Chapitre 4

Par Mimi

 

Bertille sortit de classe la dernière. Elle espérait toujours que Mademoiselle Hélène l’autorise à rester dans la classe pendant la récréation, mais ça n’arrivait jamais. Elle se voyait toujours renvoyée à l’extérieur par la maîtresse, qui employait exactement les mêmes arguments que son père :

-       Va t’amuser dehors avec les autres ! C’est important de bien prendre l’air et d’être avec d’autres enfants.

Bien sûr. Aux yeux de Bertille, les autres enfants étaient une menace, toujours à la chercher, à l’asticoter, à l’embêter. Aux yeux des adultes, ils étaient tous d’adorables compagnons de jeux, toujours partants pour intégrer un camarade solitaire. Elle ne rentrait jamais dans ce genre de débat avec les grandes personnes qui étaient trop vieilles pour comprendre, de toute façon.

Elle plongea les mains dans ses poches pour les protéger du vent glacial de février et fonça vers son coin préféré sous le préau. Elle s’assit à même le sol et observa la porte de son cagibi et les garçons qui jouaient toujours au basket sans se douter de ce que le débarras renfermait, ni du pincement au cœur que Bertille ressentait à chaque fois que le ballon frappait le bois de la porte, comme si chaque coup assené au panneau finirait par leur révéler le trésor qu’il dissimulait.

Elle vit quelqu’un approcher d’elle. Espérant au départ que la personne ne venait pas la voir elle mais se déplaçait seulement dans sa direction, elle tenta de rester impassible en voyant des pieds menus intégrer son champ de vision. Bertille avait de grands pieds pour son âge, son surnom de « Berthe-au-grand-pied » était tout trouvé pour Adélaïde. Tout le contraire d’Isabeau, qui était pourtant plus âgée qu’elle.

-       Bonjour Bertille, dit Isabeau en souriant. Je peux venir m’asseoir avec toi ? Je ne connais personne encore.

Bertille la dévisagea, stupéfaite. D’habitude, les nouveaux étaient accaparés par tout le monde dès leur arrivée, ils devenaient l’attraction, la chose étonnante dans la ritournelle des jours d’école.

Il n’y avait personne autour d’Isabeau. Personne ne semblait s’intéresser à elle.

Bertille se demanda si c’était parce qu’elle était un peu bizarre, ou si c’était là juste un moyen de mieux l’humilier devant tout le monde en la laissant tomber comme une vieille chaussette après lui avoir fait croire qu’elle voulait devenir son amie.

Bertille était habituée aux moqueries. Ce ne serait pas quelques-unes de plus qui changeraient les choses. Aussi accepta-t-elle d’un signe de tête qu’Isabeau s’installe à côté d’elle. Bertille intercepta le regard de plusieurs filles de sa classe qui les lorgnaient avec surprise, se demandant sans doute ce que la nouvelle pouvait bien trouver à Bertille, et se disant probablement qu’elle ne valait pas le coup de s’y intéresser.

-       Ils sont étranges, les gens de cette école, non ? demanda Isabeau. Personne n’est venu me dire bonjour, et j’ai l’impression que je les ai un peu énervés en répondant aux questions de M. Fauripré. Ils n’ont pas l’air de beaucoup aimer les gens qui ont de bonnes notes.

Bertille haussa les épaules en soupirant. Elle non plus ne comprenait pas pourquoi. Elle ne faisait pourtant rien de mal.

Elle n’osa pas se tourner vers Isabeau dont elle sentait le regard perçant posé sur elle. Elle se concentra sur le tronc de l’un des grands platanes de la cour, planté dans le macadam à quelques mètres devant elle.

-       Alors, tu ne m’as pas dit ce que tu cachais dans le placard, là-bas, dit soudain Isabeau en montrant la direction du cagibi, devant lequel les mêmes garçons se disputaient le ballon de basket.

Bertille ne les aimait pas beaucoup. Ils s’arrangeaient toujours pour que le ballon l’atteigne lorsqu’elle essayait d’atteindre la porte de la cuisine.

-       Rien de spécial, mentit-elle. C’est juste un placard avec de vieux bureaux et de vieilles chaises, ceux qui servaient il y a cinquante ans et qui remplacent lorsque quelqu’un casse le sien.

-       Oh, je vois, fit Isabeau qui n’avait pas l’air de la croire. C’est intéressant.

Au moins avait-elle compris que Bertille ne voulait pas parler de ça.

-       Tu habites ici alors.

Ce n’était pas une question. D’ailleurs, Isabeau le savait bien puisqu’elle avait visité l’école la veille.

-       Depuis combien de temps ?

-       Depuis mon CE1. Avant, mon père était directeur de l’école maternelle et ma mère travaillait ici. Et puis l’ancienne directrice est partie à la retraite et mon père est devenu directeur, et on a commencé à habiter le logement de fonction.

Bertille serra les poings dans ses poches en attendant la question fatidique.

-       De quoi elle est morte, ta mère ? demanda Isabeau d’une voix très calme.

Bertille souffla un peu d’air. Le mot lui faisait toujours mal mais ça commençait à aller mieux.

-       Elle a eu un cancer.

Isabeau acquiesça. Elle n’avait pas l’air gênée du tout. Bertille trouva ça épatant. Beaucoup de monde disait se disait désolé, comme si le simple fait d’en parler les rendait en partie responsable de sa mort.

-       Comment tu as su qu’elle était… - Bertille déglutit - …morte ?

-       Il n’y avait personne d’autre chez vous dimanche. Et Mademoiselle Hélène est trop jeune pour avoir une fille de neuf ans…

-       Dix ans, rectifia Bertille, qui avait fêté son anniversaire au début du mois.

-       …et l’autre institutrice est trop vieille, poursuivit Isabeau.

-       Madame Sybille.

-       En plus, comme tu étais là hier, tes parents ne sont pas divorcés. Ça m’a semblé être la solution la plus probable, conclut Isabeau.

Bertille l’observa en coin, impressionnée. Elle ne s’était jamais dit que Mademoiselle Hélène était jeune ou Madame Sybille vieille. Elles étaient là depuis toujours ou presque.

-       Mon père aussi est mort, dit Isabeau d’un ton dégagé. Mais ça fait longtemps.

Bertille ne sut pas quoi dire. Elle n’avait jamais rencontré quelqu’un comme ça, et elle ne savait pas quoi dire à propos du père d’Isabeau. Elle se rappela qu’Isabeau ne l’avait pas beaucoup connu et préféra ne rien dire. Selon son expérience, elle trouvait ça mieux comme ça.

La sonnerie retentit dans la cour. Isabeau sursauta et rit un peu de sa propre surprise. Bertille, qui avait vu son père s’approcher du bouton de la sonnerie, ne tressaillit même pas.

-       Cette sonnerie me fait peur à chaque fois ! remarqua Isabeau.

Elle se leva. Bertille se redressa à son tour en s’aidant du mur.

-       Je ne mange pas à la cantine, l’informa Isabeau avec un air désolé.

Bertille haussa les épaules.

-       Moi non plus. J’habite ici, tu sais, dit-elle en souriant un peu.

-       On se voit cet après-midi alors ? proposa Isabeau. Je ne supporte déjà plus les idiotes de ma classe.

Elle s’éloigna en courant. Bertille la regarda retourner dans sa classe en se demandant toujours si elle jouait la comédie ou si elle voulait sincèrement devenir son amie.
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Fannie
Posté le 16/02/2020
On dirait qu’Isabeau a aussi de la peine à s’intégrer. C’est étrange que les autres élèves n’aient même pas essayé de lui parler. Y a-t-il quelque chose dans son aspect extérieur, dans son attitude ou son langage corporel qui les tient à l’écart ?
Durant ma scolarité, chaque fois que je repérais une élève qui était apparemment à part, j’allais vers elle. Je ne sais pas si mon attitude les a encouragées, mais ces filles ont trouvé d’autres amies et se sont intégrées, je n’ai jamais compris comment…
Isabeau a l’air directe et elle ne fait pas de chichis. Si j’étais à la place de Bertille, je lui laisserais sa chance et j’ai l’impression que c’est ce qu’elle va faire.
Coquilles et remarques :
— d’adorables compagnons de jeux [compagnons de jeu]
— Elle s’assit à même le sol et observa la porte de son cagibi et les garçons qui jouaient toujours au basket [pour éviter d’avoir deux fois « et », je propose « pour observer ».]
— ni du pincement au cœur que Bertille ressentait [C’est bizarre de rappeler son prénom à cet endroit ; « qu’elle » suffirait parce qu’il ne pourrait pas s’agir de quelqu’un d’autre.]
— comme si chaque coup assené au panneau finirait par leur révéler [« si » suivi d’un conditionnel, ça sonne mal ; je propose « comme si chaque coup (…) allait finir par (...) »]
— Ils s’arrangeaient toujours pour que le ballon l’atteigne lorsqu’elle essayait d’atteindre la porte de la cuisine [Pour éviter la répétition, je propose « que le ballon la touche (ou la frappe) » ou « lorsqu’elle essayait de rejoindre la porte ».]
— Beaucoup de monde disait se disait désolé, [Il y a un « disait » en trop.]
— comme si le simple fait d’en parler les rendait en partie responsable [responsables]
— Selon son expérience, elle trouvait ça mieux comme ça. [Pour éviter de répéter « ça », je propose « elle trouvait que c’était mieux comme ça ».]
Mimi
Posté le 05/03/2020
J'étais un peu pareil, je me faisais des amis des gens dont personne ne voulait ^^
Merci pour les coquilles ! Eh bien, il y en a plus que je ne le pensais…
Jupsy
Posté le 10/04/2016
Oh c'est mignon !
Bertille va se trouver une nouvelle amie. En plus Isabeau est toute gentille. J'aime bien aussi la manière dont elle parle, c'est très franc je trouve. Elle n'hésite pas à dire que les autres sont bizarres. Elle ose même parler de la mère de Bertille, qui est morte d'un cancer avant d'évoquer le fait que son père est mort aussi. Je suis sûre qu'elles vont bien s'entendre toutes les deux, qu'elles vont vivre des jolies choses ensemble. J'ai hâte de découvrir la suite de leurs aventures, mais je dois marquer une pause !
Je reviendrai Mimi car j'aime vraiment ta plume. Tu rends la vie de tous les jours tellement attractive alors que j'ai l'habitude de fuir ce genre d'histoires !  J'aime la façon dont tu racontes les choses, les personnes que tu crées tellement authentiques et attachants. Bref je reviendrai, c'est promis !
Mimi
Posté le 10/04/2016
Merci des milliards de fois Jupsy pour tes commentaires si endiablés, si emportés, si chouettes :-) Je suis sur un petit nuage tellement mes chevilles ont gonflé à la lecture de tes réactions ! J'espère te revoir ici bientôt donc !!!
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