Chapitre 3: Bald'r

Notes de l’auteur : Temps de lecture: En silence -> ~ 15min / A haute voix -> ~ 26min

Les deux amis se retrouvaient seuls avec comme unique compagnie le silence. Perdu dans leurs pensées, le regard vide. Ethan venait d’apprendre qu’il devait diriger un monde dont il ignorait l’existence jusqu’à présent et que son destin l’obligeait d’anéantir un puissant sorcier. Les dernières informations se digéraient difficilement. Qu’impliquerait son nouveau titre ? Gouverner un royaume dont il ne connaissait aucune règle ne le rassurait pas. Son « pouvoir » l’inquiétait également, « le Yagus le plus puissant qu’il n’est jamais existé ». Même si elle disait vrai, plaquer des gens contre un mur en hurlant ne rivaliserait jamais face à des Yagus capables de créer. Alya cherchait peut-être quelqu’un d’autre ? Une erreur n’est pas à écarter. Mais si elle avait raison ? Si son destin lui réservait un avenir aussi exceptionnel..  ? Le petit Ethan vivait dans l’ombre d’Elena, la rousse au caractère de feu. Les garçons la désiraient, les filles la jalousaient. On connaissait Ethan, comme « l’ami d’Elena ». L’aptitude à gouverner lui seyait mieux même si elle aimait beaucoup trop son indépendance pour ça. Et surtout, depuis toujours, son courage et son imprévisibilité lui valaient quelques soucis, spécialement avec l’autorité. À quoi pensait-elle en ce moment ? Elle ne semblait pas avoir peur comme lui. Peut-être que ce monde ressemblait à la perfection pour elle. Un lieu sans son père, où elle pourrait devenir qui elle souhaitait. Et c’est à peu près ce que ressentait Elena à ce moment précis : la liberté, la possibilité d’évoluer, de recommencer à zéro. Elle aiderait son ami et le mènerait jusqu’à son destin, quel qu’il soit. Même si elle devait mettre sa vie en jeu, elle le protégerait coûte que coûte. Mais quelque chose l’excitait plus que la découverte de ce monde ou le futur de son compagnon : un engagement d’Alya, fait avant le réveil d’Ethan. Elle lui avait promis de l’entraîner, de lui enseigner l’art du combat. Malheureusement, elle n’atteindrait jamais les capacités exceptionnelles des Sicario. Mais ce serait suffisant pour protéger Ethan. L’impatience et l’exaltation lui parcouraient le corps à cette idée..

– Ethan.. Est-ce que ça va ? Je me doute que ça fait beaucoup à assimiler, mais..

— J’y crois. Enfin, je pense.

— Alors.. On reste ? demanda son amie.

— Oui, il faut que j’en sache davantage. J’ai beaucoup trop de questions sans réponses. Et j’aimerais en apprendre plus sur mes origines, et.. sur mes parents biologiques.. Je veux comprendre pourquoi ils ont été tués..

Elena releva la tête, ses lèvres s’étirèrent dans un éclat avant de sauter dans les bras d’Ethan.

— J’ai tellement hâte de voir tout ce que cet endroit a à offrir. Un Nouveau Monde, tu te rends compte ?

Elle pétillait, ses yeux brillaient, son sourire ne se refermait pas. Rester la rendait réellement heureuse. Ethan parut satisfait. Finalement, peut-être que lui aussi voulait en découvrir plus. Il ne pouvait nier ce sentiment de bien être qui parcourait son corps.

— Et si on faisait une petite visite de la ville ? proposa Ethan.

— Bonne idée ! Allons visiter Bald'r !

Elena prit Ethan par la main et l’entraîna hors de la tente. À l’extérieur, des centaines d’habitats comme la leur se répartissaient sur un large espace. Le sol vert émeraude ne semblait pas avoir été anéanti par l’homme. Les fleurs prospéraient au milieu d’une pelouse harmonieuse. Aucun brin d’herbe ne dépassait un autre. Peu d’habitants parcourant le village, mais chacun d’entre eux paraissaient curieux et murmuraient en croisant les nouveaux venus. Une jeune femme s’avança timidement vers Ethan. Le poing serré, elle ouvrit sa main, libérant une petite graine. Elle posa son autre main par dessus, sa marque se mit à s’illuminer. Elle écarta ses paumes pour laisser le bourgeon éclore lentement et devenir, pétale par pétale, une rose bleue. Elle déposa son regard envoûtant sur Ethan avant de lui offrir sa création. La magie qu’elle produisait le subjuguait bien plus que cette jolie femme. Pourtant aux alentours, personne ne se retournait, ce miracle semblait simplement la normalité ici.

— Je peux vous faire visiter Bald'r si vous le désirez. Ce serait avec plaisir.

— C’est gentil, mais on sait utiliser nos pieds et nos yeux.

Elena lâcha un sourire mesquin avant de continuer sa route en appelant son ami, qui la suivit sans questions. Non loin d’eux, un homme attirait un tas de personnes autour de lui. Quelques rides sur son visage, mal rasé, les traits durs, les yeux marron et des cheveux bruns assez courts lui donnaient un aspect autoritaire et pourtant rassurant. Les gens paraissaient attentifs à ses paroles, concentrés. Lui se tenait assis en tailleurs sur l’herbe. Un homme à ses côtés agitait ses doigts pour faire vivre ses petits personnages de feu qui dansaient au rythme de l’histoire du conteur. « .. C’était la bataille finale. Qui des dragons ou des ailés gagneraient la guerre ? Parmi les combattants, les coups de mâchoire, les lances, le sang et les cadavres dévalant la voute céleste, Esar le vit. Il était là. Déchirant la chair de ses alliés : Ry't, le dragon à l’origine de cette guerre. Esar virevolta dans le ciel cramoisi, évitant ses alliés, exterminant ses ennemis sur sa route pour plonger son arme à travers les écailles du monstre. » Il fit une pause, la foule était suspendue à ses lèvres, attendant le dénouement de l’histoire. La flamme en forme d’homme ailé venait d’enfoncer sa lance dans la silhouette du dragon de feu. « .. Il avait réussi, il avait mis fin à cette bataille. Mais Ry't ne se laissa pas mourir sans accomplir un ultime acte. Utilisant ses dernières forces, il planta ses griffes dans l’armure du soldat. Il sentait sa chair chaude de sang. Les deux rivaux tombèrent du ciel pendant un temps qui semblait être une éternité. Leurs corps lourds s’écrasant sur le sol sonna la fin de la guerre entre les dragons et les ailés ». Les flammes du Yagus s’essoufflèrent avant de s’éteindre. La foule s’éparpilla petit à petit pour reprendre leur route et se remettre à leurs activités.

— Tu crois que c’est réel ? Tu imagines s’il y a des dragons.

Elena haussa les épaules.

— Regarde, on dirait un genre de bar là-bas. Allons-y !

Derrière le conteur, une tente plus spacieuse que les autres et ouverte, semblait être le cœur du village ou les gens se réassemblaient pour s’abreuver et discuter.

— Certaines choses ne changent pas après tout, affirma Elena.

Ils choisirent une table et observèrent les alentours avant qu’une femme ne s’approche d’eux.

— Je peux vous servir quelque chose ?

Les deux amis s’échangèrent un regard interrogateur. Ils n’avaient absolument aucune idée de ce que les gens de ce monde buvaient.

— Euh.. Vous auriez du.. Commença Ethan. Je crois que je vais prendre de l’eau.

La serveuse parut surprise. 

— Vous savez qu’il y a un puits à l’extérieur ?

— Ils vont prendre la même chose que moi !

Le conteur venait de s’inviter à leurs tables.

— Et pour moi, ce sera du dovky.

Cette fois, c’était Alya qui les rejoignit. La servante esquissa une grimace.

— Deux étrangers sans marque de Caelis, une Sicario, et.. Toi. Comment tu comptes me faire l’échange ?

— Surveille ta langue, il s’agit du Prince Sapias, pas d’un simple étranger, la menaça Alya.

— Ce n’est qu’une rumeur, il n’a aucune marque prouvant son origine. Vous pensez vraiment que le prince lui-même n’aurait aucune marque de Caelis ?

— Je n’ai jamais eu besoin de payer quoi que ce soit. J’offre mes services au village. Intervint Métheùs.

— Ça vient de changer, maugréa-t-elle en fixant Alya.

— Déleïne ! Tu vas me faire le plaisir de servir le prince et ses amis avant que je te botte le cul hors de mon auberge !

L’homme qui venait de parler se tenait derrière le bar. Sa barbe trainait sur le sol tandis que son crâne reflétait la lumière. La serveuse souffla avant de le rejoindre et de lui énumérer la commande des clients. Il prit un genre de boule rouge parsemé de petits points jaune derrière lui et, d’un geste de la main, en fit sortir tout le jus pour le mettre dans trois coupelles en bois. Il fit la même chose avec trois différents ingrédients pour une autre coupelle. Le corps de Déleïne se multiplia pour devenir des jumelles. L’une d’entre elles se dirigea vers la table d’Ethan et la seconde vers d’autres consommateurs. En l’observant, Ethan se rendit compte que tout le monde les regardait, sans dire un mot. Lorsque la serveuse prit une commande, l’un des clients tendit son bras vers elle pour qu’elle puisse y poser le sien. Leurs marques respectives s’illuminèrent, reliées l’un à l’autre par un flux bleuté. Puis la jumelle disparut et celle qui s’occupait d’Ethan et de ses compagnons rejoignit le bar après leur avoir offert leur boisson. 

— C’était quoi ça ? demanda Elena à Alya.

— Déleïne est une Yagus qui a l’aptitude de multiplier son corps. Très utile. Quant à Born, il peut extraire le jus de toute chose. S’il exploitait le plein potentiel de son pouvoir, il serait même capable de sortir tout liquide de ton corps : eau, sang. Quel gâchis..

— Non, je parle de ce qu’a fait la serveuse avec le client. Ils ont emmêlé leur bras et un genre de fluide bleuté est passé d’une marque à l’autre.

— Çà, ma belle, répondit le conteur, c’est l’échange, le paiement si tu préfères.

— Et c’est là que je suis supposée dire « Aaaah, mais bien sûr ! » ? Vous êtes qui d’abord ?

— Ce symbole est le lien entre Caelis et ses créations. Il existe, à notre connaissance, deux espèces créées par Caelis : les Yagus, et les Sicario, comme notre amie Alya ici présente. Pour les Yagus, cette marque est l’origine de leur pouvoir. Elle puise dans leurs énergies vitales pour leur offrir leurs habilités. Il y a longtemps, un Yagus créa une technologie capable d’utiliser ce flux autrement. À leurs maturités, chaque Yagus se voit doté d’une puce à l’intérieur de la marque, permettant de rejeter et de réintégrer le flux. Plusieurs technologies l’exploitant sont alors apparues, dont l’échange.

— Ce monde est vraiment épatant.. Nota Ethan.

— Pourquoi ni vous ni Alya n’avez pu faire l’échange ? Vous n’êtes pas des « créations de Caelis » ?

— Pour les Sicario, c’est un peu plus complexe. Malgré de nombreuses recherches, personne n’a été capable d’extraire leur magie. C’est comme s’ils utilisaient une autre sorte d’énergie. Ils ont des capacités hors normes comme les sauts et l’apparition d’armes Expi qu’ils sont les seuls à pouvoir manier, les sens plus aiguisés. Les rares Sicario encore en vie vivent comme des mercenaires et vendent leurs services comme échanges. Faire peur à quelqu’un, meurtres, vols, la plupart du temps. Ils sont malheureusement exceptionnellement bons pour ce genre de chose et ça n’aide pas à leurs réputations.

Pendant l’explication du conteur, Elena remarqua le regard désolé d’Alya. Elle semblait gênée par ses paroles, honteuse peut-être ?

— Je trouve leurs talents merveilleux et gracieux, avoua Elena en fixant la Sicario.

Alya ne put s’empêcher de laisser s’échapper un sourire.

— Attendez. J’ai manipulé les lames d’Alya et de l’autre gars. Je les ai attirés à moi et les ai lancées sur eux.

— Tu as dirigé une arme Expi contre son utilisateur ?

— Je confirme, intervint Alya. Si je n’avais pas utilisé le saut, je serais morte par ma propre épée. Quant à Laxios, il n’a pas eu cette chance.

— Il est plus extraordinaire que je ne le pensais.

— Au risque de casser l’ambiance, on ne sait toujours pas qui vous êtes ? observa Elena.

— Je suis Métheùs, père adoptif d’Alya, maître d’armes, et je serais votre guide dans votre aventure.

— Mais encore ? insista Elena. Vous n’avez pas de marque, pas de cheveux noirs, pas d’yeux de chat. Vous n’êtes donc ni un Yagus ni un Sicario. Qu’est-ce que vous êtes ?

— Ce que je suis n’a aucune importance.

L’austérité de ses derniers mots mit un point final à cette conversation. Après un long silence, il releva la tête, se leva, hissant son verre  : « Portons un toast : à notre petit prince, Sapias ! ».

Tout le monde l’imita. « Sapias », ce prénom lui plaisait bien. Il lui restait énormément de choses à apprendre. L’aube d’une nouvelle aventure s’élevait et excitait Elena comme jamais. Elle comptait bien devenir quelqu’un d’autre, devenir comme Alya.

 

 

Le groupe s’était séparé en deux afin de faire des réserves pour le voyage à venir. La Sicario et Elena se rendirent derrière le village. Un immense jardin habillé d’arbre fruitier dominait les fleurs. Les couleurs magnifiaient le tout. Certains arbustes prenaient la forme de dragons, de biches ou encore de loups. Aucun jardin de leur monde ne l’égalait. Alya remarqua avec amusement l’émerveillement de son invité.

— C’est l’œuvre de Vusen, une Yagus capable d’accélérer la croissance de la flore.

— Alors vous êtes végétariens ?

Le regard éberlué d’Alya fit rire Elena qui continua.

— Vous ne mangez que des fruits et légumes ? Jamais de viande, d’animaux ?

— Nous ne ressentons pas la faim, nous n’avons pas besoin de manger pour vivre. Les fruits sont une décoration et sont utiles pour créer des boissons pour nous. Pour Vusen, c’est de l’art.

— Je suppose que je peux dire au revoir à un délicieux steak saignant avec de bonnes frites et de la mayonnaise ?

— Je ne connais pas ces choses.

Elena joua le choc devant Alya, déconcerté.

— C’est si grave ?

— Le steak, frites, c’est le Saint-Graal de notre monde. Si tu y retournes, tu dois gouter !

— Le Saint-Graal ?

— Oh, laisse tomber, c’est un conte stupide.

— Mmh, je vois. Il arrive que l’on chasse pour récupérer des matières premières : les os, le cuir, les fibres, etc. Le gâchis n’est pas autorisé lorsqu’une vie animale est prise, la viande est donc consommée. Ici, chaque existence est importante. En revanche, je ne peux rien faire pour les frites et la mayonnaise.

Elena fit semblant de prendre un air triste qui tira un sourire à Alya.

— Je crois que nous avons croisé cette fameuse « Vusen » avec Ethan. Alors, c’est elle qui a créé tout ça ?

— Elle passe énormément de temps ici et prend soin de son jardin, je suis persuadée que son pouvoir est plus puissant que ça. Encore un potentiel gâché, avoua Alya.

Elena continuait de se promener dans le jardin, subjugué par la beauté de chaque nouvelle fleur et fruit qu’elle découvrait.

— J’adore le printemps, cette saison rend tout tellement magnifique, fit Elena en se laissant tomber sur le sol.

Les paupières fermées, elle profitait de l’odeur de centaines de parfums se mélangeant entre eux.

— Ah oui, en parlant de ça..

Elena ouvrit les yeux, prêt à écouter la Sicario.

— Laisse tomber, je t’expliquerais plus tard.

— Sapias.. Je vais avoir beaucoup de mal à m’y habituer, avoua Elena en se relevant.

Alya lui lança un sac en tissu marron qui était posé dans une cagette et en prit un pour elle.

— Occupe-toi des fruits là-bas, je prends les autres. Essaie d’en choisir des petits.

Les deux femmes s’exécutèrent et récoltèrent les provisions pour le voyage. L’une, admirative à chaque collecte, prit soin de cueillir délicatement les plus beaux fruits. Il y avait des fraises, des pommes, des kiwis, mais aussi des espèces de boules bleues à zébrure jaune ou encore des genres de bananes, mais de couleurs blanches. La Sicario arrachait sans distinction un par un jusqu’à remplir son sac.

— Tu sais. Sapias ne sera plus le même après tout ça. Et à la fin, il sera soit mort, soit le Roi d’Eden. Il n’y a pas de troisième option.

— Qu’est-ce que tu essaies de me dire ?

— Si tu ne veux pas souffrir, prends de la distance tant qu’il est encore temps.

— J’ai confiance en lui..

Une fois son sac rempli, Elena passa devant la Sicario sans un regard et partit vers le village pour rejoindre son ami.

— C’est bien ça le problème, murmura Alya.

 

 

Ethan, quant à lui, était retourné dans la tente ou il s’était réveillé, accompagné de Métheùs. L’homme se dirigea immédiatement vers un coffre noir qu’il ouvrit directement.

— Il n’y a pas de vol dans votre village ?

— Comment ça ? demanda Métheùs.

— Vous vivez tous dans de grandes tentes ou il est très facile d’entrer, tu n’as même pas une clef pour ton coffre.

— Eden est très différent d’Ignis. Le vol, le meurtre, ce n’est pas aussi répandu. De plus, ils savent que c’est chez moi, personne n’ose la toucher.

Métheùs fouillait dans son coffre, sortant des lames et les examinant avant de les remettre à leur place.

— Comment tu as appris autant de choses sur mon monde ? demanda Ethan.

— Ignis n’est pas ton monde. Eden, l’est.

Avait-il raison ? Son véritable monde était-il celui dans lequel il était né ? Ou celui qui l’avait vue grandir ? Même lui ne connaissait pas la réponse à cette question.

— Durant la purge, un des Sicario capables d’exécuter le grand saut, c’est réfugié à Ignis. Il y a vécu et a rédigé plusieurs livres sur ses découvertes, ses expériences, ses rêves.. Lorsqu’il a senti la fin de son existence, il est revenu afin de transmettre son savoir. J’ai toujours été curieux de ce monde, alors, je l’ai étudié grâce à ses écrits.

– C’est quoi ça, « la purge » ?

Métheùs ne prit pas la peine de répondre et attrapa une épée qu’il balança vers Ethan. Le poids de la lame le déséquilibra, le faisant presque tomber.

— Je suis censé en faire quoi ? demanda Ethan.

— Te curer le nez. À ton avis abrutis ? Tu ne contrôles pas encore ton flux, alors en attendant, tu vas devoir savoir manier les armes.

— Quoi ? Mais.. On va devoir se battre ?

— Le voyage de Baldr à Edenia est relativement calme, mais on n’est pas à l’abri d’un imprévu.

Ethan ne s’était jamais battu, en tout cas jamais à l’arme blanche. Il ne connaissait aucun sport de combat et encore moins de l’escrime. Et ce truc pesait presque plus lourd que lui, comment est-ce qu’il pouvait manipuler une arme de ce poids-là. Il essaya tant bien que mal de faire quelque maniement qu’ils se souvenaient de films, mais c’était aussi maladroit que s’il tentait de tuer une mouche lui tournant autour. Un coup perdu faillit couper la tête de Métheùs qui l’arrêta net avec sa main et la reprit.

— D’accord, essayons plutôt ça.

Il lui offrit un couteau qui faisait penser à une belle lame de chasse avec le poignet en cuir. Il se sentait un peu offensé, mais son manque d’expérience ne l’aidait pas. Il trancha l’air pour l’essayer. Métheùs parut satisfait et lui fournit un étui noir qu’il attacha à la ceinture d’Ethan. Puis il sortit un arc qu’il enfila sur son propre torse, ainsi que le carquois et les flèches. Il attrapa une épée qu’il rangea dans son fourreau. Et enfin, il prit deux petites épées qu’il donna à Ethan.

— Ce sera pour Elena.

— Je ne crois pas qu’elle sache s’en servir.

— Elle saura, insista Métheùs.

Il prit également soin de donner un vêtement local à Ethan. Puis il mit deux tenues complètes dans un sac. Le prince se déshabilla afin d’enfiler l’accoutrement, après s’être débattu et avoir demandé l’aide de Métheùs. Il parut dubitatif quant à son nouveau style, relativement proche de celui du conteur. Il avait un simple pantalon en lin marron et une tunique belge qui lui arrivait à mi-cuisse, resserrés sur ses hanches par une ceinture où il pouvait ranger l’étui avec son couteau. Il lui avait également ajouté une cape de la même couleur que le bas, bordée de fourrure qui tenait grâce à un genre de broche en bois.

Une fois leurs emplettes terminées, ils sortirent de la tente pour rejoindre les deux jeunes femmes au point de rendez-vous, devant l’auberge. Les filles, déjà là, semblaient distantes. Mais Elena ne voulut pas en parler lorsque son ami la questionna. Il n’eut même aucune remarque ou taquinerie sur son nouveau look, ce qui ne lui ressemblait pas. Il aurait préféré qu’elle se moque. Mais il n’insista pas, il redemanderait plus tard. Elle prit le sac de linges que Métheùs leur offrit et alla se changer dans une pièce à l’abri des regards. Ethan se sentait à la fois anxieux et impatient de voir le nouveau style vestimentaire de son amie. Et à juste titre, quand elle sortit, il eut le souffle coupé. C’était une toute nouvelle Elena. Elle ressemblait à une véritable guerrière. Une armure légère en cuir noir épousait parfaitement ses formes pour recouvrir son torse, laissant ses bras à nue, seulement habillés de deux grèves de la même couleur qui protégeait les avant-bras. Deux fourreaux sur chacune de ses hanches lui permettaient de ranger les deux épées courtes que Métheùs lui remit. Le pantalon et les bottes finissaient la tenue avec la même couleur sombre. Alya possédait une allure similaire à quelques détails près. Elle n’avait aucun fourreau, une capuche recouvrait ses cheveux et un bandeau sa bouche. Laissant seulement ses yeux de fauve à découvert. Ça lui donnait un côté presque effrayant.

— C’est tellement .. « Dark ».. Avoua Ethan.

Alya ne daigna pas répondre et lui passa devant. Son amie se contenta de rougir avant de la rejoindre. La tension semblait toujours palpable et Ethan comptait bien profiter du voyage pour lui demander des explications.

— Allons chercher nos montures, ordonna Métheùs.

— Nos montures ?

— Edenia est à plus de 30 lieux d’ici, si tu veux faire le chemin à pied, libre à toi petit prince, sans compter que le cycle touchera bientôt à sa fin.

Face au regard interrogateur d’Ethan et Elena, Alya précisa :

— Je ne sais pas si tu as remarqué, mais il n’y a pas de soleil ici. On ne peut pas vraiment se fixer sur son levé et son coucher comme vous. Un cycle à Ignis, c’est environ cinq jours chez vous.

Une fois son explication faite, elle rejoignit Métheùs qui commençait déjà à partir.

Les deux amies échangèrent un regard interloqué. Cet endroit ne cesserait jamais de les étonner. Et c’était peu dire. Lorsqu’ils rejoignirent enfin le conteur et sa fille adoptive, il leur expliqua comment avoir une monture. Dans ce monde, il ne suffisait pas d’enfourcher un cheval. Il fallait que l’animal choisisse son destrier. Ainsi, l’homme et la bête sont égaux.

À l’extérieur de Baldr, deux chevaux se désaltéraient dans la rivière. L’un d’entre eux, dans sa robe blanche, releva la gueule pour s’approcher de son maître, Métheùs. De sa musculature impressionnante et sa taille, il dominait le destrier noir, chétif qui appartenait probablement à Alya. Mais les yeux brillants et vifs de ce cheval intimidaient. Elena caressait doucement la monture du conteur.

— On ne pourrait pas monter par deux sur vos cheveux ? Tout simplement ?

— Excellente idée. Je t’en prie ! fit-il en montrant son cheval.

Décontenancé par la réponse enjouée, le petit prince hésita avant de se placer sur le côté de la monture. Il commença par l’apaiser avec quelques caresses. N’ayant pas de selle, il n’y avait pas d’étriers ou mettre ses pieds comme appuie. Il demanda de l’aide à Elena qui lui fit la courte échelle, il prit son élan et lança sa jambe pour enfourcher le cheval qui se mit à cabrer et à relever son derrière pour secouer son cavalier illégitime. Ethan paniqua et s’accrocha de toutes ses forces à la crinière. L’étalon courut en cercle, tout en continuant de bondir, tentant de faire chuter Ethan à tout prix. Mais il résistait, il avait juste à se tenir bien fermement, ce n’était pas si terrible que ça, il allait y arriver. Le cheval fou finit par s’arrêter. L’apprenti cavalier releva la tête timidement, jetant un regard aux alentours pour reprendre ses marques. Persuadé d’avoir réussi à dominer la bête, il se détendit doucement et lança un sourire satisfait vers Métheùs.

— A ta place mon petit, je m’accrocherais.

Soudain, avant qu’il n’eut le temps de réfléchir, le canasson se cabra de nouveau pour reprendre sa course folle en ligne droite. Ethan s’agrippa de nouveau, de toutes ses forces, criant, luttant pour ne pas tomber. Il osa à peine redresser la tête pour jeter un regard devant lui. Le visage fouetté et déformé par le vent, il voyait la rivière s’approcher à grands pas, il allait foncer dans l’eau. Il hurla de plus belle en se dissimulant dans la crinière. La course folle se termina subitement lorsque le cheval s’arrêta net, en relevant son arrière-train, faisant voler sa victime directement dans la flotte. Tandis qu’Elena se ruait vers lui pour l’aider et qu’Alya leva les yeux au ciel, exaspérée, Métheùs ne cachait pas son euphorie. Ethan sortit la tête de l’eau, recracha l’excès de liquide dans sa bouche et remonta sur la rive avec l’aide de son amie, furieux contre le conteur. Il voulait lui donner une leçon, il le savait, mais il ne méritait pas ce traitement.

— Pauvre petit loup, le plaignit Elena en le prenant dans ses bras.

— Ça va, ça va. Allons chercher nos montures.

Des rochers au milieu de la rivière, placés par les habitants, permettaient de passer de l’autre côté de la rive aisément, sans avoir à se mouiller, même s’il était déjà trop tard pour Ethan. Les deux chevaux, dirigés par leur cavalier n’eurent pas plus de mal pour traverser. La forêt semblait impressionnante. Les arbres grandissaient au fur et à mesure qu’ils s’en approchaient jusqu’à devenir gigantesque. Outre ça, elle habitait une énergie bienveillante, elle nous invitait à s’y plonger. Le feuillage vert pomme habillait magnifiquement les arbres, presque aussi beaux que ceux du jardin de Baldr, mais dépourvu de fruits. Un cerf apparut et s’immobilisa pour observer les étrangers. Rien ne le démarquait de ceux d’Ignis malgré sa taille et ses bois qui accentuaient sa splendeur. Ethan devait avouer que ça le rassurait. Tout ne semblait pas totalement différent.

— Baissez-vous.

Métheùs et Alya venaient de mettre un genou à terre, tout en fixant le cerf.

— Faites comme moi et ne le lâchez pas d’un œil ! Insista-t-il
Les deux amies les imitèrent. Le cerf continuait de tenir le regard de Métheùs puis Alya, Ethan et Elena, les uns après les autres. Après un certain temps, il tapa trois fois sur le sol avec sa patte, puis s’enfonça dans la forêt.

— Il accepte notre venue.

— Vous devez demander l’accord d’un cerf pour entrer là-dedans ? s’étonna Ethan.

— On pourrait y aller sans cet accord. Mais je ne donnerais pas cher de notre peau.

— Donc, si j’ai bien compris, en ayant cet accord, les animaux nous laisseront tranquilles ?

— Les animaux, non. Les elfes oui, répondit Alya.

— Pardon ?

— TROP BIEN !! s’écria Elena.

 

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