Chapitre 7

Par Mimi

 

-       Il y a longtemps, au Moyen-Âge, la mairie était encore un château fort habité par le baron de Concorde, expliqua Bertille en tournant les pages du livre qui montrait quelques photos accompagnées de commentaires.

-       Tu veux dire que la mairie de la ville est en fait un château fort ? s’exclama Isabeau, impressionnée.

Bertille ne se sentait plus du tout ennuyée de lui raconter ce conte qu’elle avait mille fois entendue. L’histoire de Jimmy avait piqué sa curiosité.

-       Oui, affirma-t-elle. Il est même situé sur une île au milieu d’un lac, et il est relié au reste de la ville par un pont qu’on ne peut traverser qu’à pied !

Elle appuya ses dires en désignant une photo sur le livre, qui représentait le château depuis le parc qui constituait le reste de l’île.

-       Pourquoi seulement à pied ? s’étonna Isabeau.

-       Les voitures qui passent abîment le pont. Il commence à s’écrouler. Alors les voitures n’ont plus le droit de passer.

Bertille ne précisa pas que la rénovation du pont avait été un sujet de dispute incessant dans la ville quelques années auparavant. Ce n’était pas très intéressant de toute façon. Elle préféra continuer son histoire.

-       Le baron était un homme égoïste qui ne pensait qu’à agrandir le territoire qu’il gouvernait. Il avait donc prévu de marier sa fille au marquis voisin, qui était un vieux débris qui lui aussi rêvait de contrôler une région plus grande encore.

-       J’ai déjà lu une histoire comme celle-là, intervint Isabeau.

-       Ça se faisait beaucoup à l’époque, déplora Bertille. Mais comme tu t’en doutes…

-       …sa fille était déjà amoureuse.

-       Exactement. Elle s’appelait Jehanne, et elle était amoureuse de Gustave, qui n’était ni riche ni noble, autant dire qu’il n’y avait aucune chance pour qu’ils se marient un jour. Jehanne essaya tout de même de parler de son amour à son père, mais celui-ci ne pensait qu’à lui et refusa catégoriquement. Il ordonna même que Gustave soit arrêté et emprisonné ! Alors, Jehanne le trouva avant les soldats, descendit avec lui à la gare à bateaux, dans les sous-sols du château, et lui dit de se cacher dans une barque, lui promettant de revenir. Mais c’était sans compter sur le baron…

-       Pourquoi est-ce que ton livre est tout gribouillé ? demanda soudain Isabeau, penchée sur les pages.

Etonnée par cette question inattendue, Bertille laissa inconsciemment retomber l’ouvrage devant elle. Isabeau le rattrapa et examina d’un peu plus près le texte.

-       Oh… finit par dire Bertille. Il appartenait à ma mère. Aucune importance. Je continue l’histoire…

-       Donc, Gustave s’est caché dans la barque pour échapper aux soldats. Ils ont fini par le retrouver ? demanda Isabeau sans insister sur le sujet.

-       Attends. Il enferma Jehanne dans sa chambre et ses hommes finirent par trouver Gustave.

Isabeau haussa les sourcils, inquiète de connaître la suite.

-       Ils le jetèrent du pont, dans les eaux glacées, et il ne revint jamais à la surface.

-       Mais c’est horrible !

-       C’est pas fini ! poursuivit Bertille d’un ton théâtral. Jehanne, qui avait vu la scène depuis sa chambre, devint complètement folle après ça. Elle passa le restant de sa vie à refuser la mort de son amant. Elle le chercha pendant des années, sur le lac, à hurler son nom, espérant le retrouver un jour. Certains pensent qu’elle est morte noyée, et qu’elle continue de hanter le lac à la recherche de son cher Gustave.

Fascinée, Isabeau, qui s’était redressée vers Bertille pour mieux l’écouter, retomba sur les oreillers.

-       Je n’avais jamais entendu une histoire pareille ! Tu crois qu’elle est vraie ? Tu crois que c’est Jehanne que la sœur de Jimmy a vue sur le lac ?

-       Je ne sais pas, admit Bertille sans dissimuler son excitation. Il ne m’a rien dit de plus. Il n’a pas l’air d’y croire…

Isabeau se leva et traversa le cagibi en faisant les cents pas. Elle semblait bouillonner à l’intérieur, comme si l’histoire que lui avait racontée Bertille venait de réveiller des centaines de questions dans son esprit.

-       Il faudrait qu’on y aille ! s’écria-t-elle.

-       Il faudrait d’abord qu’on lui demande de nous expliquer un peu mieux que ça ce qui se passe et ce que sa sœur a vu, objecta Bertille. Il ne la prend pas très au sérieux je pense, il dit qu’elle regarde trop de films.

Isabeau haussa les épaules.

À ce moment-là, on frappa à la porte. Isabeau se retourna, surprise, et le père de Bertille se glissa par l’ouverture.

-       Ta tante est arrivée, annonça-il en ouvrant grand la porte pour faire apparaître la dame qui avait accompagné Isabeau lors de sa visite de l’école.

-       Bonsoir Isabeau. On y va ? a demandé sa tante en croisant les bras sur son joli sac à main violet brillant.

Isabeau ramassa son cartable qui gisait à côté de la porte.

-       Merci pour l’histoire Bertille, a lancé Isabeau avec un clin d’œil. On a intérêt à tirer ça au clair !

Le père de Bertille fronça les sourcils alors qu’Isabeau lui passait devant. Bertille se planqua derrière son livre, à moitié ensevelie par les coussins.

-       Tu n’oublieras pas tes devoirs, lui rappela-t-il. Et il faudra qu’on parle d’un certain contrôle qui a eu lieu ce matin, il paraît que tu n’avais pas travaillé ta leçon, ajouta-t-il d’un ton infiniment sévère, qu’il réservait d’ordinaire aux élèves dissipés, avant de raccompagner Isabeau et sa tante.

Bertille attendit que la porte se referme pour ranger le livre sur l’étagère. Elle avait profité d’avoir terminé en avance les derniers exercices de grammaire, en fin de journée, pour faire ses devoirs. Quant à son contrôle, elle l’avait oublié après la visite d’Isabeau et de sa tante, préférant se plonger dans un bon livre ayant appartenu à sa mère au lieu de s’intéresser à des gens oubliés depuis longtemps juste parce que l’école l’exigeait. Mais plutôt mourir que d’expliquer ça à son père.
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Fannie
Posté le 18/02/2020
Outre le fait que c’est cruel, tuer un roturier parce qu’il aime une jeune fille de la noblesse qu’on veut marier à un homme de son rang n’est pas judicieux. Il n’y a qu’à voir le résultat.
Maintenant qu’on connaît l’histoire, il reste à savoir si les fantômes sont censés exister dans la réalité de ton roman, donc si le lecteur doit y croire lui aussi. Maintenant, je crois qu’on peut considérer que Bertille et Isabeau sont « officiellement » amies.  :-)
Coquilles et remarques :
— ce conte qu’elle avait mille fois entendue [entendu]
— Ce n’était pas très intéressant de toute façon [J’ajouterais une virgule avant « de toute façon ».]
— au marquis voisin, qui était un vieux débris qui lui aussi rêvait [Pour alléger la phrase (et pour éviter d’avoir deux subordinations introduites par qui), j’enlèverais « qui était ».]
— Etonnée par cette question inattendue [Étonnée ; l’Académie française recommande de mettre les accents sur les majuscules, tout comme Grevisse.]
— et traversa le cagibi en faisant les cents pas [cent]
— Bonsoir Isabeau. On y va ? a demandé sa tante [Virgule avant « Isabeau » / demanda ; il faut rester au passé simple / d’ailleurs, le verbe demander n’est pas adéquat parce que « Bonsoir, Isabeau » n’est pas une question ; il faut donc se rabattre sur « dit » ou « fit ».]
— Merci pour l’histoire Bertille, a lancé Isabeau [lança ; passé simple]
— Bertille se planqua derrière son livre [« se planquer » est familier ; le rencontrer dans un récit au passé simple me semble incongru.]
Mimi
Posté le 05/03/2020
Contente de voir que tu t'accroches ! Merci pour les fautes !
Sad
Posté le 15/04/2016
Elle est vraiment toute mignone cette histoire :)
Bon, l'histoire de Jehanne, un peu moins, d'accord... Mais c'est pas grave. Une légende médiéval comme décors, c'est toujours bien.
J'ai hâte qu'on voit ce chateau fort. J'adore les chateaux fort ;)
Mimi
Posté le 15/04/2016
Oh c'est chou Sad ! Merci pour le re-passage ^^
Oui les légendes c'est jamais très féministe et joyeux, mais il y a un côté désuet que j'aime bien. Pour celle-là, je me suis inspirée de deux légendes qui circulent dans deux villages complètement différents où j'ai habité. Comme quoi, les histoires sont un peu les mêmes partout...
Merci pour ton commentaire et à bientôt ! Je  ne sais pas quand je pourrai poster la suite mais bientôt j'espère...
Kittylou
Posté le 09/04/2016
Coucou, Mimi !
Me revoilou ! J’aime bien ton histoire, je viens d’enchaîner les six derniers chapitres et ça se lit vraiment très bien.
Ah, Bertille s’est quand même fait une amie ^^ C’est cruel de voir comment les autres élèves se moquent d’elle dans l’indifférence générale. J’ai l’impression que les adultes ferment les yeux pour ne pas voir le problème… Tant mieux, elle n’est plus seule maintenant =) Elle forme une sacrée paire avec Isabeau qui m’a l’air aussi spontanée que Bertille est timide et réservée. Elles se complètent bien, je trouve :P
L’affaire du fantôme m’intrigue, je me demande ce qui va bien pouvoir leur arriver.
J’ai hâte de lire la suite :D
Mimi
Posté le 09/04/2016
Salut Kitty ! Bien contente de te retrouver par ici !!!
Je suis touchée que tu trouves ma lecture fluide (en fait je suis tellement une lectrice fainéante que j'espère que mes propres écrits passent tout seuls :D C'est totalement égoïste mais bon xD).
Haha, le fantôme, c'est véritablement le cœur de l'histoire ! Bon, pour l'instant, je peux pas poster plus de chapitres... De toute façon, il est pas très très long ce roman (enfin, un peu trop pour une histoire jeunesse je pense...), donc ça viendra vite !
Merci mille fois d'être repassée ! <3
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