Bertille attendait avec une certaine impatience le moment de la récréation de l’après-midi. La bonne élève qu’elle était suivait tout de même la leçon de sciences de Mademoiselle Hélène, mais elle avait du mal à se concentrer sur le documentaire que la maîtresse leur diffusait. Le menton posé dans ses mains croisées sur son bureau, elle regardait le téléviseur avec ennui. Elle n’avait jamais beaucoup été intéressée par les chats.
La classe était plongée dans l’obscurité. Bertille entendait vaguement ses camarades bavarder de l’autre côté de la salle, pensant que le son du film couvrait leurs murmures.
- Le chat est un prédateur très bien adapté à la chasse dans l’obscurité. L’arrière de son œil est tapissé d’une matière réfléchissante qui lui permet de capter plus de lumière, un peu comme si le fond de son œil était recouvert d’aluminium. C’est pour cela que ses yeux brillent dans le noir, même s’il y a peu de lumière. Le chat dispose aussi d’un dos très élastique qui permet à son corps de s’étendre…
Bertille reçut soudain un projectile sur le sommet de son crâne. Elle ferma brièvement les yeux. Elle avait eu la paix toute la matinée, elle aurait dû se douter que ça ne durerait pas.
Elle ramassa la boulette de papier qui avait atterri non loin de son cartable : elle détestait qu’on ne respecte pas le travail de la maman de Jimmy. Elle ne prit même pas la peine de déchiffonner la boule, elle savait ce qu’elle trouverait à l’intérieur. Un dessin d’elle et de grands pieds difformes, pleurnichant de ne pas trouver sa maman, par exemple. Ils ne faisaient jamais preuve d’imagination.
Elle les entendait ricaner, et elle comprit pourquoi ils chuchotaient si fort au lieu d’écouter la leçon. Elle qui se croyait à l’abri dans la pénombre du fond de la classe de Mademoiselle Hélène… Elle ne put empêcher une larme de dévaler sa joue et disparaître dans la manche de son pull en les entendant marmonner encore des méchancetés sur Berthe-au-grand-pied. Si Mademoiselle Hélène s’était doutée des conséquences qu’aurait sa leçon…
Au bout d’un moment interminable, la maîtresse éteignit le vieux magnétoscope et ralluma la lumière. La classe était redevenue totalement silencieuse, sage comme une image.
Isabeau attendait juste derrière la porte de la classe. Elle était assise sur la dernière marche du petit escalier et avait le nez pointé en l’air, dévisageant tous ceux qui sortaient de la salle.
- Tu sors toujours la dernière, affirma-t-elle en se relevant. Les autres te font peur ?
- Je me fais pousser dans les escaliers, reconnut Bertille, se disant qu’Isabeau l’aurait appris d’une autre façon si elle ne le lui avait pas dit et qu’elle ne cherchait certainement pas à lui nuire.
- Les gens d’ici sont vraiment bizarres, répéta Isabeau.
Bertille se dirigea naturellement vers son coin préféré du préau, afin de garder son cagibi à l’œil sans avoir à trop tourner la tête et réveiller la curiosité d’Isabeau.
- En fait, je devrais être en CM1, dit Isabeau.
Elle s’était assise à côté de Bertille et regardait ses pieds comme si elle venait de lui confier un secret immense.
- J’ai pas encore dix ans. Mon anniversaire est en mai. C’est pour ça que je pensais que tu avais neuf ans.
- Oh, fit Bertille.
Elle se sentait en sécurité avec Isabeau, même si elle était plus petite qu’elle.
- Qu’est-ce qu’elle fait ta mère ? Pourquoi elle est au Japon ?
- Elle est chorégraphe, dit Isabeau en déroulant soigneusement le mot « chorégraphe ».
- Elle fait un spectacle de danse au Japon ? De la danse japonaise ?
- Non, de la danse contemporaine, pas en costumes traditionnels.
Bertille ne savait plus quoi demander à Isabeau sans paraître impolie, pourtant elle avait envie d’en apprendre davantage sur elle.
- Ça va mieux dans ta classe ? Les autres te parlent un peu ?
- Bof, dit Isabeau en haussant les épaules. Je m’en fiche un peu, ils n’ont pas l’air très intéressants. Ils sont très bavards, alors que le cours de M. Fauripré était passionnant.
- C’était quoi ?
- Une légende liée à la ville.
- Oh, soupira Bertille, celle-là. Tu m’étonnes que personne n’ait écouté, on y a droit tous les ans.
- Oui, mais moi je ne l’avais jamais entendue, objecta Isabeau. Ils auraient pu penser un peu à moi.
- Ça, ils ne savent pas faire. C’est la première fois que tu viens chez ta tante ?
- Non.
- Elle ne t’en a jamais parlé ?
Isabeau fit non de la tête. Elle semblait infiniment intéressée par l’histoire de la ville, mais Bertille n’avait pas le courage de la lui raconter.
- Je t’en parlerai une autre fois. Là mon père va sonner et ce sera le moment de rentrer.
En fait, M. Fauripré se tenait très loin de la sonnerie, emmitouflé dans son vieux manteau délavé, pas du tout en route vers sa classe. Ce n’était qu’un prétexte pour Isabeau.
- Oh, très bien, tu me raconteras un autre jour.
À ce moment-là, un ballon fusa vers Bertille et rebondit sur le mur à quelques centimètres au-dessus de sa tête. Isabeau se leva d’un bond.
- HO ! hurla-t-elle à l’intention des garçons qui jouaient au football sous les platanes.
L’un d’eux déboula en courant et se planta devant elle, qui tenait le ballon sous son bras. Il s’appelait Olivier, il était dans la classe de Bertille et faisait partie du groupe qui lui balançait des projectiles. Il tendit la main mais Isabeau refusa de la lui rendre.
- Des excuses ? Ce n’est pas une question, précisa-t-elle.
Le garçon haussa les sourcils. Bertille crut qu’il allait lui éclater de rire au nez. Nul doute qu’elle serait leur prochaine cible.
La cour était légèrement plus silencieuse. Beaucoup d’élèves s’étaient retournés pour observer la scène.
Comprenant qu’il n’avait pas l’intention de s’excuser, Isabeau lui jeta le ballon dans la figure.
- Achète-toi des lunettes, lui lança-t-elle. Toi attaquant, avec ta visée, ça craint.
Surpris, Olivier ne parvint pas à rattraper le ballon, qui roula sur le sol. Il regarda rapidement vers les autres joueurs qui les observaient, espérant ne pas avoir été vu, ramassa la balle et s’enfuit avec un demi-sourire.
- Il faut les ignorer, expliqua Bertille lorsqu’Isabeau revint s’asseoir près d’elle. Ils ne demandent qu’à te voir réagir.
- Bien sûr que non, répliqua Isabeau. Il faut que tu réagisses, et que tu les agaces, et ils n’auront pas envie de recommencer. Si tu les laisses faire, ils risquent de trouver ça amusant. Ils savent bien que tu ne montres pas ton énervement.
Les footballeurs, auparavant hilares, semblaient un peu étonnés par l’intervention fracassante d’Isabeau. Bertille repensa à toutes les fois où elle avait pris sur elle sans rien dire et se dit qu’elle avait peut-être raison.
On n’a toujours pas vu Jimmy, dont tu as parlé plus d’une fois. Je suis impatiente de le rencontrer. Les amis de Bertille ne peuvent qu’être des gens intéressants. :-)
Remarques :
— Ils sont très bavards, alors que le cours de M. Fauripré était passionnant. [Bien que ce soit un dialogue, l’enchaînement du présent (indiquant une généralité) suivi de l’imparfait (qui se rapporte à un cours précis) est dérangeant. Tu pourrais contourner le problème avec une phrase comme : « Ils sont très bavards, même quand un cours est passionnant, comme celui de M. Fauripré ».]
— expliqua Bertille lorsqu’Isabeau revint s’asseoir [l’élision de « lorsque, puisque et quoique » se fait généralement avec les pronoms « il, elle et on », devant « un, une et en », ainsi que devant « avec, aussi, aucun et enfin » ; « lorsque Isabeau » serait préférable, mais certains grammairiens autorisent l’élision.]
— Bertille repensa à toutes les fois où elle avait pris sur elle sans rien dire et se dit qu’elle avait peut-être raison. [Pour éviter la répétition du verbe « dire », je propose : « Bertille songea (ou réfléchit) à toutes les fois où elle avait pris sur elle sans rien dire et pensa qu’elle avait peut-être raison. »]
Merci encore pour les commentaires ! Ils sont bien construits et très utiles !