Chapitre 38

Notes de l’auteur : Bonne lecture !

Ignorer les cris de Marietta était de loin la pire épreuve que j’avais dû affronter ces derniers jours, pire encore que de voir Liam à l’agonie. Car, dans le cas présent, je pouvais apaiser sa peine, je savais comment faire, j’avais le pouvoir d’agir. Mais je ne le fis pas. Je respectai le choix de ma sœur jusqu’au bout et me concentrai sur les cauchemars de mes cadets. Je remarquai d’ailleurs que les nuits de Liam semblaient plus calmes que celles des autres. Les cauchemars l’avaient comme… abandonné depuis son réveil miraculeux.

J’aurais aimé qu’il en soit ainsi pour mes autres sœurs. Mais Ciaran semblait avoir mis tout son cœur à l’élaboration de cauchemars atroces spécialement pour elles.

Meryl se retrouvait constamment piégée dans la même bibliothèque labyrinthique en proie aux flammes. Elle se débattait pour sortir, envahie par la panique, mais elle ne trouvait aucune porte, aucune fenêtre. Elle était coincée. Le pire était sans doute ces livres qui brûlaient tout autour d’elle. Les hurlements stridents qu’ils poussaient couvraient ceux de ma cadette, comme un sinistre écho de sa propre terreur.

Gemma et Georgia, elles, ne voyaient que la statue de glace qui avait manqué de les tuer le dernier soir des Sélénites. Ciaran s’amusait cruellement à n’en tuer qu’une, laissant tout le loisir à la survivante de se noyer dans le désespoir et les larmes en voyant la vie quitter les yeux de sa jumelle.

Et plus les jours passaient, plus les cauchemars devenaient horribles et difficiles à combattre. Mais je tenais bon. Je le devais.

Mon état s’améliora grandement maintenant que je ne veillais plus sur les rêves de tout le monde. Mais j’entendais chaque nuit les murmures provenant de la chambre de Rhen et me demandais ce qu’il pouvait bien traverser. Ciaran semblait prendre un malin plaisir à le torturer plus que les autres, et je m’en voulais encore plus de ne rien faire. Que voyait-il ? Qu’affrontait-il ? J’avais beau le lui demander au réveil, Rhen ne disait rien, se contentant de soupirer de soulagement en me serrant dans ses bras. Et je lui rendais son étreinte, terrifiée à l’idée de ce que le Dieu des Cauchemars avait pu lui faire vivre.

Au matin, Marietta semblait éteinte, et tante Vitali plus sombre. Père, lui, n’était plus qu’une coquille vide, isolé dans sa chambre. Ciaran ne prenait même plus la peine de le visiter. La mort de mère l’avait complètement anéanti et rien ne semblait pouvoir le raviver, pas même le soudain rétablissement de Liam. Tout au contraire, il semblait de plus en plus faible, s’amaigrissant, palissant de jour en jour.

Je m’inquiétais. Mais, en passant dans ses rêves, je n’entendais que le silence, comme si mon père n’existait plus depuis longtemps.

La nuit suivante, tout semblait étrangement calme au manoir.

Je fis le tour des chambres, tendant une oreille attentive. Mais je n’entendis que le son délicat de doux rêves.

Je songeai au calme avant la tempête, sans doute un faux espoir que nous lançait Ciaran. Je m’attendais à me retrouver brusquement réveillée par les hurlements des jumelles. Mais j’étais si fatiguée que je préférai retrouver mon corps et plonger dans mon propre monde des rêves. Je voulais profiter de cette accalmie, de ce silence apaisant qui planait dans tout le manoir. C’était agréable, et j’étais si éreintée…

Quand j’ouvris de nouveau les yeux, je fus quelque peu surprise de me retrouver dans la chambre de mes parents. À y regarder plus attentivement, cependant, je remarquai quelque chose de différent. Mon père n’était pas là, première chose étrange car il était impossible de le sortir de sa chambre depuis des jours. Je regardai autour de moi, confuse, quand je remarquai un papillon aux ailes bleues bordées de noir voleter non loin. Asling… songeai-je aussitôt. Je repensai soudain à ce que m’avait dit Rhen sur le Dieu des Rêves. Était-ce un message de sa part ? Que voulait-il me montrer ?

Il faisait nuit, mais, malgré l’obscurité je remarquai l’absence de pétales fanés au sol. Une délicieuse odeur de fleurs fraîches embaumait l’air. Étrange

Une ombre bougea dans le grand lit. En m’approchant, je reconnus la silhouette fluette de ma mère, étendue dans ses couvertures fleuries. Des belles-de-nuit bleues pendaient au-dessus de sa tête, splendides et vivaces, déployant leurs tiges emmêlées dans le plafond de velours. Je sentis mon souffle se couper et les larmes me monter.

En m’approchant encore d’un pas, je me figeai. Ma mère avait ouvert les yeux et tourna un regard brouillé vers moi. Un sourire étira ses lèvres gercées. Je sentis les larmes couler.

— Je me demandais quand vous viendriez me rendre visite, dit-elle d’une voix rauque.

Je sursautai et me retournai. Face à moi, je découvris Ciaran, la mine lugubre. Il me transperçait de son regard si particulier. Quand il avança d’un pas dans la pièce, j’en reculai de deux avant de réaliser que ce n’était pas moi qu’il regardait. Discrètement, sans le quitter des yeux, je contournai le lit, m’éloignant le plus possible de lui.

Le dieu braqua un regard sombre sur ma mère. Il semblait presque désolé pour elle. Je serrai les dents. Mère souriait.

— Pour être honnête, s’amusa-t-elle, je pensais que le dernier visage que je verrais avant de m’éteindre serait celui de Zaros. Mais… eh bien, j’imagine que je peux me sentir honorée peu importe le dieu qui vient me voir.

Il resta silencieux, et le sourire de ma mère ne bougea pas.

— Vous l’avez gardé, finit-il par dire d’une voix étrangement éraillée. Pourquoi ?

Je le regardai, abasourdie. Il lui demandait… pourquoi ? J’étais perdue.

Mère détourna les yeux et regarda distraitement par la fenêtre.

— La nuit est splendide, n’est-ce pas ? sourit-elle comme ailleurs. J’ai toujours aimé regarder les étoiles.

— Vous n’avez pas…

— Je n’ai jamais compris, poursuivit-elle sans vraiment l’écouter, pourquoi la nouvelle lune était à ce point crainte.

Elle se tourna vers lui. Je fus surprise de voir l’expression du dieu. Il semblait si jeune, si vulnérable, comme un enfant dont la surprise paraissait sincère. C’était… désarmant.

— Comment aurais-je pu faire du mal à mon bébé pour quelque chose dont il n’était pas responsable ? Parce que des gens ont décidé que cette période était maudite, parce qu’ils ont peur de vous…

J’en avais les larmes aux yeux. J’étais bien d’accord et fus soulagée d’entendre ma mère parler ainsi. D’autant que ces mots semblaient faire écho dans l’esprit du dieu dont le regard brillait de larmes contenues. À cet instant, il me faisait cruellement penser à un enfant.

Mère lui tendit la main. Ciaran hésita un instant avant de la lui prendre.

Alors qu’elle s’apprêtait à dire quelque chose d’autre, tout devint flou. Je commençais à me sentir partir, comme tirée en arrière par un ruban de soie à la fois si fort et si fragile.

— Non, non, non !

Je me débattis. Je ne voulais pas partir, je voulais la voir encore un peu, savoir d’où venait cette expression, cette douleur et cette tristesse dans les yeux de Ciaran. Je voulais savoir quelles avaient été les derniers mots de ma mère à ce dieu qui nous avait tant fait souffrir. Je voulais…

Mais plus je me débattais et plus on me tirait en arrière, loin de la scène qui s’étrécissait, loin de ma mère qui souriait.

— Maman ! criai-je en larmes. Maman, je t’en prie ! Regarde-moi !

Alors que je me sentais partir pour de bon, alors même que la scène s’estompait, je vis Ciaran relever la tête et me jeter un regard aussi surpris que le mien. M’avait-il… entendue ?

Je n’eus pas le temps de me poser plus de questions que déjà la scène se dissipa. Et tout devint noir. Je me réveillai, battant lentement des paupières et regardai autour de moi, encore un peu perdue. J’étais à nouveau dans ma chambre.

Il me fallut un moment avant de me souvenir de mon rêve.

— Mère…

Je me levai d’un bond et me précipitai à l’étage retrouver la chambre de mes parents. Mais, quand j’y entrai, je n’y trouvai qu’un grand lit vide et des centaines de fleurs fanées. Mes espoirs s’effondrèrent sur eux-mêmes. Je m’approchai doucement, effleurant du bout des doigts les draps blancs. Père n’avait pas dû y dormir depuis des jours…

— Adaline ?

Je sursautai et découvris Marietta à la porte.

— Est-ce que ça va ?

— Je…

Je serrai les lèvres, les yeux brûlants. Ma sœur soupira et me serra dans ses bras.

— Tout ira bien, m’assura-t-elle. Tu verras, nous trouverons une solution à toute cette histoire.

— Les jumelles ont raison, dis-je soudain, tout ça c’est ma faute …

Marietta s’écarta brusquement et planta ses doigts dans mes épaules.

— C’est faux et tu le sais, je te l’ai déjà dit. Tu n’es pas responsable, tu m’entends ? Tu n’as pas demandé à ce dieu de tuer Calista. Tu ne lui as pas demandé de s’en prendre à nous. Tu. N’es. Pas. Responsable.

Je plongeai un regard débordant de larmes sur ma sœur. Marietta soupira et finit par me sourire, repoussant une mèche de cheveux de mon visage.

— Les jumelles sont en colère, rien de plus. Cesse de te torturer, d’accord ? Personne ici ne te tient pour responsable de cette situation.

Les larmes coulèrent. Marietta passa un bras autour de mes épaules.

— Allez, viens, allons manger un morceau. Il nous reste encore beaucoup de chose à faire.

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