gardes. C’était sûr, il allait morfler. D’autres personnes, dont des groupes d’enfants, prirent place également. Puis les portes se fermèrent et un bruit de gonflement se fit entendre.
D’un coup, il fut plaqué sur son siège, le souffle court et le cœur battant à cent à l’heure. Il parvint à regarder à travers ce tube pour voir plusieurs mètres en bas, la place et le chêne s’éloigner, puis ils frôlèrent les immeubles et leur jardin suspendu pour y voir des cultures et plus loin encore, l’océan, qu’ils surplombèrent. Tout autour, d’ énormes voiles blanches se tenaient sur des mats, solidement ancrées dans l’océan. Il vit bientôt apparaître une plate-forme avec au centre, une construction entourée d’éoliennes. Leur wagon se dirigea vers une ouverture dans le bâtiment, mais ne perdait pas en vitesse pour autant. Thomas ne put retenir un cri de frayeur lorsqu’ils entrèrent à pleine vitesse dans l’immeuble pour enfin freiner brusquement.
Essoufflé, le jeune homme faillit s’évanouir à l’ouverture de la barre de sécurité ce qui intrigua fortement les enfants qui furent sommés de descendre. Thomas prit quelques minutes pour reprendre ses esprits et sortit à son tour. Les éoliennes alentours faisaient un bruit sourd alors que pour la première fois depuis son arrivée, il sentit le vent sur son visage.
Au loin maintenant les immenses voiles semblaient briller comme des milliers de miroirs à chaque rafale de vent.
— Tanneguy, vous contemplez ici notre fierté et l’origine du nom de notre belle cité. « Les capteuses, » comme nous les appelons familièrement, collectent l’énergie du vent grâce à leurs petits panneaux, c’est ce qui les fait briller ainsi.
Nous sommes l’une des seules cités des vents au monde.
Les enfants, intrigués, c’étaient attroupés autour d’eux.
— On annonce un orage dans un mois, déclara L’Hermite, le sourire aux lèvres.
— whaouuu, lancèrent en cœur les enfants.
Thomas, lui, était bien trop occupé à regarder les voiles pour écouter. Au loin, il apercevait leur point de départ et réalisa que la cité des vents était une plateforme geante. Cela expliquait au moins les allusions à la terre ferme.
— Et oui Tanneguy, voilà bien trop longtemps que l’homme a du quitter le sol pour se réfugier ici. Tout vous sera expliqué en transmission de mémoire. Allons-y.
Ils entrèrent donc dans le bâtiment et montèrent au premier étage où régnait une certaine effervescence. Thomas remarqua tout de suite que plusieurs générations se côtoyaient. Jusqu’à présent, tous étaient vêtus de lin blanc, mais là, ilexistait plusieurs colories de vêtements.
— Selon les cycles, expliqua le pacificateur d’esprit. Par ici, lui indiqua-t-il ensuite.
Il y avait un escalier central, puis tout s’axait par étage, encore.
— J’imagine que je commence en bas.
L’Hermite le regarda, mais ne répondit pas.
— Ca veut dire oui, donc, conclu Thomas.
L’Hermite fit ensuite glisser une porte donnant sur une pièce remplie d’enfants d’une dizaine d’années.
— Je vais quand même pas….
— Suivre des cours avec les jeunes pouces, si, s’amusa l’homme. Nous reprenons les bases.
Quand Thomas s’avança dans la pièce, des murmures montèrent dans les rangs des enfants assis sur des nattes.
— Ca n’est pas courant, déclara la vieille femme en charge des cours.
— Vraiment ? Tous les revenants ne suivent pas ces cours alors ?
La femme parue prise au dépourvu et regarda L’Hermite les yeux pleins de détresse.
— Nous tentons une nouvelle approche avec vous Tanneguy, se justifia L’Hermite dans son rôle de pacificateur .
— C’est cela oui, pensa le jeune homme.
Pourtant, il se prit au jeu et pendant plusieurs semaines, il se rendit à ces cours, presque avec entrain. Il apprit ainsi que deux guerres successives avaient fait rage au milieu du XXIe siècle. D’abord de religion, puis de ressources . C’est durant cette dernière que les hommes utilisèrent des bombes atomiques qui ravagèrent le globe. D’abord divisée par deux, la population de la terre ne cessa de décroitre et c’est là qu’un groupe de brave, les anciens, mêlant d’imminents scientifiques à des défenseurs de la planète, entreprirent la création des cités pour sauver un maximum d’humains et vivre en harmonie avec l’environnement.
— Pourquoi les ponctions sont importantes ? demanda la professeur.
— Pour savoir si on va bien, répondirent en cœur les enfants.
— Pourquoi est-ce mieux de vivre dans les quartiers d’enfants ?
— Parce que l’on peut apprendre l’ordre, l’indépendance et se passer de sentiments superflus, rétorquèrent encore les enfants en bons perroquets.
— Qu’est-ce qui est le plus important dans la vie ?
— La Mère Planète, les anciens et la cité, madame.
— C’est bien les enfants…et Tanneguy, vous pouvez disposer.