La nuit avança et avait apporté sa fraîcheur. Modwen referma sa cape autour de son corps et avança silencieusement parmi les tentes du campement. David entendait des bruits de pas derrière eux.
Deux membres de la garde de Cirig les suivaient à distance. Arrivée devant la tente, la jeune femme l’invita à entrer d’un geste et lui emboita le pas.
Inspectant la tente, elle sembla satisfaite.
David s’avança doucement vers elle. Alors qu’il allait lui parler, celle-ci quitta précipitamment les lieux sans un mot. Sortant la tête de la tente pour la rattraper, David constata que les deux gardes avaient pris place de part et d’autre de l’entrée. Modwen, elle, avait déjà disparu.
Éreinté, David s’allongea sur la couche qu’on lui avait préparée. Il n’avait pas vraiment eu le temps de se poser depuis son arrivée dans Gémonia. Même parmi ses rêves les plus fous, il n’aurait jamais cru se retrouver projeté de la sorte dans un monde imaginaire. Si tant est que je ne rêve pas.
Malgré ses nombreuses interrogations, la fatigue et le confort du lit aidant, David s’endormit. Il se réveilla en sursaut, regardant autour de lui, la lampe dans sa tente était toujours allumée. Il n'avait pas quitté Gémonia.
Merde, c’est trop cool. Ce n’est pas un rêve, sinon je serais revenu chez moi. C’est sûr.
L’esprit parfaitement éveillé, David se leva précipitamment et commença à fouiller dans sa besace à la recherche de son précieux manuel.
Bon, faut que je ponde un plan maintenant car si c’est pas Cirig qui me tue cela sera la tribu adversaire.
David feuilleta avec frénésie les pages de son livre à la recherche d'une quelconque piste à suivre. Il s’attarda quelques instants sur les pages concernant les barbares et leurs différentes tribus puis consulta la section « Magie ».
Ce n’est pas une créature qu’il invoque cet Utica c’est de la magie noire. Faudrait que je trouve le contre-sort, ou un truc pour le bloquer.
Il prit des notes de-ci delà et un plan commençait à se dessiner dans sa tête.
Bon, j’espère que Talorc pourra lancer correctement ce sort car sinon on est dans la merde.
David ouvrit l’entrée de sa tente et constata que les deux gardes ronflaient. Bravo la sécurité.
— Hum, hum.
Au bruit, l’un des gardes sursauta. Regardant autour de lui, il redressa son arme précipitamment et cria :
— On nous attaque, on nous attaque !
—Mais non, fermes-là bougre d’idiot, tu vas réveiller tout le campement. J’ai besoin de discuter d’urgence avec Talorc et Cirig.
—Euh, euh, oui bien sûr.
Le garde donna avant de partir un coup de pied à son collègue qui se redressa subitement en marmonnant:
— Je dormais pas, je dormais pas , je reposais juste les yeux .
Dans sa tente, David tapotait nerveusement le bois de la table où il s’était installé . Milles questions traversaient son esprit : et si ça marchait pas ; il se passe quoi si je meurs ici ; et si Talorc peut pas lancer le sort . Il n’entendit pas ses hôtes arriver et mit plusieurs minutes avant de se rendre compte que ces derniers le fixaient sans oser le déranger.
Quand David capta enfin le regard de Talorc, ce dernier prit la parole.
—Vous nous avez fait appeler, Aldaron.
—Euh, oui. J’ai peut-être une idée mais j’ai besoin d’en savoir plus sur certains points. La taille des troupes adverses, la protection sur le campement, s’il y aurait à proximité un lieu favorable pour nous en cas d’attaque.
—Les plans se trouvent dans ma tente, suivez-moi, vous y seront plus à l’aise pour discuter de tout cela.
Arrivé chez Cirig, David fut surpris de voir Modwen encore debout à faire les cent pas. Elle referma par réflexe sa cape pour cacher sa tenue de nuit à leur entrée. David mis quelques secondes à la reconnaître sans ses peintures bleues sur le visage. D’ailleurs, Cirig et Talorc n’en portaient plus non plus et il avait l’impression de les voir tous nus, sous un nouveau jour, moins effrayant, moins barbare.
Cirig l’emmena dans une des pièces où trônait une large table recouverte de papiers et morceaux de cailloux de couleurs.
— Voilà, en bleu c’est nous, en rouge c’est eux. Vous avez quoi en tête ?
—Hormis vos hommes, d’autres protections ?
—Ben, vous avez bien vu la palissade autour du campement et les pieux tout autour.
—Pas de protection magie ? Glyphe ?
Talorc baissa la tête.
—Je pratique surtout la magie guerrière. Au combat.
David fouilla dans ses différentes notes et tendit un des papiers à Talorc.
—Vous et vos acolytes de ce matin, vous sauriez mettre ça en place autour du camp ? Il faudrait les mettre en place ici, ici et là également, annonça David tout en désignant différents points sur la carte représentant les alentours du camp.
David sentit un petit air frais dans son dos et une odeur enivrante vint effleurer ses narines. Modwen, qu’il n’avait pas vu prendre leur suite, venait de se rapprocher de la table pour mieux voir ce qu’il désignait. Troublé, il tourna la tête vers elle. Ses yeux de glace le fixaient sans relâche, il aurait pu s’y noyer.
—C’est ardu mais ça me parait faisable, répondit Talorc en se grattant la tête.
David détourna le regard à regret et reprit l'énoncé de son plan :
—Bien, il faudra les mettre en place le plus vite possible afin de protéger le camp d'éventuelles attaques. Je suppose que vous avez mis en place des éclaireurs pour surveiller le camp adverse et éviter toute surprise.
Cirig manqua de s’étrangler:
—Certes, on est des barbares mais on connaît l’art de la guerre et on n’est pas des perdreaux de première couvée, répondit Cirig d’un ton bourru.
—Je n’en doute pas, bredouilla David. Si vous voulez gagner, il faut les devancer et les attaquer sur un terrain qui vous soit favorable, je ne vous apprends rien.
—Non, rien de nouveau. Vous voulez en venir où là avec vos bavardages d’elfe ?
—J’ai trouvé le moyen de neutraliser cet Utica et ses créatures mais pour cela il vous faut pouvoir choisir le terrain du combat. Un lieu étroit où l’ennemi ne pourra pas fuir et où vous les prendriez en tenaille. Le tout avec un emplacement où nous pourrions surplomber la scène.
Pour éclaircir son propos, David se mit à dessiner ce qu’il cherchait.
Cirig et Talorc se grattaient tous les deux la tête dans un mimétisme presque comique si la situation n’avait pas été aussi critique.
—Le coup du couloir se comprend mais cela ne sera pas suffisant, ils sont trop nombreux. On se fera démolir à nouveau surtout avec leurs créatures, répondit Cirig.
—C’est là que Talorc interviendra avec ça, reprit David en tendant un autre papier au mage guerrier. Une fois en tenaille, ils ne pourront pas échapper au sort que Talorc leur lancera et si vous pouvez choisir les lieux, vous pouvez neutraliser Utica en mettant en place cette glyphe dans le passage.
David tendit une nouvelle feuille que Talorc prit sans regarder. Il était toujours en train d’examiner la précédente. Plissant les yeux pour décrypter l’écriture de David, il blanchit au fur et à mesure de sa lecture et manqua de s’étrangler à la fin de celle-ci.
—Un problème, Talorc ? questionna Cirig.
—Si les composants sont relativement faciles à trouver, je ne peux pas en dire de même pour l’exécution du sort en lui-même.
—Non, mais ça sert à quoi que j’aie un mage d’Ogma s’il sait pas lancer des sorts ?
—C’est surtout le résultat qui m’inquiète, Cirig.
—Je ne comprends rien à ce que tu me baves là, Talorc. Va falloir être plus clair. Tu peux ou pas ?
—C’est-à-dire que je peux le lancer mais je ne peux pas vous garantir le résultat.
—Ouais, t’es pas foutu de savoir si ça va marcher quoi. Tu me refais le même coup que la dernière fois quoi. Mage d’Ogma et même pas foutu d’invoquer l’avatar de son dieu. Sauf votre respect, Aldaron.
—Il n’y a pas de quoi.
—Non, mais j’ai plus de mots là, Talorc, poursuivit Cirig. J’en peux plus, c’est ça. J’en ai plein le cul, qu’est ce qui m’a foutu des glands pareils pour gagner une guerre, sérieusement. Qu’est-ce que j’ai fait à Ogma pour mériter une bande de branques pareil. Pas étonnant que Théodgar se foute de ma gueule sur le champ de bataille.
La stature de Talorc se ratatinait de plus en plus, Cirig semblait pris dans une logorrhée sans fin. Après quelques minutes, Talorc se redressa qu’un coup :
— Mais, pourquoi vous ne le lancez pas vous-même, Aldaron ? Vous êtes haut-mage, non ? C’est les doigts dans le nez pour vous ça.
David se pétrifia sur place, ce qu’il avait redouté était en train de se produire.
Parce que je peux pas lancer de sort, bordel. Je suis même pas elfe alors mage, n’en parlant pas. Je peux pas leur dire ça, ils vont me défoncer. Dans quel merde je me suis mis ? Pourquoi j’ai proposé d’aider pour le plan, moi ?
—J’ai accepté de vous aider à trouver un plan mais pas de participer. Je ne peux mêler le peuple elfe à vos guerres internes. Il me semblait que cela était clair lors de notre première discussion.
—Eh, chef celui-là je peux le faire. La glyphe là, les yeux fermés même, coupa Talorc fier de lui.
Cirig ne prit même pas la peine de répondre, il fixait sans relâche le plan dessiné par David. Il semblait tiraillé entre colère et résignation. David le vit serrer son poing à en faire blanchir ses doigts.
—Il est vrai. Vous m’offrez le plan parfait mais sans le mage pour lancer les sorts. Si Talorc le fait, il risque de nous tuer au passage avec les autres. Alors ne m’en veuillez pas si je trouve votre pseudo neutralité raciale malvenue. De tout temps, des elfes se sont mêlés de nos affaires sans qu’ils y soient les bienvenus, alors mettre en avant cela c’est se foutre de ma gueule. Cirig darda ses yeux froids sur David.
—Euh, Cirig, tenta Talorc. Rien ne sert de vous emporter : de toute façon on n’a pas de lieu comme ça, ajouta Talorc en levant les paumes vers le ciel.
Cirig tourna la tête vers Talorc, prêt à répliquer puis la tension de son visage disparut.
—Tu as raison, Talorc. Levant la tête vers David : Excusez-moi, Aldaron. Je ne peux vous obliger à participer à une bataille qui n’est pas la vôtre mais je sais que vous comprenez que la survie de ma tribu guide chacun de mes actes et de mes paroles. Merci d’avoir pris le temps, nous sommes tous fatigués. Retournons-nous coucher.
David soupira de soulagement. Il commençait à s’attacher à cette tribu mais il n’osait pas leur avouer la vérité. Ils ne le croiraient pas et cela détruirait tous leurs espoirs. De plus, il était trop tard maintenant.
La mine défaite, Cirig se dirigea vers sa couche, tandis que David et Talorc se dirigèrent vers la sortie. Modwen fixait toujours le plan dessiné par David, presque hypnotisée.
— Il existe ce lieu, père. Près du passage de Trimpens, par l'ouest.
Modwen entreprit de fouiller la table à la recherche d’un document. Elle tira triomphalement un parchemin de la pile et le déplia.
—Là, regardez. Montrant un point sur la carte, elle ajouta : Il y a un promontoire ici.
Le chef des Scythes posa sur sa fille des yeux emplis de fierté paternelle.
Cirig et Talorc examinaient la carte et hochaient la tête.
—Elle a raison. Cela pourrait marcher, dit Talorc.
—Maintenant, le tout est de savoir si nous prenons le risque ou non de te faire lancer ce sort. Si tu échoues, nous mourrons tous et ils mettront le campement à feu et à sang.
La conscience de David le tiraillait. Devait-il leur avouer son incompétence ? Accepter au risque que le sort ne fonctionne pas ? Ou laissait Talorc prendre la responsabilité d’un échec ?
Cirig, Talorc et Modwen continuaient leur discussion, déplaçant les cailloux de couleurs pour représenter la scène, essayant d’entrevoir une autre possibilité ou prenant le risque de laisser l’avenir des Scythes sur les épaules de Talorc.
— Je vais le faire.
Les mots étaient sortis tout seuls de sa bouche. David ne pouvait se résigner à les abandonner. Lui qui rêvait d’être le sauveur, de prouver sa valeur, de vivre sa propre aventure, il ne pouvait laisser cette chance lui échapper. Il attendait ce moment depuis si longtemps et on lui offrait sur un plateau. Si une quelconque force avait œuvré pour l’amener ici, David se disait qu’il devait bien y avoir une raison et qu’il devait jouer son rôle jusqu’au bout. Peut-être que cette force serait de nouveau à ces côtés, qui sait ?
— Je vais le lancer ce sort, mais Talorc, vous allez devoir me fournir les composants. Je vous laisse gérer les glyphes.
Sans laisser le temps aux autres de répondre, David ajouta :
—Si vous voulez bien m’excuser, j’ai besoin de me reposer maintenant et de me préparer. Ce sort va me demander une longue préparation.